
M.-A. DOMMERGUES,
Service de pédiatrie, Centre hospitalier de Versailles
Le guide du Haut Conseil de santé publique pour l’immunisation en post-exposition à un risque infectieux, paru en février 2016, fait le point sur les données disponibles et propose une conduite à tenir dans chaque situation. Nous aborderons essentiellement la vaccination en post-exposition, au travers de quelques cas cliniques.
Varicelle
François, 2 ans, gardé en crèche, présente une varicelle bénigne depuis la veille. Son père, 28 ans, est en bonne santé. Sa mère, 26 ans, est enceinte de 15 semaines. Audrey, sa sœur de 4 ans, est actuellement en traitement d’entretien pour une leucémie. Marc, son petit frère de 11 mois, gardé en crèche, est en bonne santé.
Aucun d’entre eux n’aurait contracté la varicelle. La transmission du virus de la varicelle et du zona (VZV) commence 1 à 2 jours avant l’apparition de l’éruption et se poursuit jusqu’à l’assèchement des lésions. La varicelle est une maladie extrêmement contagieuse. Le taux d’attaque secondaire le plus souvent admis est de l’ordre de 85 % en cas d’exposition familiale et de 20 % en cas d’exposition extrafamiliale. Les cas secondaires familiaux sont habituellement plus sévères que le cas index. Les complications de la varicelle sont plus fréquentes chez les nouveau-nés, les adolescents, les adultes, les femmes enceintes et les sujets immunodéprimés. Il a ainsi été estimé que chez les plus de 15 ans, le risque de décès était 30 fois plus élevé et celui d’hospitalisation 7 fois plus élevé que chez les enfants de 1 à 4 ans. Après l’infection, le VZV se multiplie dans les ganglions lymphatiques entraînant une 1re virémie de faible amplitude vers J4-J5, permettant au virus de gagner les viscères à partir desquels la multiplication sera beaucoup plus marquée et responsable d’une 2e virémie vers J9-J10. La base théorique de la vaccination post-exposition tient à la capacité des vaccins contre la varicelle d’induire une réponse immunitaire en 5 à 7 jours : les anticorps vaccinaux bloquent la 2e virémie
La vaccination post-exposition est indiquée chez l’adulte et l’adolescent à partir de 12 ans, sans antécédent de varicelle (sérologie facultative permettant de se passer de la 2e dose de vaccin, si positive), dans les 3 à 5 jours suivant le contage. Les études ont montré que le vaccin est efficace à 90 % pour prévenir la varicelle chez les personnes immunocompétentes de plus de 12 mois s’il est administré dans les 3 jours suivant l’exposition, et efficace à 70 % s’il est administré dans un délai de 5 jours. L’efficacité est de 100 % pour prévenir les formes sévères. Les sujets vaccinés (ici le père) doivent être informés de la nécessité, en cas de rash généralisé, d’éviter les contacts avec les personnes immunodéprimées (ici la sœur) pendant 10 jours. Outre la vaccination, il est possible d’utiliser des immunoglobulines (Ig) pour prévenir l’infection par le VZV chez une personne ayant été exposée. Cette immunisation passive par Ig spécifiques anti-VZV (Varitect® en ATU - autorisation temporaire d’utilisation) doit être proposée dans les 96 heures quand le vaccin contre la varicelle est contre-indiqué et qu’il existe un risque de varicelle grave. Les patients concernés sont les femmes enceintes (ici la mère), les sujets immunodéprimés (ici la sœur), les nouveau-nés de mères contractant la varicelle entre J-5 et J+2 par rapport à l’accouchement, les prématurés > 28 SA de mère non immune pour la varicelle et les prématurés < 28 SA quel que soit le statut de la mère. Malgré cette prophylaxie, 30 à 50 % des sujets immunodéprimés développent la varicelle. Une surveillance de la sœur Audrey après la perfusion d’Ig est donc nécessaire, avec traitement par acyclovir IV en cas d’éruption varicelleuse La mère étant enceinte de 15 semaines, le risque de fœtopathie en cas de varicelle est maximal à ce terme et nécessite une perfusion d’Ig dans les 96 heures suivant le contage. On fera une sérologie si le résultat peut être obtenu en urgence car plus de 95 % des femmes en âge de procréer sont immunisées contre la varicelle en France. Si la sérologie est négative, elle devra recevoir du Varitect® maintenant et une vaccination en post-partum (allaitement autorisé). Le petit frère Marc a un risque plus élevé de varicelle sévère du fait de son âge, < 1 an et du contage intrafamilial, mais il est trop jeune pour être vacciné (AMM à 12 mois). Il ne rentre pas dans les indications de l’ATU pour le Varitect®. S’il ne déclare pas la varicelle, il faudra le vacciner dans 1 mois car il vit sous le même toit qu’une personne immunodéprimée. S’il déclare la varicelle dans 3 semaines, Audrey devra à nouveau être traitée par Ig car la durée de protection conférée par les Ig spécifiques est fixée à une demi-vie, soit 3 semaines.
