Hôpitaux, santé publique, fakemed : les rendez-vous manqués d’Agnès Buzyn en 2018 ?
Paris, le lundi 31 décembre 2018 – Agnès Buzyn est toujours là.
Pourtant, à l’occasion du remaniement au mois d’octobre, certains
commentateurs suggéraient que le ministre de la Santé aurait pu
faire partie des sortants. Le ministre, peu expérimenté en
politique, apparaissait en effet fragilisé, notamment après ses
déclarations maladroites pour expliquer le retard du dévoilement du
plan pauvreté, qui lui avaient valu les foudres d’Emmanuel Macron.
Surtout, alors qu’elle bénéficiait chez les professionnels de santé
d’un fort capital de sympathie lors de son arrivée avenue de Ségur
où elle remplaçait une Marisol Touraine honnie, en septembre, selon
un sondage réalisé sur notre site, ils n’étaient que 21 % à se
déclarer satisfaits de son action, 38 % à se déclarer toujours en
attente et autant à être déjà déçus. Mais Agnès Buzyn est
toujours là. Et sans doute cette année 2018 est à l’image de cette
stabilité menacée et de cet équilibre précaire.
Des débuts en fanfare et en toute immunité
L’année 2018 aurait pu être éclatante pour Agnès Buzyn. En
janvier, elle jouit encore d’une solide confiance auprès des
professionnels de santé qui au printemps 2017 l’ont quasiment
unanimement accueillie comme une sauveuse et ont loué son sens de
l’écoute et du dialogue. Elle débute par ailleurs l’année avec une
mesure forte, manifestant une capacité d’action et de fermeté
bienvenue après de longues tergiversations : l’extension de
l’obligation vaccinale pour les nourrissons ; une mesure largement
soutenue par les professionnels de santé, à l’exception de quelques
pourfendeurs de tout concept d’obligation. Le dispositif se
révélera très vite efficace : les premiers chiffres des couvertures
vaccinales publiés en cette fin d’année montrent une progression
certaine, y compris en ce qui concerne des vaccins non concernés
par l’obligation, telle la protection contre la grippe. Sa
nécessité sera par ailleurs confirmée par la persistance de
l’épidémie de rougeole en France et dans toute l’Europe et par la
perpétuation de discours anti vaccinaux dangereux et ubuesques,
diffusés parfois par des médecins réputés, comme le professeur
Joyeux, qui en 2018 a bénéficié de la position ambiguë du Conseil
de l’Ordre.
Oublier les médicaments contre la maladie d’Alzheimer… mais
aussi la lutte contre l’alcool
Son courage concernant la vaccination n’aura pas été le seul
point fort en matière de santé publique. Outre une bonne gestion
remarquée de la canicule, on pourra également rappeler son accord
donné au remboursement des préservatifs sur prescription ou encore
sa fermeté lors du déremboursement des médicaments indiqués contre
la maladie d’Alzheimer. Sur ce dernier sujet, Agnès Buzyn a su
résister à certaines polémiques et accepté de trancher un débat qui
perdurait depuis de longues années. Mais plusieurs déceptions
altèrent ce bilan. Ainsi, sur l’alcool, beaucoup lui ont reproché
sa frilosité et ses atermoiements, à l’exception peut-être, mais
uniquement en paroles, sur la question de l’alcoolisation fœtale.
L’autorisation en cette fin d’année de la mise sur le marché du
baclofène dans la prise en charge de l’alcoolo dépendance, mais
avec des restrictions assez fortes, ne suffira sans doute pas aux
acteurs de la lutte contre l’alcool pour retenir 2018 comme une
année déterminante.
La raison scientifique à dose homéopathique
De la même manière, sur des sujets où son arbitrage
scientifique était espéré, Agnès Buzyn a été inaudible. L’année
2018 a ainsi été marquée par un mouvement à de nombreux égards
inédit contre ce qui est appelé par certains les fakemed. Au
printemps, 120 professionnels de santé, majoritairement des jeunes
médecins, ont lancé une charge sans appel contre les médecines
alternatives et parmi elles l’homéopathie. Au nom de l’obligation
de refuser les traitements n’ayant fait aucune preuve de leur
efficacité et pouvant parfois conduire à des dérives regrettables
(pour ne pas dire dangereuses), ces praticiens appelaient à un
véritable sursaut des pouvoirs publics, avec des condamnations
claires et un déremboursement immédiat. Mais alors que l’Ordre a
semblé plus prompt à pourfendre un hypothétique manque de
confraternité des opposants à l’homéopathie que la pratique de
l’homéopathie, Agnès Buzyn a multiplié les déclarations ambiguës et
confuses pour finir par ne pas trancher et laisser à une HAS, aussi
timorée qu’elle, le soin de repousser aux calendes toute décision.
