Paris, le samedi 11 novembre 2017 – C’est une situation fréquemment rencontrée par les médecins. « Fin de consultation. Je donne et j’explique les ordonnances d’antalgiques pour une intervention bénigne qui aura lieu en ambulatoire. Et là, je suis surpris par une question : "Docteur, pouvez-vous ajouter de l’arnica sur l’ordonnance ? J’en prends à chaque fois avant les opérations, et après aussi, ça m’aide bien"». La scène est racontée par l’anesthésiste auteur du blog Hic et Nunc. Quelle réaction face à une telle demande ? « Ma réponse a été facile : non. Comme un réflexe médullaire : j’ai expliqué que je ne savais pas prescrire l’arnica, qu’il y avait différents dosages et que je ne savais pas ce qui conviendrait à ce patient », indique l’auteur du blog. Pourquoi cette réponse technique et quelques mots confus du type « c’est bien, ça va vous aider, euh, merci, au revoir » plutôt que d’exposer son « avis sur l’homéopathie et d’expliquer le scandale que ça représente dans notre pays » ? Le praticien ne cache pas les raisons de cette battue en retraite : « Je pense sincèrement qu’à ma place d’anesthésiste, je ne vais pas faire un bras de fer intellectuel autour d’une croyance, piège égotique ».
Tel Don Quichotte contre les moulins à vent
Ainsi, ce médecin a-t-il refusé de faire l’expérience de la loi de Brandolini, qui n’aurait sans doute pas manqué de s’appliquer à ce cas. Brandolini est un informaticien italien qui en 2013 a énoncé une "loi" qui « stipule que la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter une idiotie est supérieure (…) à celle nécessaire pour la produire. C’est une sorte de principe d’asymétrie dans l’argumentation : répandre une rumeur ou affirmer un fait sans preuve est rapide, surtout à l’ère d’Internet. Mais la réfutation nécessite beaucoup de temps, dix fois plus selon cette "loi" de Brandolini » nous explique dans l’éditorial de son numéro d’octobre la revue Sciences et Pseudo Sciences. Notre époque permet quotidiennement de vérifier la pertinence de cette observation : quand pour jeter le discrédit sur un médicament ou une pratique, il faut de longues années d’argumentations scientifiques et médicales pour parvenir à lever le doute. Si l’on y parvient réellement. D’où, parfois, la préférence pour la passivité ; ce qui contribue inévitablement à renforcer l’enracinement des rumeurs et thèses farfelues. Il faut dire que l’adhésion aux théories du complot sanitaire et autres discours pseudo-scientifiques est d’autant plus facile qu’elle s’appuie sur des « biais cognitifs de notre cerveau, elles vont dans le sens de nos a priori et épousent les faiblesses de notre pensée », détaille Sciences et Pseudo Sciences.
Poudre de perlimpinpin
Ces différentes rumeurs confortent en effet un certain nombre d’idées préconçues, contre lesquelles nous n’avons pas toujours la force (intellectuelle et morale) de nous élever. Cette nécessaire rigueur est d’autant plus difficile à maintenir, est affaiblie, quand la maladie et la souffrance nous étreignent. Ce sont les terreaux de l’engouement pour les médecines dites parallèles. « Vous vous doutiez bien, vous, que ce n’était pas normal » pense ainsi enfin avec soulagement le patient qui rencontre pour la première fois un médecin qui paraît prêt à offrir une prise en charge à des maux mal définis et inexpliqués par les examens complémentaires.