Hépatite A
Titouan, 2 ans, vit en France et n’a jamais voyagé. Ses vaccinations sont à jour. Il est seul avec sa mère et gardé en crèche. Il a une hépatite A confirmée sérologiquement, les signes cliniques ayant débuté il y a 7 jours. Que faire pour son entourage ? De 2006 à 2013, 9 480 cas d’hépatite A ont été déclarés en France (1 185 cas/an en moyenne). Les deux principales sources d’exposition étaient : cas d’hépatite A dans l’entourage (47 % dont 75 % dans la famille), séjour hors métropole (37 % des cas). En post-exposition, le vaccin contre l’hépatite A est aussi efficace que les immunoglobulines (Ig) polyvalentes. Le risque d’hépatite A symptomatique est de 4,4 % dans un groupe de sujets vaccinés dans les 10 jours après l’exposition au cas index (n = 568) et de 3,3 % dans un groupe de sujets recevant des Ig (n = 522) : critère de non-infériorité atteint. Chez l’adulte, l’immunogénicité d’une seule dose d’hépatite A est très bonne, avec un taux de séroprotection de 96 % 14 jours après l’injection et de 100 % 30 jours après. La durée d’incubation de la maladie est de 2 à 5 semaines (médiane : 23 jours).
Dans son avis du 13 février 2009, le HCSP recommande la vaccination des sujets autour d’un cas d’hépatite A confirmé de l’entourage familial (ou toute personne vivant sous le même toit), dès l’âge de 1 an :
– le plus tôt possible, c’est-à-dire dans les 14 jours suivant l’apparition des signes cliniques du cas, sans examen sérologique préalable si sujet :
• jamais vacciné contre l’hépatite A,
• né après 1945 (probabilité d’être immunisé > 65 % si né avant 1945),
• sans antécédent connu d’ictère,
• n’ayant pas séjourné au moins 1 an dans un pays de forte endémicité ;
– si une des conditions précédentes n’est pas remplie, une sérologie préalable est fortement recommandée si ceci est compatible avec le délai de 14 jours. Il faut vacciner la mère de Titouan, sans sérologie préalable.
Que recommander pour les enfants et le personnel de la crèche ?
Devant un cas d’hépatite A dans une structure accueillant des enfants en garde collective et n’ayant pas atteint l’âge de la propreté, on recommande : la recherche d’autres cas par l’interrogatoire, le renforcement des mesures d’hygiène, l’éviction de la collectivité du cas pendant 10 jours après le début de l’ictère, la vérification et la mise à jour des vaccinations contre l’hépatite A du personnel de l’établissement exposé. On ne propose pas de vaccination généralisée des enfants de la crèche. La vaccination peut être envisagée devant des cas groupés, sur décision de l’Agence régionale de santé (ARS).
Rougeole
Framboise, 4 mois, est hospitalisée pour une éruption maculo-papuleuse fébrile (39-40ºC) ayant débuté il y a 24 heures au visage et s’étendant actuellement au reste du corps, associée à une rhinorrhée avec toux fébrile depuis 4 jours. Sa sœur aînée de 8 ans, non vaccinée par le ROR, a présenté un tableau clinique similaire, il y a 15 jours. On suspecte une rougeole. Que faire pour les parents (père de 38 ans, né en 1979 ; mère de 28 ans, née en 1989) qui ne sont pas vaccinés ? Dès la suspicion clinique d’une rougeole (devant une fièvre ≥ 38,5ºC associée à une éruption maculo-papuleuse et au moins un des signes suivants : conjonctivite, coryza, toux, signe de Köplik), le signalement peut s’effectuer avec la fiche de notification obligatoire (dans l’attente de la confirmation biologique). La contagion débute dans les 24 heures précédant les premiers symptômes (fièvre, catarrhe), soit environ 5 jours avant l’éruption et se poursuit pendant 5 jours après celle-ci. Les contacts proches comprennent les membres de la famille vivant sous le même toit, les enfants et adultes de la même section en crèche ou halte-garderie, les enfants et adultes exposés au domicile de l’assistante maternelle. La vaccination en post-exposition à un cas clinique de rougeole pour les contacts proches doit être effectuée dans les 72 heures suivant le contage.
• Pour les sujets de plus de 12 mois et nés après 1980, la mise à jour du calendrier vaccinal avec 2 doses de vaccin ROR est recommandée.
