Santé mentale, vérité, rôle de la science au cœur du débat entre les intellectuels et Emmanuel Macron

Paris, le mardi 19 mars 2019 - Difficile de savoir si au lendemain d’un week-end de chaos, l’organisation à l’Élysée d’un débat avec une soixantaine d’intellectuels soit perçue comme la meilleure des réponses. Cette rencontre entre Emmanuel Macron et des chercheurs de tous horizons, des philosophes, des médecins et des journalistes, témoignait en tout état de cause d’une volonté de clore le Grand débat par une réflexion plus globale et plus synthétique. Ainsi, pendant huit heures, le Président de la République et plusieurs de ses ministres ont répondu aux observations et interrogations d’intellectuels, dans le cadre d’une rencontre organisée par France Culture.

Améliorer la psychiatrie : une ambition pour la France

Après de riches discussions sur les enjeux sociologiques et politiques de la crise des gilets jaunes ainsi que sur la fiscalité, plusieurs intervenants ont évoqué l’organisation des soins d’une part et l’état de la recherche d’autre part. Ainsi, Boris Cyrulnik a insisté sur la nécessité de mieux entourer les jeunes enfants et d’une manière générale d’insuffler une nouvelle politique de santé mentale. Il a à cet égard déploré que la part du budget de la santé consacré à la psychiatrie ne dépasse pas 4 %. Le neurologue et psychiatre a insisté sur la nécessité de « moderniser » la psychiatrie française, qui « n’a jamais été aussi délabrée qu’aujourd’hui ». Lui faisant écho, le médecin et obstétricien René Frydman a estimé que le projet de loi de santé débattu depuis hier devait être l’occasion de repenser certaines organisations. Au-delà, à la veille de la révision des lois de bioéthique, le praticien a une nouvelle fois jugé que toute extension de la PMA nécessitait d’en améliorer les techniques et les moyens. A ces différentes remarques, dans la lignée de Boris Cyrulnik, le Président de la République a constaté que « les enfants sont les absents de ce grand débat et seuls les chercheurs peuvent les défendre », réaffirmant encore que « le projet éducatif doit être un pilier ». Il a par ailleurs assuré que l’amélioration de la psychiatrie est une « ambition que l’on doit conduire en France ».

Manque d’attractivité vs autodénigrement

Plusieurs chercheurs ont parallèlement tenu à évoquer les difficultés de la recherche en France. Ainsi, Jules Hoffman, prix Nobel de médecine en 2011 a estimé indispensable que « les carrières de la recherche soient plus attractives. La situation des jeunes chercheurs est honteuse pour notre pays ». Serge Haroche, prix Nobel de physique en 2012 lui a fait écho en regrettant que de nombreux « esprits brillants, désabusés, choisissent une autre voie » face au « sort réservé aux jeunes chercheurs et le manque d’attractivité des carrières scientifiques ». Le Président de la République a voulu les conforter en estimant à son tour essentiel de « garder l’excellence scientifique dans notre pays ». A cet égard, il a rappelé que le ministre de l’Enseignement supérieur préparait actuellement un projet de loi dédié à la recherche, précision qui a quelque peu déçu Serge Haroche qui a estimé qu’il ne faudrait pas pouvoir penser « que (…) la question de la recherche soit un luxe, à traiter plus tard ». Sans doute, la réponse plus tard dans la soirée (après minuit) du ministre de la Recherche, Frédérique Vidal au sujet des carrières scientifiques ne l’aura pas complètement rasséréné : « On a un sujet de reconnaissance social des intellectuels, ça a été abordé sur la question de la reconnaissance salariale mais c’est loin d’être la seule question. Les enseignants-chercheurs doivent retrouver la fierté de ce qui fait leur métier, s’affirmer et se revendiquer comme des intellectuels, et tout ça passe aussi par notre capacité à voir le verre à moitié plein et non pas à moitié vide, et donc à arrêter l’auto-dénigrement de nos professions ».

Crédulité

Même s’il ne faudrait pas éluder la question incontournable des conditions de travail (notamment salariales) au profit d’une forme de méthode Coué, il est certain que la place de la science et des scientifiques dans notre société est centrale dans une période aussi troublée. Serge Haroche a ainsi rappelé « le rôle utilitaire de la science, la curiosité innée qui est à la base même de la civilisation » et a encore insisté sur le fait que « promouvoir la recherche est l’un des moyens de lutter contre les dévoiements qu’incarnent les théories du complot ». Plus tard dans la soirée, plusieurs intellectuels sont revenus sur la nécessité de remettre la raison au cœur du dispositif informationnel, de redonner sa place à la science et à la vérité dans les connaissances transmises au public, tel le sociologue Gérard Bronner qui a évoqué une épidémie de « crédulité ». Face à cette dernière et reprenant cette expression, le Président de la République a jugé « Que des intellectuels, des journalistes, mènent ce combat, le portent, et décident de dire qu’il y a un statut pour la vérité [...], est à mes yeux la chose la plus efficace possible. Je veux mener ce combat parce que je pense que la situation dans laquelle on vit est délétère mais je pense que c’est un combat où on a besoin de beaucoup plus d’engagement des intellectuels et des journalistes ». Il a encore ajouté à propos d’internet : « L’idée que l'algorithme ne doit pas être aveugle ou commercial mais débattu démocratiquement est une idée essentielle ». De son côté, le ministre de la Culture a confirmé que la lutte contre la désinformation est un « des grands défis démocratiques ». Reste à savoir si l’organisation de tels débats œuvre toujours parfaitement dans ce sens.

Aurélie Haroche

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