Back to the future ? La gérontechnologie ou TSAA (Technologie pour la Santé et l’Autonomie des personnes Âgées) envahit tous les domaines de la gériatrie. On pense ici aux techniques de communication (téléphone, visioconférence, téléalarme), aux objets de confort (domotique, console de jeux, tablettes tactiles), aux dispositifs de santé (détecteurs d’inconscience, de chutes, d’activités, voire de fuites d’eau ou de gaz, téléconsultation, outils connectés pour le monitoring de la glycémie, de la pression artérielle, robots, …) ou encore aux techniques de sécurité (téléassistance, capteur d’errance, objets de prévention d’incidents domestiques, systèmes d’alerte au domicile ou en dehors de celui-ci …). “L’objectif des ces TSAA est évidemment d’améliorer la qualité de service auprès de nos aînés, mais aussi et surtout leur autonomie, souligne Olivier Guérin (CHU Nice). La technologie en elle-même n’a en effet aucun intérêt, contrairement à l’usage qu’on en fait et à la qualification de ceux qui les utilisent », poursuit-il.
La vraie question de la gérontotechnologie sera alors son utilité pour le patient (a-t-il réellement besoin de cet objet ?), son efficacité (cela va-t-il l’aider dans son quotidien ?) et son acceptabilité avec pour corollaire l’observance et la satisfaction de son utilisateur. Ce dernier point est loin d’être trivial comme l’ont constaté les concepteurs de tablettes pour personnes âgées, fort surpris par le peu d’engouement des personnes âgées pour ces objets spécialement conçus et qui, après enquête, ont pu noter que ce n’est pas le concept de la tablette en elle-même mais bien celui de sa spécificité qui posait problème. Mieux vaut une tablette normale (celle de « Mr ou Mme Tout-le-monde ») simplement adaptée aux besoins (tenir compte du tremblement digital, de la perte de vision, …) plutôt que stigmatisante par son unicité…
Le problème n’est donc pas simple, d’autant que le développement de cette technologie nécessite une évaluation attentive, y compris sur la manière dont va être pris en charge le ‘soin’ sur le plan financier. Cet aspect est d’autant plus important à résoudre que l’on sait qu’à (très) court terme, le marché global de la robotique sera, en volume, supérieur au marché global de l’automobile.
Il y a donc lieu de se poser des questions sur les méthodes de preuve scientifique de la pertinence de ces objets et sur les éléments d’aide à la décision de mise sur le marché, avec en filigrane la problématique de la labélisation de ces objets. Pour ce faire, il faut un cadre méthodologique commun entre concepteur et utilisateur et un langage standardisé entre ces mêmes interlocuteurs pour franchir en toute sécurité les 5 étapes du développement : analyse des besoins et des demandes, élaboration du concept, élaboration du prototype, fabrication du produit commercialisé et surveillance de ce produit en post-marketing. Cette évaluation est d’autant plus difficile à effectuer de manière efficace que la technique évolue très vite et que l’évaluation doit donc se produire en un laps de temps très court, en ce compris pour les aspects socio-culturels, éthiques et juridiques…
De l’intérêt de l’ergonomie
Ceci pose dont la question de « l’utilisabilité », un néologisme qui a été proposé notamment pour l’évaluation des biocapteurs. Car si ces objets peuvent offrir un bénéfice de santé incomparable, ils comportent aussi des risques : celui de croire par exemple que toutes les données ont été entrées correctement, celui aussi de
perdre du fait d’un contact ‘privilégié’ avec la machine la
communication avec les individus. Que peut faire un médecin si son
patient, persuadé d’avoir entré toutes les données de ses glycémies
par exemple, ne signale pas qu’il a présenté des malaises à des
moments précis ?
C’est dans ce cadre que se sont développés des laboratoires
d’ergonomie, une discipline scientifique qui vise la compréhension
fondamentale des interactions entre les humains et les autres
composantes du système développé d’une part, et la profession qui
applique ces principes théoriques, données et méthodes en vue
d’optimiser le bien-être des personnes et la performance des
systèmes d’autre part. L’ergonomie est donc la conception des
systèmes centrée sur l’humain, mais qui doit tenir compte aussi des
contextes d’usage et d’adaptation des objets : un marteau par
exemple est un outil simple, compréhensible. Mais le marteau du
charpentier n’est pas celui du forgeron, ni celui du maçon, encore
moins celui du couvreur. Et pourtant ce sont tous des marteaux,
mais qui ne peuvent être interchangés.
Il y a donc une marge entre ce que les usagers peuvent faire, ce que les usagers pensent qu’ils font et ce que les usagers font réellement. Pratiquement, si l’on retourne aux laboratoires d’ergonomie, ils peuvent effectuer ces analyses par des simulations en laboratoire sur modèles mathématiques, des simulations de laboratoire après avoir reproduit l’environnement de l’appareil à utiliser, ou enregistrer son utilisation en situation d’usage réelle. In fine, l’ergonomie de ces gérontotechnologies (mais pas uniquement) permet d’assurer la sécurité d’utilisation, la facilité d’utilisation, l’acceptabilité des technologies, l’utilité réelle de l’objet pour la personne individuelle. Avec pour enjeu majeur l’implication des utilisateurs…
Back to the future donc ?
Dr Dominique-Jean Bouilliez