Atteintes pulmonaires sévères chez des vapoteurs : pour les CDC il faut éviter la cigarette électronique
Atlanta, le mardi 10 septembre 2019 – « Désormais, nous
recommandons, au moins tant que dureront nos investigations,
d’éviter la cigarette électronique et en tout état de cause, rien
ne doit être ajouté aux liquides contrôlés ». Ainsi s’est
exprimée ce 6 septembre Dana Meaney Delman une des responsables au
sein des Centers for Disease Control and prevention (CDC)
américains de l’enquête actuelle concernant "l’épidémie"
d’atteintes pulmonaires sévères constatées chez des utilisateurs de
cigarettes électroniques.
450 cas et cinq décès
Tant ces déclarations que l’aggravation du bilan ont entraîné
un vent de panique aux États-Unis où plusieurs états ont désormais
décidé de bannir la cigarette électronique. Le nombre de cas
possibles d’atteintes pulmonaires recensés au 6 septembre atteint
en effet 450, rapportés dans 33 états ainsi que dans les îles
Vierges américaines. En outre, cinq décès ont été confirmés, en
Californie, dans l’Illinois, l’Indiana, le Minnesota et l’Oregon.
Tous les patients sont des utilisateurs de cigarettes
électroniques.
Des publications indispensables
Pour l’heure, l’enquête n’a toujours pas permis
d’identifier de façon définitive une cause commune et les CDC
travaillent actuellement à l’établissement d’une classification
homogène, afin notamment de faciliter la confirmation des cas et
éventuellement de pouvoir enquêter sur des situations cliniques
rapportées avant le 1er août.
Cependant, au-delà de cette conclusion officielle, des pistes
se dessinent. Kathy Harben, porte-parole des CDC s’est ainsi
félicitée vendredi : « Notre enquête se concentre de plus en
plus sur certains éléments et c’est une excellente nouvelle (…).
Aujourd’hui, plusieurs publications font le point sur ce que l’on
sait jusqu’à présent ». Des cliniciens du Wisconsin et de
l’Illinois viennent en effet de publier des données concernant 53
patients dans le New England Journal of Medicine, tandis
qu’une mise au point est disponible dans la revue des CDC
Morbidity and Mortality.
Enfin, des observations rapportées dans différents états sont
à l’origine d’une piste intéressante.
Imagerie caractéristique de pneumopathie lipoïde
Dans l’Utah et en Caroline du Nord, chez tous les patients pour
lesquels une bronchoscopie a été réalisée, des macrophages chargés
de lipides ont été mis en évidence. Ces résultats couplés à une
imagerie caractéristiques ont conduit à l’établissement d’un
diagnostic de pneumopathie lipoïde. « C’est un diagnostic rare
et certains cas sont probablement ignorés » a observé Daniel
Fox (Pulmonary & Critical Care Medicine et WakeMed Health
& Hospitals, Caroline du Nord). Cependant, des
bronchoscopies n’ont pas été systématiquement réalisées et Dana
Meaney Delman demeure prudente : « Je ne pense pas que nous
connaissions encore la signification clinique de la présence de ces
macrophages chargés de lipides. Notamment, nous ne savons pas si
les lipides détectés dans les cellules sont endogènes ou exogènes.
(…). Par ailleurs, la bronchoscopie est une procédure invasive et
la réaliser relève d’une décision individuelle qui dépend de l'état
clinique des patients ».
La piste de la vitamine E
Néanmoins, ces observations coïncident avec le fait qu’un
grand nombre de patients ont rapporté avoir utilisé de l’huile de
cannabis dans les jours ayant précédé le développement des
symptômes. Par ailleurs, les premières analyses de liquide ont pu
mettre en évidence la présence d’acétate de vitamine E dans
certaines cartouches à base de cannabis. « L’acétate de vitamine
E est un supplément nutritionnel qu’on se procure facilement et qui
n’est pas dangereux lorsqu’il est ingéré comme vitamine ou appliqué
sur la peau. En revanche, le département continue de mener
l’enquête concernant les effets sur la santé lorsqu’il est inhalé,
car ses propriétés d’huile peuvent être associées aux symptômes
observés », précise une des responsables des CDC, Ileana Arias.
