Epidémiologie des tumeurs neuro-endocrines outre-Atlantique

Ces dernières décennies, les tumeurs neuro-endocrines (TNE) ont eu leur diagnostic, leur stadification et leur traitement profondément modifiés. Il s’en est suivi une meilleure connaissance de ce type de tumeurs, une amélioration de leur classification pathologique et un gain en espérance de vie. Il est probable que l’incidence accrue, constatée ces dernières années, est, en grande partie, liée à une augmentation de la détection des formes précoces, asymptomatiques, par endoscopie ou imagerie. La mise au point de nouveaux agents thérapeutiques a, pour sa part, pu améliorer la survie et la prévalence des TNE.

A Dasari et coll. ont tenté de préciser les principaux éléments démographiques, cliniques et pronostiques des TNE et d’actualiser leur épidémiologie. Ils ont, dans ce but, mené une étude rétrospective de population, à partir des données nationales représentatives issues du programme SEER (Surveillance, Epidemiology and End Results), démarré en 1973 et qui, actuellement, répertorie les cancers dans plus de 20 zones géographiques distinctes des Etats-Unis, représentatives de la population américaine globale. L’analyse des données recueillies a été ultérieurement conduite entre décembre 2013 et février 2017. Elle a ainsi pu déterminer l’incidence annuelle des TNE, ajustée en fonction de l’âge, l’évolution de leur prévalence sur 10 et 20 ans et de leur taux de survie globale à 5 ans. Les données de 2000 ont été comparées à celles de 2012, pour la cohorte entière, mais aussi pour des sous-groupes spécifiques tels que les TNE gastro-intestinales et pancréatiques métastasées (à l’exclusion des formes hépatiques, souvent en fait secondaires plus que primitives). L’analyse a inclus plusieurs covariables pouvant influencer le pronostic : grade, statut, race, site, intervalle de temps à partir du diagnostic…

Près de 65 000 patients étudiés

La cohorte comprenait 64 971 patients, dont 34 233 (52,7 %) de sexe féminin. Parmi les 45 318 TNE dont le grade avait été précisé, il y en avait 23 126 de grade 1 (G1, bonne différenciation), 7 416 de grade 2 (G2, différenciation moyenne) et 14 766 de grade 3 ou 4 (tumeurs indifférenciées ou anaplasiques) ; 53 465 avaient une extension bien définie : 28 031 étaient localisées, pour 10 777 il y avait une extension loco-régionale et 14 657 étaient d’emblée métastatiques lors du diagnostic.

L’incidence annuelle, ajustée à l’âge, est passée de 1,09/100 000 personnes en 1973 à 6,98/100 000 en 2012, soit une très forte hausse, contrastant avec une stabilité de l’incidence de l’ensemble des cancers entre ces deux périodes. Cette augmentation a concerné toutes les tranches d’âge, mais était plus marquée chez les sujets âgés, culminant à 25,3/100 000 pour les plus de 65 ans et à 14,3/100 000 entre 50 et 64 ans versus 1,75/100 000 avant 50 ans, et ce quel que soit le site, le stade et le grade de la tumeur. Toutefois, le taux des TNE gastriques a été multiplié par 15 alors que celui des TNE cœcales ne l’était que par 2. De même, l’augmentation d’incidence la plus sensible a été le fait des TNE localisées, passant de 0,21/ 100 000 en 1973 à 3,15/100 000 en 2012 (p<0,001). Dans le dernier registre SEER 18, couvrant la période 2000-2012, la hausse la plus nette, selon le site, a été celle des localisations pulmonaires (+1,49/100 000) et gastro-entéro-pancréatiques (+3,56/100 000) tandis que les TNE à point de départ inconnu n’ont progressé « que » de 0,84/100 000.

