
Washington, le samedi 18 novembre 2017- Les objets «
connectés » sont à la mode et on en trouve désormais dans
tous les domaines. Le secteur se développe particulièrement pour la
santé, avec des tensiomètres connectés, des glucomètres connectés
etc… La Food and Drug Administration (FDA) vient d’ailleurs
d’autoriser la mise sur le marché aux Etats-Unis du premier
comprimé connecté.
Mais qu’est-ce qu’un comprimé connecté ? Et connecté à quoi ? Il
s’agit en réalité d’un médicament associé à un capteur comestible.
Lorsque le comprimé est "digéré" au niveau de l’estomac, un message
est automatiquement envoyé à un patch porté par le patient, qui
transmet lui-même l’information à un smartphone. Les patients
peuvent accepter de transmettre automatiquement les données
relatives à leur observance à leur médecin, et jusqu’à 4 personnes
de leur entourage.
Pour débuter, un antipsychotique
Comment ça marche ? Le capteur est constitué de magnésium et de cuivre. Lorsqu’il est digéré dans l’estomac, les deux métaux créent un faible courant électrique qui est détecté par le patch connecté situé au niveau du torse. Cette technique dépoussière les méthodes habituelles d’évaluation de l’observance, basées aujourd'hui sur des constatations cliniques, sur des questionnaires, ou encore le compte de pilule. Si le dispositif est correctement utilisé, il est en théorie impossible de passer à côté d’une prise de traitement.
Pour ce premier traitement connecté, ou pourrait-on dire "surveillé", il fallait une pathologie chronique dans laquelle le maintien de l’observance est indispensable à l’efficacité clinique. Ce nouveau capteur est en l’occurrence associé à un traitement antipsychotique, l’aripiprazole, sous le forme d’une nouvelle spécialité : Abilify MyCite, dont l’indication principale est la schizophrénie (mais qui est également utilisée dans le traitement des épisodes maniaques ou mixtes et plus rarement en association dans le traitement de la dépression).
Un choix discutable
Cette nouvelle "galénique" a donc pour objectif d’améliorer l’observance des patients. Encore faut-il accepter de porter un patch en continue… Dans l’étude de faisabilité réalisée par Otsuka en 2016 1, les patients portaient en moyenne leur patch 70,7 % du temps. Le dispositif n’a permis de détecter « que » 59,4 % des ingestions de comprimés normalement attendus. Le traitement a été bien accepté par les patients, et considéré comme un aide utile par les participants. En pratique, on ne sait pas précisément comment seraient utilisées les informations reçues par l’équipe de soin. Faut-il appeler les patients à chaque comprimé oublié ? Une autre inconnue demeure : le prix ! Quel est le coût du rajout d’un capteur sur chaque comprimé ?
L’étude a été réalisée chez des patients dans une phase
relativement stable de la maladie. On peut s’interroger sur
l’acceptation d’un tel dispositif chez des patients en phase aiguë
qui présentent généralement des idées délirantes persécutives.
Cette surveillance "en continue", que le retrait d’un patch suffit
pour annuler, serait probablement difficile à faire accepter.
On peut d’une manière générale s’interroger sur le choix de la
schizophrénie pour une première pilule connectée qui envoie des
informations à « l’insu » des patients à travers le corps
directement à des personnes extérieures.
Un intérêt pour la recherche ?
Comme le souligne la FDA, l’efficacité de ce traitement pour
augmenter l’observance thérapeutique n’est pour l’instant pas
démontrée. Et comme pour tout objet connecté dans le domaine de la
santé, il est primordial de garantir la confidentialité et la
sécurité des données collectées et envoyées par le smartphone. On
peut s’interroger en effet sur les conséquences que pourraient
avoir l’accès à ces informations, par exemple par des assureurs.
Ces derniers pourraient d’ailleurs exiger de leurs clients qu’ils
choisissent la version connectée du traitement, pour vérifier la
bonne prise du médicament.
Au-delà de ces quelques limites, attendons surtout que l’intérêt de
ce type de traitement soit prouvé. On peut en tout cas espérer
qu’une telle approche soit utilisée en recherche afin d’évaluer le
plus précisément possible la prise des traitements au cours
d’essais thérapeutiques.
Pour conclure, rappelons qu’il existe un outil très utilisé en psychiatrie qui a montré son efficacité dans le traitement de la schizophrénie par rapport aux galéniques classiques : il s’agit bien entendu des traitements retard. L’aripiprazole est d’ailleurs disponible en France en injection mensuelle sous la forme Abilify Maintena. On peut d’ailleurs regretter que les formes retard des traitements des maladies chroniques ne soient pas aussi développées dans d’autres spécialités, le problème de l’observance n’étant pas l’apanage des pathologies psychiatriques, loin de là !
Dr William Hayward