Linky : quand le médecin et le juge sont sur la même longueur d'ondes
Paris, le jeudi 21 mars 2019 – Il ne serait sans doute pas
inutile que les juges soient sensibilisés à certains rudiments
médicaux et scientifiques. Ils sont en effet de plus en plus
fréquemment sollicités pour se prononcer sur la nocivité de
différents produits ou installations. Or, quand ils choisissent
d’aller dans le sens de ceux qui affirment la dangerosité pour la
santé de substances ou de dispositifs, bien que cette position
aille à l’encontre du consensus scientifique, ils confortent les
alertes et craintes non fondées. L’autorisation donnée hier par le
juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse à
treize personnes dotées de certificats médicaux évoquant une
hypersensibilité aux ondes de refuser l’installation chez eux du
compter Linky ne fait pas exception. Si sans préjuger de
l’existence réelle ou non d’un syndrome d’électrosensibilité liée
aux ondes, le juge a pu considérer que les certificats médicaux
faisaient ici autorité pour justifier la demande de non
installation, le raccourci vers une reconnaissance de la réalité de
l’hypersensibilité et plus encore d’un problème sanitaire lié à
Linky n’est pas difficile à prendre. Ainsi, maître Christophe
Lèguevaques, spécialisé dans les contentieux sanitaires, remarque :
« D’une certaine façon, la magistrate valide nos soupçons sur
les risques sanitaires que peut faire peser le compteur Linky sur
les personnes sensibles aux ondes ». De fait, le motif
sanitaire est le seul qui ait été considéré comme légitime par
Anne-Véronique Bitar-Ghanem, alors qu’elle a débouté de leur
demande les 150 autres plaignants qui mettaient en avant une
violation de leur droit à la vie privée. Le juge a également
considéré que « si ces personnes habitent dans un immeuble et
que leurs voisins sont déjà équipés d’un Linky, il appartient au
distributeur de délivrer à proximité du logement des malades une
électricité exempte de tout courant porteur en ligne, notamment
dans les fréquences comprises entre 35khz et 95khz
».
Dire non à Linky n’est pas possible mais fermer sa
porte l’est
Le refus de l’installation d’un compteur Linky n’est en
théorie pas possible : le compteur n’est en effet pas la propriété
du consommateur d’électricité ou du propriétaire des lieux où il
est installé mais des collectivités locales et est géré par Enedis.
Sauf à renoncer à recevoir de l’électricité, le refus du compteur
apparaît donc difficile.
Cependant, en se référant à un jugement de septembre 2018 du
tribunal administratif de Toulouse, Enedis a régulièrement rappelé
que s’il n’est pas juridiquement possible de s’opposer à la pose du
compteur Linky, il est possible de refuser aux techniciens d’Enedis
d’entrer dans son logement.
« Urgence d’agir »
L’interdit en tout état de cause apparaît aujourd’hui bien fragile
face à la multiplication des procédures judiciaires, dont certaines
sont soutenues par des élus (notamment l’ancien ministre de
l’Écologie, Corine Lepage). Ainsi, une action collective est en
cours : elle « regroupe plus de 5 000 personnes sur toute la
France (…) qui demandent aux juges de prendre des mesures (…) afin
de respecter la liberté de choix des consommateurs » explique
Christophe Lèguevaques qui n’hésite pas à aller plus loin en
suggérant l’existence d’un véritable scandale sanitaire. « Il
nous reste encore du chemin à parcourir pour convaincre la justice
de l’urgence d’agir » assène-t-il dans la Dépêche du Midi,
n’hésitant pas à comparer les ondes du compteur Linky à
l’amiante.
Plus de cinquante ans de recul
Le parallèle apparaît cependant sans fondement scientifique, quand
l’ensemble des travaux réalisés écarte toute nocivité des courants
porteurs en ligne (CPL). Ces derniers sont loin d’être nouveaux,
puisqu’EDF (aujourd’hui Enedis) les utilise « depuis les années
60, notamment pour envoyer le signal heure pleine / heure
creuse », précise l’entreprise. D’une manière générale cette
technologie est « employée depuis plus de 50 ans par des
millions de personnes dans le monde ». Aussi, les multiples
études qui ont affirmé l’absence de nocivité des CPL sont fondées
sur un recul important. Les rapports ont tous conclu dans ce sens
notamment ceux en France de l’Agence nationale de sécurité
sanitaire (ANSES) et de l’Agence nationale des fréquences. Cette
dernière avait notamment rappelé que le champ électromagnétique
émis par le compteur Linky est 150 à 350 fois inférieur à la limite
réglementaire. Si ces données confirment l’absence d’un risque
sanitaire global, le cas spécifique des personnes qui affirment
souffrir d’électrosensibilité est différent. Quand bien même leurs
troubles ne sont probablement pas liés aux ondes, la gêne qu’elles
ressentent, attestée par un certificat médical, peut justifier un
refus du compteur comme le confirme ici la justice. Cela cependant
ne préjuge nullement de la pertinence d’extrapolations plus larges
malheureusement inévitables, ce qui n’est pas sans soulever
quelques questions sur la responsabilité de la justice face aux
interprétations de ses décisions. Une responsabilité sur laquelle
la justice devrait peut-être entamer une réflexion.
Ces certificats médicaux évoquant une hypersensibilité aux ondes sont ils les prémices d'une vague de certificats : hypersensibilité aux impôts (objectivée par angoisse, sueurs, palpitations, précordialgies,…), hypersensibilité aux limitations de vitesses (symptômes en lien avec une frustration intense, somnolence liée à une vitesse trop lente,…), aux radars, aux feux rouges, etc. On se souvient des certificats de contre-indication à la ceinture de sécurité (passés de mode on dirait, ou bien une soudaine mutation génétique nous a réconciliés avec la ceinture ?), et des certificats de contre-indication à la vaccination (hélas encore trop présents). Et enfin, le plus important : l'hypersensibilité aux certificats de complaisance ?