États généraux de bioéthique : ça débute aujourd’hui

Paris, le jeudi 18 janvier 2018 – Sept ans après la révision des lois de bioéthique, une refonte de cette législation centrale s’impose. Si les textes ont prévu une réforme régulière, basée sur des états généraux, c’est pour répondre aux progrès incessants de la science (qui ont de fait été nombreux ces dernières années), à l’émergence de pratiques différentes et aussi aux attentes nouvelles de la société (elles aussi multiples).

Quel monde voulons-nous demain ?

Une consultation publique très large est donc aujourd’hui lancée par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui prépare ces États généraux de la bioéthique depuis plusieurs mois. L’enjeu est crucial et résumé en une question solennelle par le CCNE dans sa présentation : « Quel monde voulons-nous demain ? ». Au-delà de cette interrogation presque métaphysique, les États généraux vont se concentrer autour de neuf thèmes. Sept sont en lien avec les progrès scientifiques et technologiques.

CRISPR Cas-9, recherches sur l’embryon, screening avant implantation : des sujets hautement techniques

Il s’agit tout d’abord de s’intéresser à « la reproduction », au « développement embryonnaire » et aux « cellules souches ». Les débats auront notamment pour objectif d’évoquer la « tension éthique (…) entre le respect dû à l’embryon comme personne potentielle et l’importance de poursuivre des recherches ». Dans ce domaine, en raison de la longue interdiction de la recherche sur l’embryon, la France a connu un certain retard. Si la situation est aujourd’hui différente, des interrogations demeurent. En lien avec ces premières réflexions, le second thème concerne la « génétique et génomique ». Ici, les sujets sont aussi nombreux que complexes. Il s’agit notamment de réfléchir à l’élargissement des tests génétiques prénatals et néonatals, à l’accès au séquençage du génome et à la recherche systématique de certaines anomalies génétiques chez l’embryon avant réimplantation (dans le cadre d’une FIV). Parallèlement à ces questions, il faudra également s’intéresser aux répercussions des nouvelles techniques d’édition du génome (telles le célèbre CRISPR Cas-9).

Conservation des cellules de sang de cordon : vers une évolution ?

Ayant beaucoup occupé les spécialistes lors de l’élaboration des lois de bioéthique précédentes, les activités de prélèvement et de transplantation demeurent un point crucial. Les débats se pencheront par exemple sur la question du consentement présumé qui a été l’objet de récentes polémiques. Il s’agira également de repenser la conservation des cellules souches sanguines fœtales présentes dans le cordon ombilical, alors que la France a toujours refusé la constitution de banques privées et ne dispose pas de structures publiques offrant une réponse suffisante aux demandes.

Face aux machines

Dans notre monde bien plus numérique que celui de 2011, les discussions ne pourront éluder cet aspect. Il est ainsi prévu de réfléchir à la gestion des données de santé, en se concentrant une fois encore sur la question du consentement. De la même manière, l’attitude à adopter vis-à-vis de l’intelligence artificielle et de la robotisation animera plusieurs débats. « La présence de robots cognitifs au sein de la société (…) suscite (…) de nouveaux défis éthiques (…). Comment situer et circonscrire la responsabilité de professionnels humains vis-à-vis de ces robots ? » s’interroge par exemple le CCNE. Sur ce sujet, Jean-François Mattei, ancien membre du CCNE, juge dans son dernier livre intitulé Questions de conscience (Éditions Les liens qui libèrent) qu’une « médecine sans les médecins est impossible, car seule la communication entre deux êtres permet la confiance. Nous devons garder la maîtrise sur les machines et algorithmes, tout en nous appuyant dessus pour nous faire gagner du temps », a-t-il exposé au Café Nile (cité ici par le Quotidien du médecin).

Ne pas oublier l’environnement

Faisant parfois écho à ces considérations sur l’intelligence artificielle, le développement des neurosciences aura également une place importante au sein des états généraux qui débutent aujourd’hui. Il s’agit par exemple de questionner les usages non médicaux des neurosciences, notamment juridiques. Enfin, toujours dans le cadre des questions associées aux progrès de la science, certains débats se concentreront sur les questions environnementales. Le CCNE observe en effet que « Semble (…) s’imposer une réflexion éthique vis-à-vis des responsabilités scientifiques et techniques de l’Homme, eu égard aux progrès dans ces domaines et à leur impact sur la biodiversité ».

