
J. SENESCHAL
Service de Dermatologie de l’Adulte et de l’Enfant,
Centre de référence pour les maladies rares de la peau (CRMRP), hôpital Saint-André, CHU de Bordeaux
INSERM 1035, Immuno-Dermatologie ATIP-AVENIR Université de Bordeaux
Malgré la prise en charge locale par émollient et anti-inflammatoire et l’éducation thérapeutique, certaines formes sévères de dermatite atopique nécessitent le recours à un traitement systémique.
La dermatite atopique (DA) ou eczéma atopique est une dermatose
inflammatoire chronique évoluant par poussées, associée à un prurit
majeur touchant environ 10 à 20 % des enfants et 3 à 4 % des
adultes. La prise en charge thérapeutique est parfois difficile car
il est nécessaire à la fois de traiter les poussées aiguës de la
maladie et de trouver la meilleure stratégie pour stabiliser la
maladie sur le long terme. Également compte tenu du caractère
chronique de la maladie, il est important d’éviter les potentiels
effets secondaires des traitements locaux et généraux(1).
L’échec de la prise en charge thérapeutique par soins locaux
et/ou par photothérapie bien conduits reste rare. Cependant,
certains adolescents ou adultes et plus rarement des enfants
nécessitent une prise en charge par thérapie systémique quand les
traitements locaux et/ou photothérapies et l’éducation
thérapeutique restent insuffisants pour contrôler la maladie et
assurer une qualité de vie correcte. Par ailleurs, les traitements
systémiques peuvent être importants pour réduire la quantité de
traitements anti-inflammatoires locaux chez les patients
nécessitant quotidiennement de grandes quantités de soins locaux ou
l’application sur de grandes surfaces cutanées. La prise en charge
de la DA par thérapies systémiques concerne environ 10 % des
patients.
Les traitements systémiques les plus utilisés et efficaces, à
l’heure actuelle, sont la ciclosporine A (CsA), seule à avoir
l’AMM, le méthotrexate (MTX), l’azathioprine (AZA) et le
mycophénolate mofétil (MMF), peu utilisé en France dans cette
indication. L’utilisation d’une cortico - thérapie systémique, même
si elle est efficace, doit être évitée du fait de son rapport
bénéfice/risque non favorable. L’utilisation des traitements
systémiques immunosuppresseurs dans la DA n’est pas clairement
codifiée. Il existe peu d’essais contrôlés randomisés les
comparant, ce qui rend difficile l’évaluation de leur efficacité
relative. La posologie de chaque traitement est à adapter au cas
par cas en fonction de la sévérité de l’atteinte, des comorbidités
de chaque patient, et par la suite en fonction de leur efficacité
et de leur tolérance. La dose minimale efficace doit être utilisée
afin de limiter la survenue d’effets indésirables (EI).
Lorsque la DA est contrôlée et que le résultat se maintient, le traitement, en discussion avec le patient, peut être suspendu, avec parfois la possibilité de reprendre des soins locaux et/ou la photothérapie.
Ciclosporine (CSA)
La CsA est un immunosuppresseur appartenant à la famille des inhibiteurs de la calcineurine.
Elle inhibe la production de cytokines inflammatoires comme
l’interleukine (IL)-2, IL-3, IL-4 et le TNFα, et diminue la
réponse immunitaire adaptative. Sa posologie varie de 3 à 5
mg/kg/j, à répartir en 2 prises par jour. L’efficacité de la CsA
est constatée en général dans les 2 à 6 premières semaines de
traitement. Plusieurs études ont évalué l’efficacité de la CsA dans
la DA de l’adulte. Une revue systématique avec métaanalyse des
essais contrôlés et non contrôlés concernant l’utilisation de la
CsA dans la DA a été publiée en 2007(2). La sévérité de la DA sous
CsA était retrouvée diminuée dans les 15 études (602 patients)
analysées. Après 2 semaines de traitement, était notée une
diminution moyenne de la sévérité de la DA de 22 % avec une dose de
CsA de 2,5-3 mg/kg/j et de 40 % avec une dose de 4-5 mg/kg/j.
Cependant, à 6 à 8 semaines de traitement, il n’y avait pas de
différence d’efficacité entre ces 2 groupes de dose. Plus
récemment, en 2010, est parue une étude rétrospective coréenne
portant sur 147 patients ayant reçu de la CsA entre 2001 et
2008(3). La durée moyenne de traitement était de 13,5 mois et la
dose moyenne initiale était de 2,7 mg/kg/ j .
Le SCORAD objectif était diminué en moyenne de 66,6 % à 6 mois
de traitement, avec une amélioration déjà notée à 1 mois de
traitement. La durée moyenne de rémission après arrêt de la CsA
était de 4,5 mois. L’utilisation de la ciclosporine est limitée par
ses effets indésirables et les nombreuses interactions
médicamenteuses limitant son utilisation chez les sujets plus âgés
prenant de nombreux traitements au long cours. Les effets
indésirables (EI) sont principalement représentés par
l’augmentation de la tension artérielle et du taux de
créatininémie. Ces EI limitent souvent la durée du traitement par
CsA au long cours à 1, voire 2 ans.
