
Paris, le vendredi 11 mai 2018 – Une semaine après la révélation par le magazine alsacien Heb’di de la scandaleuse façon dont une jeune femme de 22 ans n’a pas été prise en charge par le Samu en décembre dernier, l’émotion demeure vive en France, notamment parmi les professionnels de santé. Cette dernière a été accentuée hier par les témoignages de la famille de Naomi Musenga.
Une autopsie tardive et peu informative
Cette conférence de presse qui n’était pas destinée à apporter des éléments nouveaux mais à répondre aux nombreuses questions des journalistes a néanmoins signalé la persistance de zones d’ombre, concernant notamment la prise en charge de l’affaire par le CHU de Strasbourg après la mort de Naomi.
D’abord, il a été indiqué à plusieurs reprises que l’autopsie n’a été réalisée que cinq jours après le décès ; alors que le corps était déjà dans un état de putréfaction assez avancée (état évoqué dans le rapport d’autopsie cité par Le Monde). Les parents de Naomi, Polycarpe et Bablyne Musenga s’interrogent sur ce long délai et sur les conditions de conservation du corps de leur enfant. « Pourquoi est-ce que l’autopsie n’a pas été faite à temps ? Pourquoi a-t-on laissé le corps de ma fille en putréfaction ? Le corps de la ma fille est resté à la réa, on ne l’a pas fait descendre au frigo dans la chambre mortuaire » a assuré le père de Naomi. Il n’est pas impossible que les fêtes de fin d’année aient favorisé la désorganisation du service. En tout état de cause, la direction de l’hôpital interrogée par de nombreux médias demeure sibylline : « Concernant l’autopsie, nous ne confirmons pas qu’elle puisse être qualifiée de tardive et tous les détails concernant ce point seront disponibles lors du rendu des conclusions de l’investigation » a indiqué la direction, alors que le rendu des conclusions est prévu pour la fin du mois de mai. Réalisée cinq jours après le décès, l’autopsie n’a en outre pas pu déterminer la cause du décès. La conclusion est l’existence d’un « syndrome de défaillance multiviscérale » sur choc hémorragique. L’origine de ce choc demeure inconnue. Alors que des saignements vaginaux ont été rapportés par le praticien de SOS médecins, peut-on suspecter une grossesse extra-utérine ? Si tel est le cas, comme le suggère un de nos lecteurs, la prise en charge une fois que Naomi a enfin été admise aux urgences pourrait ne pas avoir été adaptée.
Un hôpital aux abonnés absents
Ces imprécisions concernant l’autopsie n’ont pas été connues avant plusieurs longues semaines par la famille de Naomi. Il aura fallu des appels répétés avant qu’elle puisse avoir accès aux résultats. « On devait appeler toutes les semaines, on a attendu presque deux mois » a assuré Louange Musenga, sœur de la victime. L’affaire laisse apparaître une inertie certaine de l’hôpital face à ce drame. Comme l’a immédiatement remarqué le ministre de la Santé, Agnès Buzyn, aucune alerte n’a été déclenchée pour signaler le dysfonctionnement. Pourtant ce dernier n’était pas totalement ignoré. La dernière page du rapport d’autopsie, révélée par Le Monde, fait en effet une rapide description des appels de la jeune femme au Samu et évoque même le manque de considération à l’égard de Naomi par cette mention : « SAMU rigole ++ ». Mais cette note n’aurait jamais été transmise à la direction qui affirme au Monde : « Vous me l’apprenez. Je n’ai jamais eu accès ce dossier ». Les journalistes de Heb’di ont pourtant tenté d’entrer en contact avec l’hôpital de Strasbourg pour évoquer l’affaire : « J’ai appelé l’hôpital la veille de la parution de l’article, demandé le service de communication et eu au téléphone une personne qui n’était pas au courant de la situation. Elle a pris ça de haut, l’échange a duré trente secondes, et c’était fini » regrette Thierry Hans, directeur de la publication du magazine alsacien. De fait, ce n’est qu’une fois les révélations faites par le média local, qu’enfin l’hôpital a daigné répondre aux sollicitations de la famille en les recevant. Cette chronologie de l’affaire met en évidence comment les médias, même sur le web, peuvent, en dépit des nombreuses critiques qu’ils suscitent, jouer régulièrement un rôle déterminant
Rien de grave
L’affaire interroge également sur les conditions de formation et de travail des opérateurs qui assurent la régulation téléphonique du Samu. D’abord, concernant la femme qui a répondu à Naomi Musenga, des informations contradictoires ont circulé à propos de l’engorgement du service ou de l’état de fatigue de l’opératrice, une femme jouissant d’une solide expérience (près de dix ans en tant que régulatrice téléphonique et vingt ans comme ambulancière). Finalement, nonobstant l’afflux toujours important d’appels, notamment en cette période de l’année, la direction du CHU assure que « Ce jour-là, le planning de travail ne laisse pas apparaître de conditions particulières pour l’opératrice, qui en était à son deuxième jour de travail consécutif et qui revenait d’une période de congé annuel ». La professionnelle est aujourd’hui suspendue et n’a pas nié la façon dont elle a moqué et rabroué Naomi. Certains notent cependant qu’elle a pu être conditionnée dans sa façon de prendre l’appel par la présentation qui lui avait été faite du cas par le pompier qui lui avait transmis le message d’une façon assez légère. Il est certain qu’une véritable chaîne des responsabilités est à mettre en évidence. D’une manière générale, un probable défaut de formation des personnes qui sont chargées de la régulation téléphonique a été signalé par l’ensemble des observateurs. Si des milliers d’appels reçoivent quotidiennement une prise en charge adaptée, une transmission adéquate aux médecins régulateurs, les cas de mauvaise orientation ne seraient pas si rares et sont parfois, comme dans le cas de Naomi, fatals. Ainsi, la mort de la jeune femme a rappelé le cas de Maxime Van Gertruy, mort il y a dix ans à l’âge de 23 ans d’un infarctus, après avoir attendu plus d’une heure l’intervention du Samu, dont le médecin régulateur n’avait d’abord pas cru à la gravité de son état, priant sa compagne de lui dire d’arrêter de crier et lui affirmant qu’il s’agissait d’un « point de côté ».
Soins dévoués et consciencieux
Si la répétition de tels drames apparaît donc inévitable, l’émotion d’aujourd’hui impose l’action, au moins ponctuelle. Ainsi, ce matin, l’association Samu Urgences de France a adressé à l’ensemble des Samu une note en forme de rappel : « la régulation médicale est un acte nécessitant l’apport de soins dévoués et consciencieux […]. Tous les personnels participant à cette régulation des appels doivent faire preuve d’une parfaite rigueur dans la qualité de leurs échanges avec tous leurs interlocuteurs » précise la note qui invite encore à éviter « toute familiarité, toute plaisanterie, tout propos agressif, péjoratif, méprisant ou injurieux ». « Des propos non appropriés, comme des plaisanteries échangées au sein de l’équipe de régulation ou avec des interlocuteurs extérieurs, pourront être mal interprétés et lourds de conséquences » lit-on encore. Il est certain que d’ores et déjà la disparition de Naomi a laissé des traces.
Aurélie Haroche