
Paris, le jeudi 17 août 2017 – La levothyroxine (Levothyrox) est un des médicaments les plus couramment prescrits. En France, trois millions de personnes suivent ce traitement, pour corriger une hypothyroïdie. Médicament à marge thérapeutique étroite, il fait l’objet de certaines précautions : il n’est notamment pas soumis à la substitution obligatoire par un générique. Pour certains patients, l’équilibre est en effet particulièrement difficile à obtenir et la composition du médicament peut être en cause. Si le générique a parfois été incriminé, le princeps lui-même en était parfois responsable. Des fluctuations pouvaient en effet exister d’une boîte à l’autre, comme le confirme Sylvie Chabac, directrice des affaires médicales du laboratoire Merck France. Ces variations sont à l’origine de « perturbations de l’équilibre thyroïdien chez certains patients ».
Une plus grande stabilité et un excipient remplacé
Pour offrir aux malades une plus grande stabilité, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a demandé aux laboratoires Merck de procéder à des modifications. Une nouvelle formulation est ainsi proposée depuis le mois de mars. Cette dernière répond aux exigences de l’ANSM, tandis qu’un excipient à effet notoire a été supprimé, le lactose. Ce dernier a été remplacé par de l’acide citrique, couramment utilisé dans l’alimentation. La bioéquivalence de la nouvelle composition par rapport à l’ancienne a été confirmée par deux études. « La lévothyroxine présente dans la nouvelle formule est rigoureusement identique à celle fabriquée normalement par la thyroïde, comme pour l’ancienne formule » assure Jean-Michel Race, directeur des médicaments en endocrinologie à l’ANSM.
Vigilance pour les patients les plus vulnérables
L’arrivée de la nouvelle composition s’est manifestée par un changement de couleur de la plupart des boîtes. Par ailleurs, l’ANSM et les laboratoires Merck ont largement diffusé l’information. L’entreprise a mis en place un « plan de communication touchant plus de 100 000 professionnels de santé et deux associations de patients», indique Sylvie Chabac. De son côté, l’ANSM a adressé une lettre aux professionnels de santé concernés : médecins généralistes, endocrinologues, pédiatres, chirurgiens ORL, gynécologues, obstétriciens, cardiologues, gériatres, pharmaciens officinaux et hospitaliers. L’ANSM y invitait les praticiens à la vigilance concernant certains patients en particulier : ceux traités pour un cancer de la thyroïde également suivis pour une maladie cardiovasculaire, les femmes enceintes, les enfants, les sujets âgés et tous ceux pour lesquels l’équilibre thérapeutique a été particulièrement difficile à obtenir. Pour tous ces malades, durant la phase de transition, une évaluation clinique et biologique six à huit semaines après l’initiation de la nouvelle formule était recommandée.
Cible manquée
En dépit de ces alertes, de nombreux patients n’ont pas été informés du changement de formulation. S’agissant d’un traitement au long cours, souvent pris à vie, le Levothyrox n’est pas toujours l’objet d’un suivi régulier et les patients peuvent connaître de longues périodes sans consulter leur médecin traitant. Par ailleurs, le changement de couleur de boîtes n’a pas toujours été explicité par les pharmaciens. En outre, recevant de multiples missives, certains praticiens ont pu ignorer l’alerte concernant le Levothyrox, notamment ceux qui ne prescrivent qu’occasionnellement ce médicament (ou qui procèdent à des renouvellements d’ordonnance, tandis que le suivi est assuré par un autre spécialiste). Il n’est en outre pas exclu que le système de communication de l’ANSM, par lettre ou mail, ne permette pas toujours des transmissions optimales.
Piège
Ainsi, mal ou peu informés, mais alertés par des boîtes légèrement modifiées, certains patients sont convaincus que la nouvelle formulation a entraîné une dégradation de leur état. Perte de cheveux, fatigue, vertiges : de nombreux symptômes (proches de l’hypothyroïdie) sont associés sur les forums à la composition différente du médicament. En juin, une patiente a même lancé une pétition pour réclamer au laboratoire Merck le retour à l’ancienne formulation. Celle-ci a recueilli pas moins de 21 000 signatures. Dans certains des commentaires, l’absence d’information est souvent déplorée et tend parfois à instiller l’idée d’une opération réalisée sans considération pour les patients. « Je me suis sentie prise au piège. On aurait dû être consulté, c’est scandaleux » affirme ainsi Sylvie, instigatrice de la pétition.
Marge thérapeutique étroite
Du côté des laboratoires, on relativise l’impact du changement de formulation. « Pour la grande majorité des trois millions de patients sous Levothyrox, cela se passe bien » rappelle Sylvie Chabac, tandis que les laboratoires Merck excluent tout retour à l’ancienne composition, ou une coexistence entre les deux produits.
Cependant, s’agissant d’un médicament à marge thérapeutique étroite, des effets secondaires ne peuvent pas être exclus, et les patients qui ressentiraient des différences sont invités à consulter leur praticien et à réaliser les examens biologiques nécessaires.
En tout état de cause, cette affaire illustre une nouvelle fois, combien la communication autour des médicaments connaît une marge thérapeutique extrêmement étroite.
Aurélie Haroche