La fibrillation auriculaire (FA) se définit comme une
tachyarythmie supra ventriculaire, avec activité électrique non
coordonnée et contractions atriales inefficaces. Plusieurs formes
sont possibles : FA paroxystique, persistante, permanente, en
rapport ou non avec une valvulopathie. Dans 25 % des cas, elle est
paroxystique. Elle est plus fréquente chez l’homme que chez la
femme et sa prévalence s’accroît avec l’âge. La présence d’une FA
augmente le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique,
de thrombo-embolie et favorise la formation de thrombus, notamment
dans l’appendice auriculaire gauche. En cas de FA, l’incidence
annuelle des AVC ischémiques augmente de 1,5 % par décennie,
passant de 1,3 % entre 50 et 59 ans à 5,1 % entre 80 et 89 ans.
Ceux-ci sont de mauvais pronostic, responsables globalement de 30 %
de décès à un an et de 30 % de survie avec handicap sévère. Or, le
diagnostic de FA n’est connu, au moment de l’AVC ou antérieurement,
que dans 20 % des cas environ.
Identifier une FA asymptomatique et démarrer une
anticoagulation pourrait, en théorie, être utile. L’US
Preventive Services Task Force (USPSTF) a examiné l’intérêt du
dépistage systématique d’une FA méconnue, non valvulaire, par
électrocardiographie (ECG). Elle a étudié son rapport bénéfices/
risques dans la prévention des AVC ischémiques, en soins primaires,
auprès d’une population d’adultes âgés de plus de 65 ans, indemnes
de pathologie cardiovasculaire et vivant dans des pays développés.
Les données de l’analyse ont été tirées de MEDLINE, Cochrane
Library et des registres d’essais, publiés jusqu’ en Mai 2017, puis
d’un suivi de la littérature médicale jusqu’ au 6 Juin 2018. Ont
été sélectionnés des essais cliniques randomisés en langue
anglaise, des études prospectives de cohortes et des revues
systématiques évaluant les différents traitements possibles
(warfarine, aspirine, anticoagulants oraux de nouvelle génération
ou NACO) vs un placebo ou l’absence de traitement. L’objet
principal du travail a consisté en l’étude des moyens du diagnostic
et de l’impact de ce dernier sur l’incidence des AVC, la
morbimortalité et les effets secondaires iatrogènes. Dix-sept
travaux (soit 22 articles), totalisant 135 300 participants ont été
inclus dans cette étude qui visait à répondre à 5 questions
principales.
L’ECG pas plus performant que la palpation du pouls
La première a porté sur l’avantage du diagnostic d’une FA par
ECG quant au devenir des personnes ainsi dépistées, à leur
mortalité globale, à la réduction de la morbi mortalité liée aux
AVC chez des sujets asymptomatiques. Malheureusement, l’USPSTF n’a
retrouvé aucune étude évaluant le dépistage vs un non dépistage sur
le devenir en matière de santé.
La seconde s’est intéressée à l’apport de l’ECG pour le diagnostic
de FA, par rapport à une simple palpation du pouls. Trois essais
cliniques de bonne qualité avaient été conduits à ce propos au
Royaume Uni chez des sujets dont l’âge moyen se situait entre 72 et
75 ans (n = 17 803). Ces essais ne sont pas parvenus à mettre en
évidence une différence significative entre dépistage systématique
ou opportuniste. En effet, si un dépistage systématisé par ECG a
permis d’identifier plus de nouveaux cas de FA qu’une absence
complète de dépistage, sur une période de 12 mois, la performance
de cette approche s’est révélée identique à celle plus commune de
la palpation du pouls.
La question numéro trois posée par l’USPSTF a porté sur les
erreurs possibles du dépistage de la FA par ECG chez des sujets
âgés asymptomatiques. Une étude (ancienne) portant sur 49 médecins
généralistes a révélé que le diagnostic de FA avait été méconnu
dans 20 % des cas et mal interprété dans 8 % (les cardiologues
ayant de meilleurs résultats en termes de sensibilité et de
spécificité).
La 4e question a été celle du bénéfice
éventuel de l’anticoagulation ou d’un traitement antiplaquettaire
sur le devenir en matière de santé de sujets âgés porteurs d’une
FA, le plus souvent non valvulaire et de longue durée. Aucun essai
clinique ou revue systématique n’a concerné spécifiquement les
patients dépistés de manière systématique. Les essais ont évalué la
warfarine, l’aspirine et ou leur association ; 5 ont porté sur la
warfarine, dont 4 contre placebo ; la moyenne d’âge des patients
allait de 67 à 74 ans. Une hypertension artérielle était présente
dans 32 à 58 % des observations et un diabète dans des proportions
de 12 à 18 %. La FA évoluait depuis au moins un an. Il apparaît
qu’un traitement par warfarine, d’une durée moyenne de 1,5 ans, est
associé à une réduction de la mortalité globale (risque relatif RR
: 0,68 ; intervalle de confiance à 95 % [IC] : 0,50 à 0,93), des
AVC ischémiques (RR : 0,32 ; IC : 0,20- 0,51), des AVC avec
séquelles allant de modérées àsévères (RR : 0,38 ; IC : 0,19- 0,71)
comparativement à une population contrôle. Le nombre de patients à
traiter par warfarine pour prévenir un cas d’AVC a été de 24. Pour
1 000 individus de plus de 65 ans, avec un risque d’AVC de 4 % par
an, l’anticoagulation réduit le nombre annuel d’ictus de 28 et de
16 celui des décès. Après méta-analyses de données individuelles,
il a été démontré que ce bénéfice était plus marqué chez les hommes
que chez les femmes. Le recours à des NACO entraîne également une
réduction significative du risque d’AVC, comparativement à un
placebo (Odds Ratio OR ajusté allant de 0,32 à 0,44). En analyse
multivariée, incluant le score de risque d’AVC, le temps de
traitement, la durée du suivi, l’efficacité des NACO a paru
comparable à celle des antagonistes de la vitamine K.