De par l’augmentation d’incidence et la nature indolente de ce genre de tumeurs, il a été observé, parallèlement, un accroissement notable de la prévalence sur une durée de 20 ans, qui est passée de 0,006 % en 1973 à 0,048 % en 2012 (p<0,001). Une projection, pour l’ensemble de la population états-unienne, au 1er janvier 2014, conduit à envisager une prévalence de 171 321 TNE alors qu’elle était de 103 212 en 2004.

Un risque de décès globalement très diminué

Quant à la survie médiane, elle a été globalement de 9,3 ans. Cependant, elle diffère notablement selon le stade au moment du diagnostic, dépassant 30 ans pour les TNE localisées versus 10,2 ans pour les formes loco-régionales et seulement 12 mois en cas de tumeurs d’emblée métastasées. Elle varie également selon le grade, allant de 16,2 ans pour tumeurs G1 à 8,3 ans pour les G2 et à 10 mois pour les G3-G4. De même, la survie varie selon la localisation anatomique, atteignant 24,6 ans pour les TNE rectales et plus de 30 ans pour les tumeurs appendiculaires alors que les TNE pancréatiques et pulmonaires sont de moins bon pronostic (durée de vie médiane respectivement de 3,6 et 5,5 ans). Mais, dans l’ensemble, la survie globale à 5 ans s’est considérablement améliorée entre les périodes 2000-2004 et 2009- 2012, le Hazard Ratio (HR) se situant à 0,79 (IC : 0,73- 0,85). Le gain le plus important a été constaté dans les TNE gastro intestinales métastasées (HR=0,71 ; IC : 0,62-0,81) et pancréatiques métastasées (HR =0,56 ; IC : 0,44-0,70), traduction de l’amélioration des protocoles thérapeutiques dans les formes graves. Ainsi, comparativement aux années précédentes (2005-2009), la réduction du risque de décès par TEN a été de 44 % (HR=0,56 ; IC : 0,44-0,71 ; p<0,001) au cours de la période 2009-2012.

Au total, cette étude rétrospective de population démontre que l’incidence annuelle des TNE s’est considérablement accrue, passant de 1,09/100 000 en 1973 à 6,98/100 000 en 2012, soit une multiplication par 6,4. La survie a, aussi, notablement progressé, de façon globale, mais principalement dans les formes métastasées gastro-intestinales et pancréatiques. Cette hausse d’incidence est mondiale, mais plus marquée dans les populations nord-américaines. Elle concerne tous les sites, tous les stades et tous les grades, bien que surtout constatée dans les formes localisées, traduisant l’amélioration des méthodes diagnostiques. De fait, la multiplication par 15 des TNE gastriques et par 9 des formes rectales est à mettre sur le compte d’un recours plus fréquent à l’endoscopie ; celle, plus réduite, des localisations pulmonaires et de l’intestin grêle, à rapprocher de l’amélioration des techniques modernes d’imagerie. Il faut aussi signaler une formalisation plus grande dans la classification, voire la possibilité d’un changement de stade (phénomène de Rogers), affectant le calcul des moyennes d’incidence et de survie. Enfin, à l’évidence, les nouveaux agents thérapeutiques ont grandement contribué à l’amélioration des formes graves.

Ce travail est entaché, néanmoins, de quelques réserves. Il s’agit d’une étude rétrospective de population ; il a pu exister dans les registres SEER une sous-estimation des cas de TNE ; certains éléments pronostiques n’ont pas été intégrés dans l’analyse, comme par exemple l’état général des patients.

Dr Pierre Margent

Référence
Dasari A et coll. : Trends in the Incidence, Prevalence and Survival Outcomes in Patients with Neuroendocrine Tumors In the United States. JAMA Oncol., 2017 (27 avril). Publication avancée en ligne. doi: 10.1001/jamaoncol.2017.0589.

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Vos réactions (1)

  • Epidémiologie des tumeurs neuro-endocrines

    Le 03 août 2017

    Merci pour cet article de haut niveau.
    Cela me réconcilie un peu avec le JIM...

    DR A COGET

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