Sur l’affaire des agénésies transverses des membres supérieurs
(ATMS) et la volonté de certains de crier au scandale, accusant
Santé publique France de vouloir dissimuler la vérité, Agnès Buzyn
aura également parfois manqué de clarté. Elle aura ainsi assuré
qu’il ne lui importait guère de savoir s’il existait réellement un
excès de cas dans l’Ain, alors que cette question apparaissait au
contraire un préalable déterminant pour évaluer le phénomène.
Finalement, sa promesse d’une nouvelle enquête locale et nationale
aura cependant apaisé les esprits.
Le retour du mépris
Si sur le plan de la santé publique, Agnès Buzyn peut sans
mauvaise foi valoriser ses atouts sans trop rougir de ses
faiblesses (compte tenu de la sensibilité des sujets), en matière
d’organisation des soins, d’économie de la santé et de rapport avec
les professionnels, un tel bilan sera plus difficile à soutenir. Il
n’est guère peut-être que face aux médecins intérimaires,
organisant une fronde pour rejeter les plafonds de rémunération les
concernant entrés en vigueur cette année, qu’Agnès Buzyn a pu
exercer un véritable leadership. Mais pour panser les souffrances
des agents hospitaliers ou proposer un plan rassurant, elle a été
inefficace. En cette fin d’année, la déception et un nouveau
sentiment de mépris dominent chez beaucoup. Ainsi, les infirmières
(notamment libérales), en dépit du lancement des premières
formations pour les futures infirmières de pratique avancée (IPA),
nouveau métier dont les contours n’ont pas parfaitement satisfait
les premières intéressées, se montrent amères. Leurs négociations
ont patiné et n’ont toujours pas abouti, tandis qu’elles constatent
que pas plus que son prédécesseur, Agnès Buzyn ne se montre à
l’écoute de leurs attentes.
Revirements douloureux
A l’hôpital, un désamour cuisant est également en train de
s’installer. Agnès Buzyn n’a semblé jouer que de mots. C’est un
monde hospitalier en crise, qui vient de traverser une année
marquée par un nombre record de mouvements sociaux, qui affronte en
janvier 2018 une épidémie de grippe heureusement moins intense que
l’année précédente mais un hiver rigoureux. Dans certaines chambres
de mourant, la température descend en dessous de quinze degrés et
des chefs de service s’en émeuvent. Agnès Buzyn paraît d’abord
prendre la mesure de la crise. Alors qu’un millier de
professionnels de santé, emmenés notamment par le Pr André
Grimaldi, signaient en janvier un appel pour dénoncer une situation
inquiétante des établissements hospitaliers et réclamer une réforme
efficace et rapide, le ministre assurait : « Si j’étais encore
une hospitalière, j’aurais probablement signé l’appel des 1 000
». Pourtant, les incompréhensions se multiplient. Au printemps,
alors que les tensions sont nombreuses aux urgences et que certains
ont pris l’initiative de mettre en place un score pour mesurer le
nombre de patients contraints de passer la nuit sur un brancard,
elle semble minimiser : « J’en ai assez du discours
catastrophiste sur l’hôpital. Nos hôpitaux publics font un travail
remarquable », complétant encore : « Je vous rappelle que 64
services d’urgences sont en surchauffe sur 650, soit 10 %. C’est
beaucoup, mais ce n’est que 10 % » relève-t-elle, tenant à
propos des Etablissement hébergeant des personnes âgées dépendantes
traversant une crise difficile sur fond de réforme tarifaire un
discours similaire. On l’entendra encore à Rouen accompagnant
Emmanuel Macron lors de la visite de l’hôpital rétorquer à des
soignants se plaignant du manque d’effectifs et de moyens : «
L’activité dans les hôpitaux a baissé de 2 % alors qu’on
augmente les budgets ».
Année -1 pour la téléconsultation et les assistants
médicaux
Les petites phrases creusent la rupture entre l’exécutif et le
monde hospitalier, en attente d’une grande réforme sans cesse
repoussée, tandis que de nouveaux scandales bouleversent l’opinion.