• Pour les sujets nés entre 1965 et 1979 :
– pas de vaccin autour d’un cas si sujet non professionnel de la petite enfance ; – 1 dose de ROR autour d’un cas pour les assistantes maternelles et le personnel travaillant en crèche ou halte-garderie ;
– 2 doses de ROR autour de cas groupés, quelle que soit la profession du sujet. Il est déjà théoriquement trop tard pour proposer une vaccination post-exposition aux parents de Framboise.
Cependant, sa mère étant née après 1980 rentre dans l’indication du rattrapage et devra recevoir 2 doses de vaccin ROR. La 1re dose réalisée tout de suite permettra peut-être de la protéger. Si elle est déjà infectée, il n’y a pas de risque à effectuer cette vaccination. Le diagnostic de rougeole est confirmé 48 heures après l’entrée de Framboise dans le service (J+3 post-éruption) et on informe les parents et l’entourage proche. La tante, âgée de 25 ans et enceinte de 3 mois, non vaccinée et sans antécédent (ATCD) de rougeole, est inquiète : elle a gardé Framboise toute la journée il y a 5 jours, alors qu’elle était juste « enrhumée » avec Kevin, son fils de 10 mois, également non vacciné. Que proposer à la tante et à son fils ? La vaccination en post-exposition à un cas de rougeole peut être pratiquée avec une dose de vaccin monovalent (Rouvax®) chez les enfants âgés de 6 à 11 mois, ceux-ci devant recevoir par la suite 2 doses de ROR (selon le calendrier vaccinal normal à 12 et 16-18 mois). Mais il est trop tard (délai > 72 heures) pour proposer cette vaccination à Kevin. Pour sa mère, outre le délai dépassé, les vaccins vivants sont contre-indiqués chez la femme enceinte. L’indication des Ig polyvalentes en post-exposition à un cas confirmé de rougeole concerne les contacts proches (vivant sous le même toit ou en contact en face-à-face pendant plus de 1 heure) non protégés et à risque de complications, c’est-à-dire :
– immunodéprimés : quel que soit le statut vaccinal ou les ATCD ;
– femmes enceintes : non vaccinées, sans ATCD de rougeole ;
– enfants < 6 mois : si rougeole chez la mère ou mère non immune (non vaccinée ou sans ATCD de rougeole), avec sérologie chez la mère en urgence en cas de doute ;
– enfants 6-11 mois : non vaccinés dans les 72 heures post-exposition (quels que soient le statut vaccinal ou les ATCD de la mère, 90 % des nourrissons ne bénéficiant plus des anticorps d’origine maternelle après l’âge de 6 mois).
La posologie recommandée est de 200 mg/kg. Cette prophylaxie est efficace si elle est administrée dans les 6 jours suivant l’exposition. Il faut donc proposer une perfusion d’Ig polyvalentes (délai post-exposition < 6 jours) à la tante actuellement enceinte et à Kevin. À l’exception des sujets immunodéprimés, il ne faut pas oublier de vacciner (ROR) les sujets concernés, le délai à respecter entre les Ig et ce vaccin étant au minimum de 6 mois pour l’Académie amé- ricaine de pédiatrie (AAP) et de 9 mois pour le HCSP (avis du 16 avril 2012).
Tétanos
Antoine, 10 ans, arrive aux urgences pour une plaie peu profonde de la main. Il s’est blessé en escaladant une clôture de barbelés. Il a été vacciné selon le calendrier vaccinal normal lorsqu’il était nourrisson mais n’a pas eu de rappel depuis : seul et dernier rappel tétanique à l’âge de 18 mois. Moins de 20 cas de tétanos sont déclarés en France chaque année, touchant des sujets âgés de plus de 70 ans dans 78 % des cas. On déplore 8 cas de tétanos chez l’enfant depuis 1990 : aucun de ces enfants n’était vacciné. La durée d’incubation du tétanos varie de 24 heures à 31 jours (médiane : 7 jours). La létalité est de 25-30 %. La porte d’entrée est une blessure minime dans 75 % des cas. L’administration d’Ig humaines spécifiques (site d’injection intramusculaire éloigné de celui utilisé pour le vaccin) permet d’obtenir un taux d’antitoxines sérique > 0,01 UI/ml en 2 à 3 jours, persistant pendant au moins 4 semaines. Antoine doit recevoir immédiatement un rappel vaccinal sans Ig. Il faut lui faire un vaccin tétravalent normalement dosé en anatoxines diphtérique et tétanique. Le prochain rappel sera fait selon le calendrier vaccinal entre 11 et 13 ans.
Pour en savoir plus
• Haut Conseil de la santé publique. Guide pour l’immunisation en post-exposition : vaccins et immunoglobulines. Rapport du 19 février 2016.