
Gare au risque de faux médicaments
Ces pratiques révulsent et inquiètent. Président du Conseil central de l’ordre des pharmaciens, André Delgutte rappelait la semaine dernière dans le Parisien et l’Express le caractère totalement illégal de ce type de vente. « En France, il est interdit de vendre en ligne des médicaments prescrits sur ordonnance. Or c’est le cas pour Levothyrox comme Euthyrox » insiste le responsable qui souligne que la nationalité étrangère du site ne saurait permettre de contourner cette règle. « La règle c’est le pays de destination », souligne-t-il. Le pharmacien ne cache pas par ailleurs son inquiétude : « J’ai un gros clignotant rouge qui s’allume lorsqu’on m’en parle. Ce sont des sociétés basées à l’étranger, des nébuleuses dont on ne sait pas grand-chose, et les risques sont grands. On ne peut pas vérifier si les médicaments sont des vrais ou non, et donc s’ils sont correctement dosés. Beaucoup sont sûrement des faux » s’alarme-t-il. Cette préoccupation est partagée par d’autres observateurs : une association de patients projette ainsi de porter plainte contre ces portails qui profitent de la détresse des patients.Perquisition à l'ANSM
L’existence de ces offres et le succès qu’elles rencontrent confirme la pérennité de la crise en dépit des différentes actions des pouvoirs publics. De nouveaux rebondissements sont de fait relayés chaque jour, notamment sur le front judiciaire. Ainsi, une perquisition a été conduite hier dans les locaux de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) quelques semaines après une intervention similaire auprès des laboratoires Merck. Cette action est menée dans le cadre de l’enquête ouverte par l’Office central de lutte contre les atteintes de l’environnement après le dépôt de 163 premières plaintes. À ce jour, 365 plaintes ont été recueillies. « Ce qui est intéressant avec ces perquisitions, qui sont prévisibles, c'est de voir si on parvient à saisir des documents authentiques ou si des documents disparaissent ou sont trafiqués », a observé Maître David-Olivier Kaminski, avocat de plusieurs plaignants.Pendant ce temps-là en Allemagne...
L'agitation médiatique qui perdure autour de l'affaire, à la
faveur par exemple de ce type d'épisodes judiciaires, ne concourt
pas à une prise de recul pourtant nécessaire sur l'affaire. « C’est
une situation étrange, personne n’ose parler d’un phénomène
incontrôlable. Si on parle de problème d’adaptation d’excipients,
c’est de la poudre de perlimpinpin! Il n’y a pas d’explications. On
n’ose pas parler d’effet nocebo, parce que certains disent qu’on
prendrait les patients pour des fous. On entend les paroles
d’associations, mais les médecins, on ne les entend pas. Tout est
là pour le buzz médiatique » remarque Xavier Bertagna, professeur
émérite et ancien chef du service d’endocrinologie à l’Hôpital
Cochin de Paris cité par Slate. Certains pourtant s'essaient à
l'analyse en se concentrant une nouvelle fois sur les erreurs de
communication, mais aussi, fait plus rare, sur le réel intérêt du
changement de formule. Ainsi dans Sud Ouest le professeur Bernard
Begaud (Inserm, Bordeaux) qui note que les prescriptions de
Levothyrox sont bien plus fréquentes en France qu'ailleurs constate
: « Notre pays travaille toujours à l’ancienne : faute de
mieux, l’information est prise en charge par le laboratoire Merck
qui envoie un courrier à 100 000 médecins français, insistant
curieusement plus sur les changements de présentation de la boite
que sur de possibles variations de tolérance, voire d’efficacité.
Dans nombre de cas (la majorité ?), ce courrier semblable à tant
d’autres, souvent promotionnels, ne semble pas avoir été ouvert, ni
en tout cas lu ». Puis après avoir comme d'autres
remarqué que « les autorités sont prises de court par les
possibilités de mobilisation que constituent les réseaux sociaux et
internet », il conclut avec un brin d'ironie : « Pendant
ce temps là, en Allemagne, comme dans nombre d’autres pays, on
prescrit toujours l’ancien Lévothyrox, sans a priori s’en trouver
plus mal ! »
L'affaire Levothyrox n'a pas fini de faire parler.
Aurélie Haroche