Prêts à tout
Cette (fausse) "reconnaissance" attendue et dangereuse est
décrite par la gastroentérologue Marion Lagneau sur son blog Cris
et Chuchotements. Dans une note récente, elle décrit de manière
fictionnelle et astucieuse, le mécanisme qui pousse les patients de
la médecine traditionnelle vers les vendeurs de poudre de
perlimpinpin et de solutions miracles. La première étape est
l’absence de réponse des praticiens "classiques" face à des
symptômes multiples et mal définis. La seconde étape est la
prescription par un praticien prétendument
extraordinaire de multiples tests : « Il vous en a
prescrit un certain nombre choisis parmi une liste non exhaustive,
comprenant en tout premier la recherche d’IgG dans le sang, pour
270 aliments, au prix de 300 à 500 euros (…) Et aussi, une
recherche de candidose par tous les côtés. Salivotest, examen de
selles, test urinaire appelé indoxyl sulfate à 20 euros, analyse de
sang pour anticorps anticandida à 20 euros. Sans oublier le test de
perméabilité intestinale au lactictol et au mannitol pour explorer
les fermentations, un dosage des peptides urinaires. Ou encore un
coproscreen, mais oui, tout, tout, tout, vous saurez tout grâce à
votre caca. Si vous êtes fatigué, profil protéique complet,
phénotypes inflammatoires et antiradiculaires seront censés
explorer votre immunité. Si vous êtes stressé, un grand bilan de
stress oxydatif, et d’enzyme anti-radicaux libres. Et j’en
passe » énumère non sans ironie le praticien. Après cette
longue série d’examens : « A la seconde consultation, intoxiqué
par l’originalité d’une telle recherche sur votre personne (…),
vous étiez mûr pour recevoir les consignes thérapeutiques »
résume Marion Lagneau. Ces thérapeutiques consistent fréquemment en
la prescription de multiples compléments alimentaires et autres
vitamines et en l’établissement d’un régime drastique d’éviction
(notamment du gluten). Si souvent dans les premières heures, le
patient semble percevoir une réelle amélioration, rapidement, c’est
le désenchantement, face notamment à la lourdeur des règles
diététiques. « En fait, vous avez subi des tests inutiles,
chers, dont la valeur n’est pas reconnue en matière d’allergie. On
vous a recommandé des régimes sans valeur scientifique
documentée », conclut Marion Lagneau qui explique selon elle
la raison fondamentale du succès de ces approches non prouvées : «
Avoir des douleurs que les médecins ne sont pas capables ni
d’étiqueter ni de supprimer est pour certains intolérable, et les
rend prêts à tout tenter pour obtenir l’amélioration espérée
».
Le triomphe des paradoxes
Au-delà du décryptage de ce mécanisme, Marion Lagneau épingle plusieurs paradoxes dans l’attitude des patients quand ils sont confrontés à ces médecins « miracles » (selon son expression). Elle observe tout d’abord que le rapport aux questions financières est totalement modifié par rapport aux interrogations habituelles. « Quand d’un médecin on attend l’exceptionnel, on est prêt à investir. Pas question de se préoccuper dans ce cas du montant des honoraires, ni de leur remboursement » observe-t-elle par exemple moqueuse. Autre paradoxe : les patients souvent prompts à s’inquiéter des effets secondaires potentiels des médicaments ne sourcillent nullement face à l’avalanche de compléments alimentaires qui peut leur être recommandée. « Vous êtes ressorti de ce parcours médical vraiment satisfait. Enfin une solution définitive et non médicamenteuse (parce que les compléments alimentaires ne sont pas des médicaments, bien sûr) » relève-t-elle. Enfin, alors qu’est parfois reprochée au corps médical une absence de prise en compte des particularités de chacun, l’approche des médecines alternatives est louée pour son apparente personnalisation. Mais Marion Lagneau détrompe : « Vous ne vous en doutez pas, mais à quelques lignes près, c’est le même régime et les mêmes recommandations de suppléments que ceux des patients qui vont ont précédé dans ce bureau, et que ceux des clients qui passeront après vous », signale-t-elle.
Cette énième démonstration des difficultés de contrer les mirages des thèses "scientifiques" farfelues et des promesses médicales non fondées invite une énième fois à une réflexion sur l’éducation de tous à la pensée scientifique, mais aussi à la nécessité d’accepter que certains maux peuvent demeurer sans remède ou sans explication et d’admettre que l’on est parfois soit même à l’origine de certains troubles.
Pour poursuivre les réflexions vous pouvez relire :
Le blog Hic et nunc : http://www.nfkb0.com/2017/10/30/arnica-9-ch-x3jour/
L’éditorial de Sciences et Pseudo Sciences : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2896
Et le blog Cris et Chuchotements du docteur Lagneau :
https://cris-et-chuchotements-medicaux.net/2017/10/23/regimes-sans-gluten-sans-lait-sans-et-poudres-magiques-des-medecines-alternatives/
Aurélie Haroche