
Essais nucléaires : vers un assouplissement des critères d’indemnisation des Polynésiens
Paris, le mardi 14 février 2017 – Quelques 193 essais nucléaires ont été réalisés en Polynésie entre 1966 et 1996, dont 46 en plein air de 1966 à 1974 exposant les populations locales, souvent mal informées et peu protégées, aux retombées radioactives. Longtemps, cependant, la France n’a apporté aucune réponse aux demandes d’indemnisation formulées. En 2010, une loi (dite loi Morin) organisant l’indemnisation des victimes potentielles est enfin adoptée. Elle précise que désormais la charge de la preuve repose sur le comité d’indemnisation (Civen) et non plus sur les demandeurs. Cette législation n’a cependant pas entraîné l’amélioration espérée. Le taux de réponse favorable du Civen ne dépasse pas en effet 1,8 %. Ainsi, seules dix-neuf personnes ont pour l’heure reçu un dédommagement dont sept Polynésiens.
Les promesses de François Hollande
En cause, selon les associations de victimes, l’application de l’alinéa 5 de l’article 4 de la loi de 2010 qui précise que « l’intéressé bénéfice d’une présomption de causalité à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable ». Cette notion de "risque négligeable" a conduit au rejet d’un grand nombre de dossiers. En voyage à Papette, en février dernier, le Président de la République avait promis de faire évoluer la situation, par la voie d’un décret, qui aurait dû conduire à empêcher la référence à la notion de risque négligeable dès lors qu’il serait démontré que « les mesures de surveillance indispensables n’avaient pas été mises en place ». Cependant, saisi pour avis le Conseil d’Etat a considéré qu’une telle modification devait passer par une loi.
Alliance des parlementaires de droite et de gauche
Aussi, dans le cadre de la loi sur l’égalité réelle outremer, le gouvernement avait introduit plusieurs dispositions concernant l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Le seuil de "probabilité" permettant de déterminer dans quelle mesure le risque attribuable aux essais nucléaires pouvait être considéré comme négligeable devait ainsi être fixé à 0,3 %. Par ailleurs, il était précisé que le risque ne pourrait être considéré comme négligeable, dès lors que les mesures de protection n’auraient pas été mises en œuvre. Enfin, le texte du gouvernement promettait le réexamen des demandes rejetées pouvant être considérées comme recevables aux regards des nouveaux critères. Ne se contentant pas de ces avancées, les parlementaires ont décidé d’aller plus loin. Ainsi, lors de l’examen de la loi par la commission mixte paritaire, députés et sénateurs de gauche et de droite se sont entendus pour supprimer la notion même de "risque négligeable". Lors du retour de la proposition de loi en séance plénière, l’examen de l’amendement des parlementaires a entraîné une suspension de séance demandée par le ministre de l’Outre-Mer, Ericka Bareigt, qui est revenue en soutenant les évolutions des élus, marquant ici la victoire de ces derniers. Ce contexte rend fort probable le maintien de la disposition lors du nouvel examen du texte aujourd’hui par le Sénat.
Indemniser le sacrifice, plus que les conséquences des essais nucléaires
Cette avancée a été très chaleureusement saluée par l’ensemble de la classe politique en Polynésie et notamment au cours d’un discours vibrant par le député Maina Sage, qui a tenu à l’Assemblée à rappeler le « traumatisme profond » de la Polynésie. Cette disposition cependant n’offrira sans doute pas une réponse à toutes les déceptions. D’abord, parce que le ministre a obtenu que soit ajoutée qu’une « commission composée pour moitié de parlementaires et pour moitié de personnalités qualifiées, propose dans un délai de 12 mois à partir de la promulgation de la présente loi, les mesures destinées à réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires. Elle formule des recommandations à l’attention du gouvernement ». Ensuite parce que la détermination de la responsabilité des essais nucléaires dans la survenue de certaines pathologies est très délicate, comme est très délicate l’acceptation par les polynésiens que certaines maladies puissent être totalement dissociées des essais nucléaires. Mais la détermination des parlementaires à assouplir le processus d’indemnisation signe probablement leur volonté, au-delà des réalités médicales complexes concernant les conséquences de la radioactivité, de reconnaître le dévouement des Polynésiens. « Notre indépendance, nous la devons à leur sacrifice » a ainsi insisté la semaine dernière le chef de file des députés socialistes, Olivier Faure.
Aurélie Haroche