
Paris, le samedi 4 mars 2017 – Qu’on se le dise, le gouvernement ne se contente pas de traiter les affaires courantes, dans l’attente des élections présidentielles et législatives. Des actions phares sont conduites, bien que dans le brouhaha de la campagne beaucoup passent inaperçues, ce qui est regretté par certains. « Le gouvernement lance aujourd’hui un plan contre la maltraitance des enfants. Mais voilà, personne ne le saura puisque la priorité ce sera encore et toujours la politique. Parce que Fillon est privé de veaux, de vaches et de couvée pour cause de convocation chez le juge, qu’il s’est entretenu ce matin avec Juppé, etc, etc… » écrit ainsi Gabrielle Tessier sur son blog hébergé par Mediapart.
Jamais trop tard pour bien faire
Il est vrai que les engagements dévoilés mercredi matin par le ministre des Familles, Laurence Rossignol, n’ont probablement pas suscité un intérêt à la mesure de l’importance des enjeux. Cependant, l’action du gouvernement n’est pas passée inaperçue et a été saluée sur plusieurs blogs. « Comment ne pas approuver la démarche de Laurence Rossignol, ministre de la famille, de l’enfance et des droits des femmes ? » écrit ainsi sur son blog hébergé par le Monde Jean-Pierre Rosenczveig, président du Tribunal pour enfants de Bobigny. Ces observateurs qui se félicitent de l’engagement pris par le gouvernement se montrent même indulgents sur le calendrier choisi. Jean-Pierre Rosenczveig tempère par exemple : « Certains s’étonneront qu’à moins de trois mois de la fin de son mandat un ministre traite encore ce type de sujets de fond et se projette dans l’avenir. Le dossier supporte ce type d’exceptions. La maltraitance à enfants, l’histoire récente l’a démontré dépasse les clivages politiques et les alternances gouvernementales, chacun apportant une pierre à l’édifice M. Barzach (en insistant sur les violences sexuelles) avait prolongé le travail engagé par G. Dufoix en 1983 (la maltraitance à enfants après l’affaire de l’enfant du placard) qui avait lui-même été renforcé par H. Dorlac ou encore par M. Aubry (les violences institutionnelles). La démarche de Laurence Rossignol aura déjà le mérite d’identifier l’objectif comme une préoccupation partagée de la société française en lui donnant un cap et des objectifs que ses successeurs éclaireront régulièrement mais qu’ils ne pourront pas occulter », écrit le magistrat.
Absence d’interdiction des violences éducatives : un échec
Ainsi, les blogueurs, pourtant habitués à la critique, préfèrent saluer l’initiative du gouvernement. Ils espèrent surtout que cette première impulsion permettra d’élargir le champ de la lutte contre les violences faites aux enfants. Jean-Pierre Rosenczveig insiste sur l’interdiction des violences éducatives et regrette en la matière l’immobilisme de la France. « Hostile a priori à une loi sur le sujet lors de sa prise de fonctions en 2014, Laurence Rossignol préférait mener le débat public avec une opinion qui régulièrement se gaussait du fait de vouloir condamner la gifle et la fessée. A juste titre la ministre de la famille pensait qu’il fallait d’abord faire bouger les lignes et promouvoir les termes d’une éducation sans violence ce qui ne signifie pas sans autorité. C’était sans compter que la loi n’est pas là que pour "sanctionner" des situations. Elle affirme des valeurs. Depuis Napoléon n’est-il pas écrit dans le code civil qu’"A tout âge l’enfant doit honneur et respect à ses père et mère" ? Il était important qu’il soit écrit dans la loi (les français sont légalistes) que l’autorité ne se confond pas avec la violence et spécialement les châtiments corporels. La ministre s’en était finalement convaincu (et avait convaincu au-dessus d’elle) et avait accepté un amendement parlementaire dans la loi Egalité et citoyenneté. Las dans sa décision du 26 janvier 2017 le Conseil constitutionnel a retoqué cet amendement en le qualifiant de cavalier. (…) On observera objectivement que tout se ligue pour que notre pays prenne du retard dans le débat sur l’éducation sans violence, en phase avec ce que pratiquent l’immensité des familles de France quand on sait (les drames les plus récents le démontrent malheureusement à l’envie) qu’on peut passer facilement de la fessée à la maltraitance. C’est donc un échec que de n’avoir pas pu encore s’inscrire dans la démarche du Conseil de l’Europe. Ce doit être l’un des objectifs premiers d’un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, avec en arrière fond le nécessaire débat sur l’autorité parentale » estime le magistrat qui regrette à cet égard que les programmes des candidats à l’élection présidentielle fassent totalement l’impasse sur ces questions. Sans doute, avec une telle prise de position, Jean-Pierre Rosenczveig risque de relancer un débat qui souvent tourne à la caricature concernant la fessée et la gifle.
