
Que devrait-on dépenser pour obtenir un vaccin quand survient
une épidémie ?
C’est la question à laquelle une étude de minimisation des
risques parue dans le Lancet a tenté de répondre. Rappelons
qu’au sein des grands types d’études médico-économiques
(coût-efficacité, cout-utilité, cout-bénéfices, notamment), celles
de minimisation des coûts tentent de déterminer la stratégie
optimisant les coûts parmi plusieurs stratégies jugées comme ayant
une efficacité clinique comparable. Le constat des auteurs est le
suivant : en général, le développement d’un vaccin, depuis la
découverte jusqu’à l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché), peut
durer plus de dix ans, coûter plusieurs milliards de dollars, tout
en ayant 94 % de risque d’échouer. Ces données posées, comment
escompter et prévoir l’effort financier dans l’hypothèse d’un
besoin urgent de vaccin ?
Une analyse sur onze pathogènes identifiés comme prioritaires
Soutenu par Globvac (Global Health and Vaccination
Programme), c’est à Oslo que Dimitrios Gouglas et son équipe de
l’Institut de santé publique norvégien ont tenté, avec l’aide du
CEPI, d’esquisser les coûts d’une telle entreprise. Créé en 2016,
le CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations) a
précisément pour but de soutenir et financer la recherche sur le
développement de nouveaux vaccins contre les maladies infectieuses
épidémiques, dans le but de se préparer et d’anticiper les
conséquences de nouvelles flambées épidémiques. À la suite de
l’épidémie d’Ebola en 2014, l’Organisation Mondiale de la Santé a
désigné les onze pathogènes les plus susceptibles de causer de
sévères épidémies dans le futur : les virus Ebola, Lassa, Marburg,
Zika, Nipah, les coronavirus responsables du Syndrome Respiratoire
Aigu Sévère (SRAS), du syndrome respiratoire du Moyen-Orient
(MERS-CoV), le chikungunya, la fièvre hémorragique de Crimée-Congo,
la fièvre de la vallée du Rift, le syndrome de fièvre sévère avec
thrombocytopénie. C’est sur le développement de vaccins contre ces
onze micro-organismes que le travail des auteurs s’est
focalisé.
Quatre étapes analytiques distinctes se sont succédé. La
première consistait en la cartographie du pipeline de
vaccins-candidats en développement de la phase préclinique à la
phase 2a et au recueil des coûts rapportés par les développeurs de
ces vaccins (l’exactitude de ces coûts déclarés n’a pu être
vérifiée). Deux cent vingt-quatre candidats-vaccins ont ainsi été
identifiés. Ensuite, les principaux paramètres influant sur les
coûts du développement de vaccins ont été estimés d’après les
études publiées et l’usage de différentes techniques statistiques.
Puis, les probabilités de succès des candidats-vaccins (1)
,estimées cette fois encore d’après la littérature, ont été
utilisées avec les coûts déclarés comme données d'entrée pour des
simulations de type Monte Carlo (très grand nombre de simulations
avec des données différentes obéissant à des lois de probabilités
spécifiques) afin de simuler les coûts ajustés sur les probabilités
de succès. Les résultats de simulation ainsi obtenus ont servi de
base pour déterminer, pour chacun des onze pathogènes, le coût
minimum nécessaire pour développer un vaccin au moins jusqu’en
phase 2b-3, à l'aide d'un modèle stochastique d’optimisation. En
effet, les auteurs précisent que les simulations permettent des
analyses profondes amenant à la perception d’un panel de situations
différentes mais n'ont pas la capacité à démontrer la solution
optimale dans ces cas de figure. Etant donnée la nature
profondément risquée du domaine de la R&D vaccinale, l’approche
stochastique est selon eux plus à même d’appréhender des réflexions
réalistes dans un domaine touchant à la santé (rappelons que la
méthode Monte Carlo est surtout utilisée par les financiers – elle
permet « d'introduire une approche statistique du risque dans une
décision financière (2) »).
Entre 2,8 et 3,7 milliards de dollars pour au moins un vaccin efficace
Ainsi, le coût estimé pour le développement d’un seul vaccin
contre une des maladies infectieuses ciblées, entre la phase
préclinique et la fin de la phase 2a est de 31 à 68 millions de
dollars sans considérer le risque d’échec. En couplant aux
probabilités de succès, le coût moyen pour le développement d’un
tel vaccin avec succès peut varier d'une fourchette de 84 – 112
millions de dollars, si on se place en début de phase 2, à une
fourchette de 319 – 469 millions de dollars en début de phase
préclinique. Ces chiffres incluent cette fois les coûts cumulés des
échecs des candidats-vaccins au cours du processus de Recherche et
Développement. Dans ces conditions, la progression d’au moins un
vaccin jusqu’à la fin de la phase 2a pour chacun des onze
pathogènes ciblés couterait, au minimum, entre 2,8 et 3,7 milliards
de dollars.
1) Les chiffres retrouvés dans cette étude montrent que seuls 10,7% des candidats-vaccins passent le cap de la phase 1 et 2,7% celui de la phase 2. Ces chiffres sont beaucoup plus bas que pour les autres médicaments (environ 10% des candidats initiaux obtiennent l’AMM d’après une étude de 2016 du journal of health economics, Innovation in the pharmaceutical industry: New estimates of R&D costs, DiMasi et Al.).
2) D’après le lexique financier des Echos, disponible à l’adresse suivante : https://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_methode-de-monte-carlo.html
3) Directeur médical chez GeneOne et chef du département de maladies infectieuses du Morristown Medical Center, ancien professeur d’infectiologie de la Pennsylvania School of Medicine (d’après Bloomberg).
Dr Justine Diehl