Des traitements efficaces mais non dénués de danger
La 5e question débattue par l’USPSTF a
été celle des dangers des traitements en cas de FA diagnostiquée
chez des sujets âgés asymptomatiques. Six essais cliniques et 7
revues systématiques ont été analysés. La warfarine a été associée
à un risque patent de saignement majeur (RR : 1,8 ; IC : 0,9-3,7),
non seulement extra-crânien (RR : 1,6 ; IC : 0,7-3 ,6) mais aussi
par hémorragie intracérébrale (RR : 1,9 ; IC : 0,6-6,7) , les
intervalles de confiance et les différences entre groupes restant
toutefois non significatifs. Les NACO (apixaban, dabigatran,
edoxaban) ont été aussi associés à un risque de saignement mais de
façon moindre, l’OR se situant entre 0,64 et 0,85 et la différence
n’apparaissant significative que pour l’edoxaban (OR : 0,64 ; IC :
0,46- 0,90).
Ainsi, l’USPSTF n’a pu retrouver aucune étude sur l’intérêt
clinique du dépistage électrocardiographique de la FA, ni sur les
effets secondaires liés au dépistage chez des sujets âgés
asymptomatiques, vs un non dépistage. Un essai a certes montré
qu’une recherche systématique par ECG permettait la découverte de
cas plus nombreux de FA qu’ une absence de dépistage mais leur
nombre était équivalent à celui des cas dépistés par palpation du
pouls. Le risque potentiel du dépistage ECG tient essentiellement
aux erreurs d’interprétation, pouvant conduire à la mise en route
de traitements non justifiés. L’USPSTF confirme qu’une
anticoagulation réduit le risque d’AVC et la mortalité globale dans
des populations de sujets âgés, asymptomatiques, porteurs d’une FA
non valvulaire et sans antécédents d’AVC ni d’AIT. Une estimation
laisse à penser que, pour 1 000 individus, la mise en route d’un
traitement amène une réduction absolue de 16 décès et de 28
accidents cérébraux ischémiques par an, avec, en contrepartie, la
survenue de 5 saignements majeurs annuels. Les NACO ont une
efficacité similaire pour la réduction des AVC, le risque d’embolie
systémique et la mortalité globale.
Ce travail doit être associé à quelques réserves. La
sensibilité et la spécificité ont pu dépendre de l’examinateur et
du type d’ECG utilisé. En second lieu, le bénéfice du contrôle de
la fréquence vs le contrôle du rythme cardiaque en présence
d’une FA n’a pas été évalué, l’American Heart Association/
American College of Cardiology/ Heart Rythm Society préconisant
de viser une fréquence cardiaque inférieure à 110 battements/minute
en cas de FA asymptomatique. Enfin, aucune comparaison n’a été
effectuée entre les diverses thérapeutiques proposées.
En conclusion, un dépistage électrocardiographique peut
effectivement détecter des cas méconnus de FA mais dans un nombre
analogue à celui dépisté par palpation du pouls. Le traitement par
anticoagulants réduit le risque d’AVC ischémiques et la mortalité
globale, au prix d’une augmentation du risque hémorragique.
Je ne sais pas comment on fait la différence au pouls entre FA et extrasystolie importante. De plus il aurait été intéressant de connaitre les résultats d'efficacité et de saignements avec l'aspirine.
Dr Pierre-André Coulon
J'ai déjà vu une machine faire l'erreur
Le 08 septembre 2018
Pour répondre au Dr Pierre-André Coulon, il est connu que l'aspirine n'a aucun intérêt dans la prévention des accidents vasculaires liés à une FA. Je m'étonne que, même "s'ils ne sont que des généralistes" ils puissent se tromper sur une FA. Si un jour j'ai un doute, j'adresserai le patient au cardiologue qui rectifiera le tir. Par contre, j'ai déjà vu une machine faire l'erreur (croire qu'il existe une FA alors qu'il ne s'agit que d'une trémulation du patient).
Dr J-P Pau Saint-Martin
J'ai détecté au pouls un bloc AV intermittent
Le 09 septembre 2018
Je suis un ancien chef d'un service de médecine interne. En faisant mon tour de salle, je prenais le pouls des malades tout en leur parlant. Assez souvent je détectais des arythmies. Avec un peu de patience, je faisais le différence entre des E.S. et un accès de FA. En palpant mon pouls, j'ai même détecté un bloc AV intermittent car, après la systole, il n'y avait pas de chute de tension. Le cardiologue que j'ai consulté est resté poli. Mais après avoir constaté sur l'ECG que j'avais raison, il a éclaté de rire. "Celle-là, on ne me l'avait jamais fait" !