L’implication de cette vitamine E reste donc à déterminer. Si les
autorités sanitaires de l’Etat de New York indiquent avoir décelé «
une très haute concentration d'acétate de vitamine E dans
presque tous les échantillons contenant du cannabis », Mitch
Zeller, directeur du centre pour le tabac de la Food and Drug
Administration prévient : « Aucune substance ou molécule
unique, dont l'acétate de vitamine E, n'a été identifiée dans
l'ensemble des échantillons analysés ».
Des imageries anormales dans quasiment tous les
cas
Parallèlement à ces pistes concernant les diagnostics et les
substances éventuellement impliquées, les travaux publiés par des
médecins du Wisconsin et de l’Illinois dans le New England
Journal of Medicine délivrent des données intéressantes sur le
profil des patients.
Sur les 53 sujets inclus, 83 % étaient des hommes, avec un âge
médian de 19 ans. Jennifer Layden, médecin-chef et épidémiologiste
à l’Illinois Department of Public Health note que les sujets
étaient majoritairement en bonne santé avant le développement des
symptômes, même si un antécédent d’asthme a été rapporté dans 30 %
des cas. En moyenne, les patients ont attendu six jours entre
l’apparition des symptômes et la consultation à l’hôpital. Les
symptômes rapportés étaient respiratoires dans la très grande
majorité des cas (98 %) et gastro-intestinaux (81 %). Au moment de
leur premier examen, 64 % des patients présentaient une tachycardie
et 43 % une tachypnée ; 31 % avaient une saturation en oxygène
inférieure à 89 % sous air ambiant. Dans tous les cas, une atteinte
pulmonaire bilatérale a été constatée par l’imagerie ; la radio
pulmonaire était anormale dans 91 % des cas. Pour les 48 patients
qui ont bénéficié d’un scanner, les résultats étaient également
bien sûr anormaux. Cet examen a permis d’identifier quatre
pneumomédiastins, cinq épanchements pleuraux et huit
pneumothorax.
L’efficacité possible des corticoïdes
La très grande majorité des patients a dû être hospitalisée (50)
pour une durée moyenne de 6 jours. L’admission en soins intensifs a
été nécessaire pour 62 % des patients hospitalisés et une
intubation et une réanimation ont été mises en œuvre chez 34 %
d’entre eux. Des corticoïdes ont été administrés à 92 % des
malades. Selon les observations cliniques, ces traitements ont
majoritairement contribué à une amélioration respiratoire, mais de
manière générale, les CDC indiquent que les préconisations ne sont
pas encore arrêtées en ce qui concerne les traitements à
employer.
Un vapotage de THC très fréquent
Enfin, les médecins du Wisconsin et de l’Illinois confirment
que tous les patients étaient utilisateurs de cigarette
électronique. La majorité des sujets sont même des utilisateurs
quotidiens (88 %). Les patients (41 sur 53) qui ont été l’objet
d’un interrogatoire plus détaillé rapportent dans 61 % des cas une
utilisation de liquides à base de nicotine, 80 % à base de THC et 7
% de CBD. Plus globalement, 37 % des patients ont indiqué ne
vapoter que du THC et 44 % à la fois du THC et de la nicotine,
tandis que seuls 17 % ne vapotent que de la nicotine. Quatorze
marques différentes de liquide au TCH et treize marques de liquides
à la nicotine ont pu être répertoriées.
En France, jusqu’ici tout va bien ?
Ces différentes informations constituent une base essentielle pour
la poursuite des investigations. Mais au-delà de l’enquête
épidémiologique, cette alerte invite partout dans le monde les
spécialistes à repenser la place de la cigarette électronique. Si
aux Etats-Unis, les messages tendent à se durcir, en France, la
confiance dans les contrôles des liquides et dans la rareté des
mélanges artisanaux conduisent pour l’heure à limiter
l’inquiétude.
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