Au printemps, la voix de Naomi Musenga ébranle les Français. La
jeune femme qui implore l’opératrice du Samu de lui envoyer
quelqu’un alors qu’elle se sent mourir se voit répondre sèchement
d’appeler SOS médecins. Si une faute personnelle, que les
meilleures formations et conditions de travail du monde ne
pourraient totalement empêcher, est sans doute à l’origine de ce
drame, il met cependant en lumière le flou qui domine dans le
recrutement des agents de régulation médicale. Là encore Agnès
Buzyn tempête, promet, mais n’accouche que tardivement d’une
ébauche de réforme (avec la possibilité d’une formation d’un an de
tous les agents de régulation). Pour l’ensemble du système de
soins, c’est septembre qu’il faudra attendre et le dévoilement,
solennel, du plan « Ma santé 2022 ». Au-delà de ce titre
prometteur, les fonds promis n’ont pas été considérés comme
suffisants mais quelques idées ont retenu l’attention comme le
déploiement d’assistants médicaux pour permettre aux médecins
libéraux de dégager du temps médical. A l’image de cette annonce,
l’année 2018 aura été pour les médecins libéraux celle des
promesses à concrétiser, telle celle de la télémédecine qui
désormais bénéficie d’une véritable tarification, ce qui pour
l’heure cependant n’a pas encore conduit les praticiens à
transformer l’essai.
CMU-C et 100 % santé : les rendez-vous manqués
Décevant une grande partie des professionnels de santé, le
gouvernement n’aura pas plus su enthousiasmer les Français en
matière de gestion des dépenses sanitaires. Certaines mesures
phares qui auraient pu jouer un rôle déterminant face à la crise du
pouvoir d’achat qui a marqué cette fin d’année n’ont pas su
s’imposer.
Ainsi, l’élargissement de la couverture médicale universelle
complémentaire et les premiers pas du 100 % santé n’ont semble-t-il
pas été considérés comme des gages suffisants de l’engagement du
gouvernement en matière de réduction des frais de santé. Il faut
dire que la (fausse) naïveté du gouvernement consistant à affirmer
que le reste à charge zéro pour certaines prothèses dentaires et
auditives et pour une partie des lunettes ne serait pas compensé
par une augmentation des cotisations des mutuelles a pu refroidir
les enthousiasmes. De la même manière, les atermoiements estivaux
sur la gestion des dépenses liées aux arrêts de travail ont pu
susciter quelques crispations.
En attendant 2019 !
Éreintés par cette année de désaffection majeure, marquée non
seulement par certains faux pas mais également par la persistance
de crises sanitaires complexes parce que non univoques concernant
les médicaments (Lévothyrox, Valsartan), l’alimentation (Lactalis)
ou la société (« violences » obstétricales, harcèlement), le
gouvernement et Agnès Buzyn doivent désormais préparer leurs armes
pour les dossiers difficiles qui les attentent en 2019. Les
discussions autour de la réforme des lois de bioéthique, préparée
cette année par des états généraux qui n’ont pu que confirmer la
difficulté de l’exercice (avec la prédominance de discours
militants dans les participations et l’impossibilité d’établir des
synthèses), la définition d’un cadre précis pour l’accès au
cannabis thérapeutique et plus certainement encore le déploiement
d’une réforme des études médicales dont les contours aujourd’hui
demeurent flous (beaucoup considérant que se met en place une PACES
qui ne dit pas son nom) sont notamment au menu des pouvoirs publics
; auxquels il n’est pas partisan, face à l’importance des enjeux
pour l’ensemble des Français, de souhaiter, malgré tout, une bonne
année !
... on se demande parfois pourquoi tant acceptent encore cette responsabilité où on ne prend souvent que des coups !
Dr Olivier Kourilsky
Le coût administratif dans les hôpitaux ?
Le 03 janvier 2019
Et personne n'évoque l'étude objective et qui me semble indispensable du coût des dépenses administratives dans nos hôpitaux. L'étude du rapport coût des productifs/coût des "improductifs" est pourtant un grand classique dans toute activité bien gérée. Et produire des soins est une production comme une autre.
Dr Yves Gille
Exsanguer le métier d'infirmière
Le 04 janvier 2019
Il est oublié dans cette litanie, le recrutement des IDE sans le bac. La profession se remettait tout juste de l'exercice partiel... Que de coup de canifs... On va finir pas exsanguer le métier en créant une crise des vocations sans précédent. Il n'y a qu'à l'étranger, en comparaison des diplômes et des compétences, que l'IDE française est reconnue avec une technicité qui ne fait pas rougir. Qu'à l'étranger hélàs... parce qu'en France, même pas un parcours doctorant à l'horizon... enfin sans le bac, ça va devenir de plus en plus difficile. Mais ça ne sert à rien cette équivalence de licence, non ? De la poudre aux yeux. Sans doute pour ça qu'on pleure.