La violence de la justice
Outre un nouveau plaidoyer pour l’interdiction des violences éducatives, le plan présenté par Laurence Rossignol donne également de la voix à ceux qui s’intéressent à une cause moins médiatisée : les conséquences de la confrontation lors des procès d’assises des enfants présumés victimes de violences (notamment sexuelles) avec leur agresseur présumé. Marie-Christine Gryson, psychologue clinicienne, y revient longuement sur son blog hébergé par Mediapart. « La question du bien-fondé de cette confrontation entre un adulte et un enfant, a été souvent soulevée par les spécialistes de l’enfance, mais aussi publiquement par Pierre Joxe avocat et ancien ministre. En France, la réflexion a porté sur le parcours judiciaire en amont du procès et de nombreuses précautions ont été prises, les officiers de police judiciaire et les magistrats ont été formés à l’interrogatoire dans le respect du statut d’enfant potentiellement victime. Dans un certain nombre de juridictions, des lieux ont été aménagés pour l’accueil de l’enfant lors des différentes auditions à la brigade des mineurs ou au commissariat de police, dans le respect de son âge et de son éventuel traumatisme. Les confrontations sont soigneusement préparées de sorte que l’enfant ne subisse par la pression du regard de la personne qu’il accuse. La fiabilité de son témoignage en dépend, cette réalité est prise en compte tout comme le souci de ne pas aggraver son traumatisme » rappelle-t-elle. Mais ces différentes précautions semblent absentes dès lors que l’on franchit la salle des assises. « De manière invraisemblable, la question n’est plus posée quand il s’agit du procès… Or la gravité solennelle et impressionnante des salles d’audience dans les tribunaux de grande instance et dans les cours d’appel a été pensée et organisée pour des protagonistes adultes dans un rituel et des costumes qui, à hauteur d’un enfant, sont particulièrement incongrus et déstabilisants » insiste Marie-Christine Gryson qui invite à une réflexion en profondeur sur ces questions et sur ces violences institutionnelles auxquelles sont soumis les enfants potentiellement victimes.
Ainsi, on le voit à travers ces réflexions qui parviennent à s’extraire de la confusion ambiante, on mesure à quel point non seulement le plan de Laurence Rossignol est fondamental, mais aussi l’ampleur du travail encore à mener pour que l’ensemble de la société intègre les problématiques de la violence contre les enfants, notamment au sein des institutions censées les protéger et qui par leurs pratiques peuvent parfois risquer d’aggraver leurs souffrances.
Vous pourrez vous en convaincre en relisant les blogs de :
Gabrielle Tessier : https://blogs.mediapart.fr/gabrielle-teissier-k
Jean-Pierre Rosenczveig : http://jprosen.blog.lemonde.fr/
Marie-Christine Gryson :
https://blogs.mediapart.fr/marie-christine-gryson/blog/010317/viol-sur-mineur-un-enfant-aux-assises-maltraitance-legale-ou-deni-de-realite
Aurélie Haroche