
Allergologue pédiatre et pneumo-pédiatre, E. Bidat a précisé qu'une exposition précoce à une alimentation diversifiée protège contre la dermatite atopique et l'allergie alimentaire. C'est ce que démontrent des études de plus en plus nombreuses, comme le suivi de la cohorte Pasture, avec l'introduction de six groupes d'aliments (légumes et fruits, céréales, pain, viande, gâteau, yogourt) dès le 2e trimestre de vie (1), et la consommation régulière de fromage à 18 mois (2). A l'inverse, plus on diversifie tardivement (après 6 mois ou 1 an) et plus le risque d'allergie à l'âge de 5 ans augmente (3).
Qu'en est-il pour le poisson ? Sa consommation pendant la grossesse a-t-elle un effet protecteur pour le risque allergique de l'enfant ? Ceci peut se défendre au plan biologique, mais au plan épidémiologique, les données méta-analyses ne sont pas convaincantes (4, 5). En revanche, la consommation de poisson dans la petite enfance semble bien protéger contre les risques ultérieurs d'eczéma et de rhinite allergique (5). En pratique, E. Bidat estime que le poisson peut être introduit raisonnablement dans l'alimentation dès l'âge de 6 mois, et même plus tôt pour les huiles de poissons (mais pas trop tôt en raison du risque de pneumopathie d'inhalation).
Chez les enfants à risque d’allergie ou non
Un état des lieux des recommandations occidentales soutenues par des travaux récents a été présenté Pr Lisa Giovannini-Chami (pédiatre allergologue, hôpital Lenval, Nice).- Selon la méta-analyse rigoureuse d'une équipe Australienne (6) : les préparations hydrolysées (laits hypo-allergéniques) n'apportent pas de bénéfice par rapport à l'alimentation au sein en prévention des allergies. En revanche, utilisées sur une coute période, ces formules pourraient présenter un avantage par rapport aux préparations standard à base de lait de vache (PLV).
- Chez l’enfant sain, né à terme, qu'il soit allaité ou reçoive une PLV, il n’est pas justifié de donner un autre aliment que le lait, idéalement maternel, avant l’âge de 4 mois. Il faut diversifier dès le 5e mois (pas avant en raison du risque d’allergie) et avant l’âge de 6 mois, car au-delà, le lait maternel ou les PLV ne couvrent plus les besoins du nourrisson. L’allaitement doit être poursuivi pendant et après l’introduction de la diversification.
- Chez les enfants à risque d’allergie (père, mère, frère ou sœur allergique), aucun argument ne justifie de retarder au-delà de l’âge de 6 mois la diversification, y compris pour les aliments les plus allergisants : œuf, poisson, arachide, blé, etc. (7-9). En prolongeant l'exclusion d'aliments allergéniques, on risque même d'augmenter le risque allergique (10-13).
En cas de dermatite atopique
- Chez les nourrissons ayant une dermatite atopique légère, on peut introduire des aliments allergisants aux mêmes âges, mais prudemment : un à un et en petite quantité.- Chez les bébés souffrant de dermatite atopique sévère ou d'allergie alimentaire « vraie » (documentée), l'introduction précoce d'aliments allergisants nécessite un avis spécialisé. Favoriser la tolérance à l'allergène entre 4 mois et 1 an est là aussi une bonne stratégie de prévention, comme l'a montré l'étude randomisée LEAP (15). Il faut donc diversifier au cours de la première année de vie, prudemment et très progressivement (un aliment à la fois), avec des aliments semi-solides, cuits si possible (œuf cuit en poudre, par exemple) (15). En 2018, le « National Institute of Allergy and Infectious Diseases » a publié une recommandation sur les modalités d'introduction précoce de l’arachide chez les nourrissons présentant un eczéma ou une allergie à l’œuf (16). Des auteurs Canadiens ont repris les principes de la diversification précoce qu'ils ont présentés de manière pratique, selon les catégories de risque, la sévérité de l'eczéma et l'aliment en cause (17). On y propose même des recettes de cuisine pour les nourrissons à haut risque ! Ces schémas alimentaires sont faciles à appliquer, et favorable en termes de croissance et d'apports nutritionnels, a estimé L. Giordaninni-Chami. Le recours aux tests spécialisés pourrait sembler contraignant et coûteux, mais il concerne finalement une très petite proportion de la population infantile.
Du « sur mesure » en fonction du contexte
Enfin, E. Bidat rappelle combien il est important de tenir compte des habitudes alimentaires de la famille et des traditions locales. Chez les nourrissons de plus de 4 mois ne présentant pas d’eczéma ni d’allergie alimentaire, l'allergène est introduit plus ou moins tôt, selon qu'il est couramment consommé ou non par sa famille (18-19). En consultation, on explique que la sensibilisation à un aliment révèle surtout un terrain atopique, et rarement une allergie ; et que son exclusion rigoureuse peut entraîner une perte de tolérance, voire un accident grave lors de sa réintroduction (20). Aux parents convaincus du bien fondé des régimes d'éviction à la mode, sans lait de vache et/ou sans blé, par exemple, on précise les risques de carence. Et plutôt que de s'offusquer des convictions des parents, mieux vaut équilibrer les apports nutritionnels de l'enfant, si besoin avec une diététicienne, et proposer l'introduction lente du ou des aliments exclus « pour faciliter la tolérance » ou « pour éviter la perte complète de la tolérance ». La patience et le bon sens finiront par convaincre.Véronique Canac