
Il est acquis que le dépistage endoscopique du cancer
colorectal (CCR) entraîne une baisse significative, tant de son
incidence que de sa mortalité. Cette réduction repose sur
l’ablation précoce de polypes adénomateux possiblement
précancéreux. Or ces lésions sont fréquentes, retrouvées dans
environ un tiers des colonoscopies. Les individus porteurs de
polypes adénomateux sont invités à répéter la surveillance
colonoscopique mais la relation entre découverte d’adénomes lors
d’une endoscopie et incidence lointaine du CCR est encore mal
précisée.
Un travail a été mené pour mieux analyser cette relation. Il
s’est appuyé sur l’étude d’une cohorte prospective, multicentrique
de participants enrôlés dans l’essai PLCO (Prostate,
Lung, Colorectal and Ovarian Cancer) qui avaient été
randomisés, de 1993 à 2001, pour bénéficier d’une sigmoïdoscopie
souple (FSG), tous les 3 à 5 ans, vs des soins standards.
Leur nombre était de 154 900 hommes et femmes, âgés de 55 à 74 ans.
Le suivi a été poursuivi jusqu’ au 31 Décembre 2013. Parmi eux, 15
935 on bénéficié, dans un second temps, d’une colonoscopie après un
premier dépistage par FSG positif qui avait décelé une lésion
suspecte. L’analyse des polypes découverts a porté sur leur taille,
leur nombre et leur type histologique. Il a été procédé à un
classement en 3 catégories : adénomes à un stade avancé (≥ 1 cm,
dysplasie de haut grade, histologie tubullovilleuse ou villeuse),
adénomes non évolués (< 1 cm sans histologie inquiétante) ou
absence d’adénomes. Il a aussi été précisé le nombre d’adénomes
décelés, allant de 1 à 3, voire plus. Plusieurs paramètres ont été
inclus dans l’analyse, l’âge, l’indice de masse corporelle, le
statut tabagique, l’ethnie, une histoire familiale de CCR ou encore
la prise d’aspirine ou d’ibuprofène. Les critères d’exclusion à
l’entrée dans l’étude étaient des antécédents ou la présence d’un
autre cancer concomitant ainsi que la survenue précoce d’un CCR
dans les 2 mois suivant la colonoscopie. L’élément principal
analysé a été l’incidence des CCR et, en second lieu, la mortalité
dans les 3 sous-groupes : adénome à un stade tardif, adénome non
évolué et absence d’adénome. Le suivi, pour le calcul de
l’incidence, a débuté 2 mois après l’endoscopie, évalué en
personnes-années.
Sur un collectif de 77 442 sujets randomisés pour bénéficier
d’un dépistage par FSG, 15 154 (19,6 %) ont donc eu un examen
positif et 10 606 d’entre eux (70,0 %) ont eu une colonoscopie
complémentaire. Celle-ci a permis de découvrir chez 2 882
participants (18,1 %) un adénome à un stade avancé et chez 5 068
(31,8 %) un adénome à un stade précoce. Les 7 985 autres patients
se sont révélés sans lésion adénomateuse. Dans le sous-groupe le
plus inquiétant, 2 170 avaient une lésion de 1 cm ou plus et 704 un
adénome avec dysplasie de haut grade (n= 114) ou de type villeux ou
tubulovilleux (n = 590). Dans le second groupe 4 496 étaient
porteurs d’un ou de deux lésions mais 573 présentaient 3 adénomes,
voire plus. Il s’agissait en majorité d’hommes. Aucune différence,
dans la répartition, n’était observée en fonction des antécédents
familiaux, de l’origine ethnique, de l’indice de masse corporelle,
du tabagisme ou de la prise d’anti-inflammatoires.
