Les traumatismes psychiques durant l’enfance, en particulier, augmentent nettement le risque de trouble bipolaire, et sont également très fréquents dans la population. Ils sont aussi incriminés dans l’apparition d’autres pathologies psychiatriques comme les états de stress post traumatiques, le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), et les tentatives de suicide. Un traumatisme psychique dans l’enfance est associé à un risque multiplié par 2,14 (OR) de développer un trouble bipolaire (3). C’est également un facteurs de sévérité de la maladie (début plus précoce, plus de phases dépressives, plus d’épisodes maniaques, cycles rapides plus fréquents…) (4). En pratique, on constate que ce sont surtout les abus émotionnels qui modifient les caractéristiques cliniques du trouble bipolaire (5).
Une signature moléculaire de la maltraitance infantile
La maltraitance dans l’enfance et la consommation de cannabis à l’adolescence ont un effet synergique sur le risque de survenue de trouble bipolaire ultérieur. Le risque de développer un trouble bipolaire quand on a été exposé au cannabis est multiplié par 3. La seule consommation de cannabis est associée à une légère augmentation du risque suicidaire au cours du trouble bipolaire. Mais lorsqu’il existe en plus un antécédent d’abus sexuel dans l’enfance, la consommation de cannabis est alors responsable d’une nette augmentation de ce risque (6).Comment expliquer le lien entre l’exposition aux traumatismes psychiques et le trouble bipolaire ? L’hypothèse biologique la plus crédible repose sur la modification de l’expression des gènes via des mécanismes épigénétiques (modification de la méthylation des promoteurs de gènes d’intérêt). On commence à voir émerger des données qui explorent l’ensemble de la méthylation du génome en lien avec des facteurs traumatiques (7). On peut ainsi identifier des séquelles moléculaires des traumatismes sur des gènes associés par exemple à la régulation de développement du système nerveux central, la neurogénèse, ou la prolifération des cellules gliales. Le profil d’expression des gènes est ainsi très différent en fonction de l’exposition aux traumas.
Notons que ces résultats très intéressants sont obtenus en utilisant généralement un outil somme toute assez rudimentaire de dépistage des traumatismes de l’enfance : la CTQ (Childhood Trauma Questionnaire). Ce questionnaire qui a pour mérite d’être très facile à faire passer permet d’identifier la présence ou l’absence d’une négligence ou d’un abus physique, émotionnel ou sexuel. Mais il n’y a aucune indication sur des éléments chronologiques. On ne peut donc pas étudier la différence, par exemple, entre une maltraitance qui aurait eu lieu pendant plusieurs années au sein de la famille et un seul évènement traumatique. Ces deux scénarios ont pourtant probablement des conséquences distinctes sur la santé mentale. L’avenir dans ce domaine de recherche est donc probablement d’affiner les outils disponibles afin de préciser les liens entre les évènements négatifs précoces et le développement des troubles psychiatriques.
Dr Alexandre Haroche