
Paris, le samedi 1er décembre 2018 – Impossible d’y échapper, même sur le JIM, la révélation par un consortium de journalistes du monde entier des failles dans l’évaluation et dans la régulation des dispositifs médicaux a constitué l’évènement de la semaine sur les sites et journaux s’intéressant à la santé et à la médecine. Certificateurs trop peu consciencieux, validations reposant sur des dossiers bien minces, dispositifs dangereux : les critiques ont été nombreuses et les chiffres avancés suggéraient un véritable scandale sanitaire. Pourtant, certains éléments invitaient à la distance.
Déjà, dans le JIM nous avions remarqué que les données évoquant une forte augmentation du nombre de signalements ne permettaient pas de distinguer la gravité des incidents rapportés et de déterminer dans quelle proportion l’imputabilité avait pu être démontrée. D’autres ont également pu constater que si la gestion des dispositifs médicaux manque probablement de transparence, certaines enquêtes journalistes peuvent également se voir reprocher un tel défaut.
Des essais cliniques indispensables pour certains dispositifs… sauf s’ils ont déjà été conduits !
Ainsi, le pharmacien auteur du blog La Coupe d’Hygie ne cache pas son malaise face aux échos suscités par le dossier Implant Files. Il revient sur les raccourcis et autres éléments dérangeants de cette enquête. Les principales accusations des journalistes concernent la faiblesse des dossiers de validation. Ils dénoncent par exemple l’absence « d’essais cliniques pour des mèches vaginales ». Le pharmacien blogueur remarque que la vérité est un peu plus complexe : « Une mèche vaginale est un dispositif de classe III qui nécessite un essai clinique, sauf si vous apportez suffisamment de données cliniques pour démontrer que vous êtes comparable à un concurrent sur le marché qui a réalisé ces essais. Soit une procédure similaire à l’enregistrement d’un médicament générique », fait-il observer.
Des trous dans l’explication du filet à mandarines
Au-delà de cette nuance, les journalistes ont tenté de démontrer la facilité avec laquelle il serait possible d’obtenir le marquage CE pour un dispositif médical. Ainsi, l’exemple de la prétendue validation par une journaliste hollandaise d’un filet de mandarines en guise de dispositif contre le prolapsus a été beaucoup commenté. Le décryptage de la Coupe d’Hygie offre cependant de nombreux éléments rassurants (et potentiellement décevants quant aux démonstrations de ceux qui font de la transparence leur principal argument !). Il signale ainsi que dans la vidéo relatant cette expérience hollandaise « plusieurs informations majeures sont absentes ». D’abord, un professeur de médecine de l’Université d’Oxford « a accepté de rédiger un faux rapport clinique. Ce soutien apporte un poids énorme à l’étude du dossier » et cela « contredit (…) les affirmations indiquant qu’il est très facile d’obtenir une approbation ». Par ailleurs, la journaliste n’a jamais obtenu de marquage CE pour son filet à mandarine. Elle a, à l’issue de rendez-vous de présentation informels (et non d’évaluation) obtenu un « accord de principe » s’appuyant sur le fait que le dossier paraissait complet. Le « fond du dossier » n’a pour sa part jamais été évalué. Il n’y a pas eu d’audits et autres procédures, indispensables au processus. « Dans la vidéo du journal Le Monde, à aucun moment on ne vous explique que le produit n’a pas fait l’objet d’une évaluation sur le fond, que des audits auraient dû avoir lieu et que les accords de principe n’en sont pas vraiment » résume le pharmacien.
S’implanter dans le crâne que corrélation n’est pas causalité !
Outre une critique de la possible légèreté des certificateurs, l’enquête Implant Files met en avant des chiffres apparemment accablants visant à démontrer la dangerosité des dispositifs médicaux. Il a notamment été signalé qu’aux Etats-Unis, on recenserait « 5,4 millions d’incidents, 82 000 morts en 10 ans ». Quelle hécatombe ! Mais là encore, la réalité diffère légèrement. « Le journal le Monde a été récupéré ces chiffres dans la base de données MAUDE publiés par la FDA. Cette base permet de recenser tous les incidents rapportés impliquant potentiellement un dispositif médical. Attention, ce mot est important : potentiellement. Mais la base de données ne détermine pas l’imputation de l’incident aux dispositifs. Pour faire ce travail, il faut aller lire les narratifs ». Or, la consultation de ces descriptifs permet de confirmer que dans de nombreux cas le lien avec le dispositif médical est loin d’avoir été établi.
Pour beaucoup de situations, il existe uniquement une concomitance entre la maladie ou le décès et le fait d’avoir utilisé/possédé ce dispositif médical. « Corrélation n’est pas causalité ! Combien de fois faudra-t-il le dire » se désole le pharmacien.
Que penser des autres enquêtes ?
Pourtant, l’auteur de la Coupe d’Hygie ne nie pas qu’il existe « un manque global de transparence concernant les dispositifs médicaux » et regrette l’absence en France de « base de données librement accessible permettant d’avoir accès à l’ensemble des dispositifs médicaux mis sur le marché ». Cependant, il ne cache pas sa déception vis-à-vis de cette enquête, présentée comme une victoire du journalisme indépendant. « Il semble désormais que la présentation d’information façon Wikileaks soit devenue un style journalistique en vogue (…). Je n’aime pas ce nouveau style. Il me fatigue. A chaque fois que le sujet traité concerne un domaine où j’ai des connaissances ou une expertise, je note des erreurs factuelles, une présentation biaisée voire des procédés hautement critiquables. Alors j’extrapole à tous les sujets », conclut-il.
Alors que ce décryptage d’Implant Files révèle de fait une
nouvelle fois la complexité d’une information transparente sur de
nombreux sujets, beaucoup voudront sans doute lire in extenso
l’analyse de ce pharmacien vigilant.
http://lacoupedhygie.fr/index.php/2018/11/27/le-faux-scandale-des-dispositifs-medicaux/
Aurélie Haroche