Plus de deux fois plus de cancers dans le groupe de patients avec un adénome évolué
Ainsi ce travail confirme-t-il que les individus porteurs
d’adénomes coliques évolués ont un risque plus grand de développer
un CCR, cette majoration du risque n’ayant pas été retrouvée en cas
d’adénomes non avancés. En outre, toujours comparé aux patients
sans adénome, leur risque de décès par cancer est majoré avec un
risque relatif (RR) significatif à 2,6 (IC : 1,2-5,7 ; p= 0,01). Le
risque de décès par cancer n’est pas augmenté si l’on comparant les
adénomes non évolués face à l’absence d’adénome (RR : 1,2 ; IC :
0,5- 2,7 ; p = 0,68). Dans le groupe adénome simple, le nombre de
lésions, égal ou supérieur à 3, n’a pas accru le risque avec un RR
à 1,01 (IC : 0,4- 2,4 ; p = 0,96) comparativement aux sujets chez
qui 1, voire 2 adénomes avaient été découverts.
La majorité (59 %) des cancers diagnostiqués au cours du suivi
étaient de localisation proximale. Il n’est pas apparu que la
localisation des adénomes pouvait influer sur celle du cancer
potentiel ultérieur ; 56,6 % des tumeurs malignes étaient de stade
I ou II, 32,7 % de stade III ou IV, 10,7 étant de stade non
précisé. Il n’y a eu aucun lien entre le stade du cancer et le type
d’adénome précédemment retrouvé. Durant le suivi, le recours à une
colonoscopie a été plus fréquent en cas de présence d’adénomes à un
stade évolué. Ils ont été plus souvent ôtés.
Nécessité d’une surveillance de longue durée en cas d’adénomes évolués, et tous les 5 à 10 ans en présence d’adénomes « simples »
Ainsi est-il démontré que les individus chez qui est découvert
un (ou des) adénome à un stade avancé ont un risque plus grand de
développer ultérieurement un CCR. Ces résultats rejoignent ceux
d’études déjà publiées dans la littérature et renforcent la
nécessité d’une surveillance colonoscopique de longue durée en cas
de découverte d’adénomes évolués. A contrario, le risque ne semble
pas majoré en cas d’adénomes peu évolués, ce résultat étant
toutefois obtenu avec une puissance statistique limitée de par le
faible nombre de cas observés. Les recommandations cliniques US
actuelles sont en faveur de la pratique d’une colonoscopie tous les
5 à 10 ans chez les patients présentant 1 à 2 adénomes à un stade
non avancé. Il est préconisé de pratiquer une colonoscopie tous les
10 ans dans le sous-groupe sans adénome à la FSG. En présence de 3
adénomes, voire plus, le risque est habituellement considéré comme
plus élevé et la recommandation est alors d’une colonoscopie tous
les 3 ans, bien que, dans ce travail, aucune différence n’a pu être
observée entre la présence de 3 adénomes ou plus vs 1 à 2 à
un stade non avancé.
La force de cette publication tient dans le fait qu’elle est
bien représentative des pratiques actuelles, qu’elle a comporté un
long suivi, avec une compliance d’ensemble très satisfaisante. A
l’inverse, il faut rappeler que la pratique d’une colonoscopie
était motivée par la découverte d’ éléments douteux lors d’une FSG
considérée comme anormale et que donc, les participants du
sous-groupe « sans adénome » n’étaient pas forcément représentatifs
de l’ensemble des populations avec colonoscopie négative. Il n’y a
pas eu de données sur de possibles investigations antérieures à
l’entrée dans l’étude. Enfin, le suivi n’a pas été standardisé et
les analyses post hoc ont pu souffrir d’une puissance statistique
limitée.
En conclusion, avec une médiane de 13 ans de suivi, il
apparait que les individus présentant, en colonoscopie, un adénome
à un stade avancé ont un risque notable de développer un CCR,
comparativement à ceux sans adénome. Il n’en va pas de même lors du
diagnostic d’adénome non évolué, avec, alors, un risque d’évolution
néoplasique similaire.
Dr Pierre Margent