Limitation de l’acharnement thérapeutique : les failles de la loi à nouveau constatées

Paris, le mardi 28 mai 2019 – La décision inattendue la semaine dernière de la cour d’appel de Paris d’imposer la reprise de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert qui avait été interrompue en vertu d’une décision collégiale d’arrêt des soins maintes fois validée par la justice a semble-t-il une nouvelle fois mis en évidence les limites des législations françaises concernant l’accompagnement de la fin de vie et la lutte contre l’acharnement thérapeutique. On peut en effet supposer qu’une réglementation ne souffrant pas d’aussi larges périmètres d’interprétation serait moins exposée aux revirements judiciaires, qui ont été innombrables dans l’affaire Vincent Lambert.

Assignation du docteur Sanchez et du CHU de Reims

Faut-il s’attendre à d’autres démonstrations de ce type ? Le 20 mai, jour où la procédure d’arrêt des soins était initiée (avant qu’elle ne soit, donc, suspendue), les parents de Vincent Lambert assignaient par voie de citation directe le CHU de Reims et le docteur Vincent Sanchez pour « non-assistance à personne en péril ». Cette assignation devrait être examinée le 4 juin à l’occasion d’une audience de consignation, audience dont le principal objectif sera de fixer le montant de la somme à engager (par les plaignants) pour poursuivre la procédure, le délai de versement de la consignation et la date de l’audience correctionnelle.

S’il pourrait être considéré comme difficile de reconnaître la non-assistance à personne en danger alors que la validation du Conseil d’État et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) semblait protéger le docteur Sanchez et le CHU de Reims, les avocats des parents de Vincent Lambert mettent en avant l’absence de prise en considération des mesures provisoires demandées par le Comité international des droits des personnes handicapées. Or, si le ministre de la Santé avait considéré que la France n’était pas liée par l’avis de ce comité, semblant donner son blanc-seing à la poursuite de la procédure d’arrêt des soins, la cour d’appel en a jugé autrement. Compte tenu de la position exprimée publiquement par le ministre de la Santé, le médecin et l’établissement hospitalier pourront plaider la bonne foi. « J’ai une totale confiance dans le tribunal correctionnel de Reims qui ne se fera pas abuser par cette manœuvre ridicule » veut croire maître Gérard Chemla, avocat de François Lambert, neveu du patient, pour sa part favorable à l’arrêt des soins. Pourtant, l’exemple de la décision de la cour d’appel invite à une certaine prudence et à considérer qu’une sanction n’est pas impossible. Dès lors, les médecins qui appliquent des procédures d’arrêt des soins doivent-ils se sentir insuffisamment protégés par les lois actuelles ?

Hiérarchisation de la parole : un dispositif à encadrer

Cette question est un exemple, parmi d’autres, des réserves inspirées par la loi actuelle. D’autres ont également été mises en lumière par l’affaire Vincent Lambert, concernant notamment la question du recueil de la volonté des patients incapables de s’exprimer en cas d’absence de directives anticipées. Lors du débat de la loi Claeys-Leonetti, le député Olivier Falorni (Parti radical) avait proposé un dispositif de hiérarchisation de la parole de la famille et des proches, tel qu’il existe en Belgique. Il s’agit d’accorder le plus de poids à ceux que les patients ont choisi (leur époux, conjoint, concubin), avant d’entendre la parole des enfants et des parents. Cependant, l’amendement d’Olivier Falorni avait été rejeté, ce que ce dernier déplore aujourd’hui et qui l’a incité à déposer une proposition de loi. Cependant, un tel système devra être fortement encadré pour ne pas être dévoyé : il convient en effet notamment que le temps de vie commune entre le patient et son conjoint soit précisé, afin d’éviter que soit accordée une trop grande importance à des unions très récentes aux dépens de liens rendus plus solides par le temps.

Hypocrisie de la sédation terminale ?

Enfin, alors que beaucoup ont fait remarquer que la complexité du cas de Vincent Lambert était notamment liée au fait qu’il n’est pas atteint d’une maladie incurable à un stade terminal et ne souffre pas, ce qui semble en partie l’exclure du champ d’application premier de la loi Claeys-Leonetti, Olivier Falorni observe plus globalement pour sa part que cette triste affaire rappelle le caractère hypocrite de la sédation terminale, euthanasie qui ne dit pas son nom.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (2)

  • Acharnement nutritionnel ?

    Le 29 mai 2019

    Nourrir une personne incapable de s'alimenter seule n'est, me semble-t-il, ni de l'acharnement ni de la thérapeutique.

    Dr Pierre Rimbaud

  • Décidément vous me plaisez, Monsieur Falorni

    Le 31 mai 2019

    En tout bien tout honneur, cela va de soi: vous avez par le passé recadré (et de quelle façon) Madame Ségolène Royal en juin 2012, lorsqu'elle vous avait dit (en substance) "pousse toi de là que je m'y mette" alors qu'elle guignait le poste de présidente de l'Assemblée Nationale, mais pour cela il lui fallait d'abord être élue député(e), et pour ce qui devait n'être qu'une simple formalité elle s'était parachutée sur La Rochelle: mais vous avez maintenu votre candidature au nom de votre légitimité de terrain, et les manants locaux vous ont soutenu à plus de soixante pour cent au second tour, infligeant par votre faute à Madame Royale un affront s'apparentant à un crime de lèse majesté (facile, j'en conviens…).
    Et maintenant, vous êtes un des rares élus du Peuple à oser appeler un chat un chat, si j'en crois le dernier paragraphe de cet article: Merci et Bravo, Monsieur le Député! j'apprends également que vous aviez lors des discussions sur la loi Claeys-Leonetti, identifié avec beaucoup de perspicacité un des problèmes majeurs posés par le recueil de la parole des proches, et que vous aviez fait des propositions qui semblaient intelligentes, et qui bien évidemment n'ont pas été retenues…
    Ne vous découragez pas, Monsieur le Député, vous faites honneur à votre mandat, pour autant que j'en puisse juger.

    Dr Jean-Marc Ferrarini

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