
Paris, le samedi 20 avril 2019 – Depuis plusieurs années, la psychiatrie française souffre d’un manque de moyens chroniques mais aussi d’une pression normative accrue, qui tend à déshumaniser les soins. Consciente de cette situation de crise ou de malaise, selon le nom qu’on lui donne, le ministre de la Santé vient de nommer un délégué interministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, le professeur Frank Bellivier, dont la lourde tâche est de faire face au « naufrage » de la psychiatrie. Cette nomination a suscité une certaine circonspection chez une partie des acteurs du secteur, en raison d’une part de l’imprécision qui entoure encore la mission du professeur Bellivier mais également de certains de ses propos. Interrogé sur la question de la contention, le praticien a ainsi considéré interrogé dans Le Parisien : « C’est du soin (…) mais il y a des dérives et j’y serai très attentif ». Cette appréciation est regrettée par de nombreux psychiatres, notamment par le Collectif 39 (fondé il y a plus de dix ans en réponse à certaines dérives « sécuritaires » en psychiatrie inspirées notamment par Nicolas Sarkozy) et le Fil Conducteur Psy. Dans cette lettre ouverte à Agnès Buzyn et à Franck Bellivier qu’ils publient sur leurs sites et que nous relayons dans les colonnes du JIM, les deux groupes rappellent non seulement que la contention ne saurait être considérée comme un soin mais également les difficultés majeures que rencontre aujourd’hui la psychiatrie et qui expliquent en partie le recours de plus en plus fréquent à la contrainte.
Par le Collectif 39 et Le Fil Conducteur Psy
Lors d’un colloque organisé au sénat, en septembre 2015, en
présence de plusieurs parlementaires des deux assemblées nous avons
initié une pétition http://www.hospitalite-collectif39.org/?NON-A-LA-CONTENTION
Nous affirmions entre autre dans ce texte que la contention n’est
pas un soin comme le précisera ensuite l’Article 72 Isolement et
Contention de la loi de santé de janvier 2016.
Le psychiatre décide de céder sur sa fonction soignante et de
mettre un patient en contention quand l’équipe soignante est
débordée par l’agitation de patients en crise, dans un contexte de
tensions relationnelles, avec un sentiment d’insécurité face à des
manifestations bruyantes et parfois inquiétantes.
Mais d’où vient ce débordement des professionnels par les
manifestations paroxysmales de certains patients ? De leur manque
d’organisation comme vous le répétez souvent ? De leur manque de
formation à des pratiques dites innovantes ? De leur incompétence
parce que leurs outils conceptuels ne seraient plus opérants
?
Vous ne comprenez-pas bien la situation comme vous l’a si bien dit
une infirmière lors du récent débat télévisé sur « le naufrage de
la psychiatrie ».
Vous n’entendez pas tous ces mouvements de grève dans les hôpitaux
psychiatriques. Le cri des infirmières et infirmiers qui vont
jusqu’à mettre leur vie en danger (grève de la faim à Rouen,
"perchés" du Havre) pour réclamer plus de moyens et moins de
contraintes bureaucratiques, sécuritaires et normatives.
Ils en ont assez, par manque de moyens humains, par manque d’espace
d’élaboration des enjeux psychiques, par manque de formation à la
relation, d’être amenés à n’avoir d’autre choix que la contention
et l’isolement. Ils souffrent de maltraiter les patients et d’être
empêchés de faire leur métier. Ils sont transformés en gardiens
acculés à des pratiques indignes qui ruinent le lien entre les
patients et leurs familles et les soignants.
Le manque de moyens est évident
Peut-être convient-il de vous rappeler les propos d’Adeline
Hazan, (CGLPL)* « Le manque de moyens est évident. Les
praticiens nous expliquent souvent que s’ils disposaient d’une
heure pour faire baisser la pression lors d’un moment d’agitation
d’un patient, cela permettait d’éviter l’isolement ou la contention
physique ».
Comment restaurer une confiance quand les personnes censées soigner
vous attachent les quatre membres, voire vous sanglent le torse
pendant plusieurs heures, jours, semaines, mois ? Les équipes sont
de plus en plus démunies face aux injonctions qui pèsent sur elles
et qui leur font violence.
La maladie mentale est une maladie du lien à l’autre. La contention
et l’isolement, pratiques régressives d’un autre temps, signent
l’échec du soin dans un moment crucial où les patients ont besoin
d’apaisement et de réassurance. Dans un moment où ils ont besoin
d’une parole et de gestes témoignant d’une réelle empathie pour
contenir leur souffrance, ils subissent une vraie violence qui se
referme tant sur les patients que sur les soignants.
Voilà pourquoi les professionnels doivent être formés à la relation
clinique, à la pycho-pathologie, à une réflexion sur le sens des
symptômes qui se manifestent, et pas seulement sur les
thérapeutiques médicamenteuses, ni sur des protocoles
standardisés.
Nous sommes très inquiets sur le devenir de la prise en charge des
patients quand le premier délégué ministériel à la psychiatrie que
vous venez tout juste de nommer affirme qu’une pratique dégradante,
irrespectueuse des droits des patients, est un soin. Cela confirme
nos doutes quant à sa conception de l’homme et de la folie et quant
aux soins qui seront apportés aux patients.
*http://www.cglpl.fr/2016/isolement-et-contention-dans-les-etablissements-de-sante-mentale/
Le texte est également lisible à ces adresses : http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=8825
et https://lefilconducteurpsy.com/