
En 2016, 63 000 personnes sont mortes d’un surdosage d’opiacés
aux États-Unis (180 décès par jour), soit le quadruple de ce qui
avait été noté en 1999. Et ce chiffre, lié à l’inflation des
prescriptions, ne fait qu’augmenter.
Les chirurgiens sont doublement concernés par ces
prescriptions abusives : d’une part, ils s’adressent souvent à des
malades « vierges » de toute prescription et qui risquent de
sombrer dans l’assuétude ; d’autre part, ils sont, après les
spécialistes de la douleur, les plus grands prescripteurs d’opiacés
(37 % des ordonnances). Outre les opérés qui deviennent dépendants
(3-7 %), il faut faire une place à leur entourage qui «
profiterait » d’une manne de substances toxiques prescrite
beaucoup trop généreusement.
Jusqu’à peu, la prescription des opiacés en postopératoire
était laissée à la discrétion de l’opérateur, et l’on a pu
constater de larges variations interpersonnelles, mais on ne sait
encore si la crise des opiacés actuelle a modifié les
comportements. Les auteurs ont tenté d’analyser ceux-ci au sein
d’un vaste centre hospitalo-universitaire à New York (hôpital du
Mont-Sinaï) entre 2014 et 2018.
Entre ces dates, les suites des 3 principales opérations
ambulatoires (cholécystectomie cœlioscopique, hernie inguinale -HI-
par voie cœlioscopique et par voie ouverte) ont été étudiées sur le
plan des prescriptions d’opiacés dans les 30 j postopératoires. On
a converti, pour que l’étude soit homogène et autorise des
comparaisons, le nombre et la dose des pilules prescrites, en
équivalents de 5 mg d’oxycodone.
La cohorte a comporté 3 495 opérés (2 128 hommes), la
cholécystectomie y concourant pour 44 %, la HI par voie
cœlioscopique pour 30 % et la HI par voie ouverte pour 26 %. Les 20
chirurgiens (18 hommes) exerçaient, pour 80 % d’entre eux, depuis
plus de 6 ans.
Il ressort de l’analyse qu’il a fallu attendre 2017 pour
observer une réduction (moins dans la quantité d’opiacés prescrits
que dans le nombre d’opérés recevant plus de 30
équivalents-pilules). C’est surtout chez les malades réclamant une
nouvelle ordonnance que l’on observe des abus, et, ici aussi, ce
n’est qu’à partir de 2018 que les prescriptions ont été plus
mesurées. Outre l’année de prescription, il semble que le fait
d’être une femme et d’avoir affaire à un opérateur ayant plus de 10
ans, mais moins de 20 ans de pratique, expose à une plus faible
dose d’opioïdes.
Dr Jean-Fred Warlin