Cependant, plusieurs études ont évalué sur des séries de patients l’utilisation en traitement continu de la CsA sur une période de 1 an. La tolérance était considérée comme bonne à très bonne chez 65 à 80 % des patients. Une augmentation significative de la créatininémie (> 30 % de la valeur initiale) était retrouvée chez 5 à 10 % des patients avec retour à la normale à l’arrêt du traitement. Les autres effets indésirables de la CsA sont des symptômes neurologiques (céphalées, paresthésies), souvent réversibles à l’arrêt du traitement, l’hypertrichose.
En dépit de son action immuno-suppressive, la CsA, aux doses prescrites dans la DA, augmente peu le risque d’infections et si celles-ci surviennent, elles sont rarement sévères. Par ailleurs, il n’existe pas de majoration du risque d’infection opportuniste ou de réactivation tuberculeuse. Bien que quelques cas aient été décrits, il n’existe pas de preuve d’augmentation du risque de lymphome ou de cancer autre que cutané chez les patients traités par CsA dans une indication dermatologique.
Méthotrexate (MTX)
Le MTX est un antifolique inhibant la dihydrofolate réductase, empêchant ainsi l’activité de la thymidilate synthétase nécessaire à l’incorporation de nucléotides dans l’acide désoxyribonucléique (ADN). Le MTX peut être prescrit sous forme orale ou injectable, à une posologie variant en général de 7,5 mg à 25 mg une fois par semaine.
L’efficacité du MTX, bien connue dans des pathologies inflammatoires chroniques, a aussi été mise en évidence dans la DA. Ainsi, Goujon et coll. ont évalué l’efficacité du MTX après début de traitement, fibrose pulmonaire) et cutanéomuqueuses (érosions, ulcérations) peuvent également être constatées. Le risque infectieux aux doses prescrites pour la DA est faible et le risque de néoplasie est difficile à estimer.
Azathioprine (AZA)
L’AZA est un immunosuppresseur appartenant à la famille des inhibiteurs des bases puriques. L’AZA est prescrite à la dose de 1 à 3 mg/kg/j. La posologie doit être adaptée à l’activité de la thiopurine méthyltransférase (TPMT), enzyme intervenant dans le métabolisme de l’AZA, afin de limiter le risque de myélotoxicité. Pour cela, un génotypage du gène TPMT ou un dosage de l’activité enzymatique érythrocytaire de la TMPT peuvent être réalisés. Par ailleurs, une surveillance de la NFS et des enzymes hépatiques doit être réalisée régulièrement.
L’efficacité de l’AZA a été démontrée dans des études
rétrospectives, mais également dans des études contrôlées. Ainsi,
un essai randomisé contrôlé ayant étudié l’AZA (1,5 à 2,5 mg/kg/j)
versus MTX (10 à 22,5 mg/semaine) chez 42 adultes atteints de DA
sévère a montré une réduction du SCORAD à 3 mois de traitement de
39 % dans le groupe AZA et de 42 % dans le groupe MTX, sans
différence statistiquement significative en ce qui concerne
l’efficacité des 2 traitements(5).
L’efficacité de l’AZA peut être retardée, certains patients
nécessitant 3 mois de traitement, voire plus, afin de constater une
amélioration. Les troubles digestifs (nausées, vomissements,
diarrhées, ballonnements, crampes, anorexie) sont fréquents sous
AZA et peuvent être source de mauvaise observance. Ils peuvent être
améliorés par une répartition de la dose ou une prise au cours d’un
repas. La toxicité hématologique est proportionnelle à la dose et
réversible à l’arrêt.
Le risque carcinogène (et particulièrement de lymphome non hodgkinien et de carcinome épidermoïde cutané) est plus important chez les patients recevant des doses élevées et sur de longues périodes. Il est difficile d’estimer ce risque chez les patients traités par AZA dans l’indication de la DA.
Mycophénolate mofétil (mmf)
Cet immunosuppresseur bloquant la synthèse des purines s’est avéré efficace pour traiter la DA dans de petites études rétrospectives, à des doses allant de 0,5 à 3 g/j en 2 prises per os par jour. Cependant, le nombre d’études reste limité, ce qui ne permet pas d’apporter des conclusions précises sur son efficacité dans la DA. Par exemple, dans une étude portant sur 20 adultes, le MMF a permis une amélioration dès le 1er mois de traitement chez 17 patients, avec rémission complète permettant un arrêt du traitement chez 10 d’entre eux (les 7 autres étant contrôlés avec un traitement d’entretien).
Les EI les plus fréquemment rapportés étaient des céphalées modérées, des symptômes digestifs et une asthénie. Plus récemment, une étude contrôlée randomisée a montré que le MMF était aussi efficace que la CsA dans le traitement d’entretien de la DA sévère de l’adulte, que son efficacité semblait toutefois moins rapide, mais qu’elle persiste plus longtemps après l’arrêt du traitement. Les EI étaient modérés et transitoires dans les 2 groupes.