PMA pour toutes : le débat qui cristallise toute l’attention

Si ces très vastes sujets sont cruciaux, ils pourraient être en partie éclipsés par les thèmes liés à « des demandes sociétales » et en premier lieu ceux concernant la procréation. Un débat qui promet d’être vif sur l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes célibataires et aux couples de femmes doit en effet être conduit. Si le Président de la République s’est déclaré en faveur d’une telle option, ainsi que le CCNE et si les sondages d’opinion suggèrent que les Français sont également en accord avec cette évolution, les crispations seront inévitables et de nombreuses questions demeurent en suspens. Elles concernent notamment la prise en charge économique et la gestion des dons de sperme. Par ailleurs, parallèlement à ces discussions sur la PMA, certains espèrent pouvoir revenir sur un point systématiquement discuté lors des révisions de loi de bioéthique : la levée de l’anonymat des donneurs. Toujours refusée, notamment parce qu’elle pourrait mettre en péril le nombre de donneurs (qui aujourd’hui déjà ne permet pas d’éviter des délais dommageables pour les familles), elle reste cependant fortement espérée par ceux qui mettent en avant le droit à connaître ses origines. Le couple d’avocats Arthur et Audrey Kermalvezen, tous deux nés grâce à un don de sperme, milite ainsi activement pour un assouplissement de la loi.

La fin de vie, invitée de dernière minute

Non prévus initialement dans le débat, en raison de la révision récente des dispositions législatives et du refus a priori du gouvernement de revenir sur ces sujets, la prise en charge de la fin de la vie et ce que l’on appelle le droit de mourir dans la dignité seront finalement également intégrés dans les états généraux. Ici aussi, les discussions pourraient être vives, notamment parce que les limites de la loi Leonetti sont régulièrement interrogées par des cas largement médiatisés, qui signalent par exemple les insuffisances quant à la définition du rôle (ou du non rôle) des familles.

Débats et auditions multiples

Pour évoquer ces thèmes très larges et très riches, différents modes de contribution existent. D’abord, un site web sera accessible dans quelques jours qui « permettra à la fois à chacun de s’informer sur l’ensemble des sujets abordés mais aussi d’exprimer sa propre opinion sur les thématiques » indique le CCNE. Par ailleurs, une soixantaine de débats citoyens « ouverts au publics » vont être organisés partout en France par les Espaces éthiques régionaux. Les lieux et dates de ces réunions et les thèmes abordés sont pour la plupart déjà fixés et connus (et accessibles notamment sur le site du CCNE). Parallèlement, des rencontres seront également conduites dans les lycées et les facultés. Le CCNE mènera pour sa part au moins une centaine d’auditions de représentants d’ « associations et groupes d’intérêt, sociétés savantes et organisations confessionnelles ». Le président du CCNE, Jean-François Delfraissy, fait savoir que la liste des groupes entendus n’est pas close et que toutes les structures souhaitant apporter leur contribution peuvent le faire savoir. Le CCNE s’appuiera également sur « l’expertise des comités éthiques des principaux instituts de recherche et des académies et d’institutions ». Ces différents débats et auditions seront scrutés par le regard vigilant du Comité citoyen des États généraux, organe prévu par la loi de 2011 et constitué d’un « échantillon d’individus représentatif de la population française ». Ce dernier sera « chargé de formuler un avis critique tout au long des États généraux sur l’avancée des consultations et la méthode employée ».

Une loi cet automne

En se basant sur l’ensemble des comptes rendus de débats et des auditions (portés à la connaissance du public dès qu’ils seront disponibles), le CCNE établira un rapport de synthèse et ses recommandations qui seront remis à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) en mai avant la clôture officielle des États généraux par le Président de la République le 7 juillet (date anniversaire de la loi de 2011). Sur la base de ce document, le projet de loi sera élaboré par le gouvernement et débattu à partir de cet automne. Un travail titanesque aussi bien intellectuellement que formellement.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (2)

  • A contre courant

    Le 18 janvier 2018

    J'ai entendu ce matin sur Europe 1 un professeur de gynécologie argumenter la PMA ainsi "j'ai chaque semaine des demandes de femmes qui veulent faire un enfant, seule, et ailleurs ça se fait bien ..." Où allons nous ...si l'enfant ne plait pas on le jettera... nombrilisme, parisianisme, pensée unique descendent un peu plus le niveau de conscience de notre pauvre pays et de la famille. Désolé d'être à contre courant.

    Dr Bernard Lamy

  • Quelques réflexions sur la "Bioéthique" : les chiens aboient...

    Le 18 janvier 2018

    ...quand la caravane est là, ils hurlent à la mort; quand elle est passée, ils ont été mangés.

    Une des conséquences de la "mondialisation "scientifique et technique, c'est que ce qui n'est pas fait ici sera fait ailleurs.

    Alors les "grandes" considérations métaphysiques et moralisantes, OMSiennes, pauliniennes, coraniques, deutéronomiques, réincarnatrices et j'en passe...n'auront, à terme, aucune conséquence réelle.

    "la Morale est une angoisse sociale, et rien d'autre" (S.Freud).

    Le CCE: combien de divisions?

    Ethique? Disposition de la psyché au moment crucial (conception grecque antique): autant de psychés, autant d'éthique; donc il n'y a pas de "nous" (le "nous" est psychotique).

    Les "robots" et l'éthique? Robots = vulgaires machines à laver programmables; qui se soucie de l'éthique relative à une machine à laver.

    Plus que jamais, le "malaise dans la culture" est là, et les "Geeks" en souffrent tout autant que les autres...

    Dr Yves Darlas

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