
Les agents neurotoxiques sont chimiquement apparentés aux insecticides OP et comprennent les agents G (GA [Tabun], GB [Sarin], GD [Soman], GF [Cyclosarin]), les agents V (VX, acide méthylphosphonothioïque) et les agents plus récents, moins bien étudiés, dont ceux nommés « Novichok », qui signifie « nouveau venu » en russe.
Peu d’études cliniques humaines
Mode d’action
Les agents neurotoxiques sont absorbés par inhalation ou par voie topique et agissent principalement en inhibant l'enzyme acétylcholinestérase (AChE), qui se trouve dans les synapses cholinergiques du système nerveux, la jonction neuromusculaire (NMJ), le poumon et la membrane des hématies. L'AChE inhibée ne peut plus interrompre les transmissions neuronales/neuromusculaires normales en métabolisant l'acétylcholine dans la synapse. D’où un excès d'acétylcholine (ACh) dans les synapses. Il en résulte : agitation, coma, dépression respiratoire et convulsions. Les effets muscariniques expliquent : myosis, hypersalivation, bronchospasme, bronchorrhée, bradycardie, nausée, vomissements et diarrhée. Les effets nicotiniques rendent compte de la tachycardie, de l'hypertension et de l’hypersudation. Les actions sur les récepteurs nicotiniques induisent des fasciculations, une faiblesse musculaire, et un bloc dépolarisant avec paralysie flasque.Un tableau initial de pseudo-intoxication opioïde ?
Le composé OP se lie au résidu sérine (par phosphorylation) de la molécule AChE. Les oximes peuvent réactiver l'AChE en catalysant l'élimination du groupe phosphoryle. Cependant, si le composé OP n'est pas éliminé par un processus de réactivation spontanée ou assistée (oxime), un groupe R-alkyle sera définitivement éliminé et rendra l'enzyme non réactivable ou vieillissante. Le temps de vieillissement dépend de l'agent neurotoxique OP : le soman provoque un vieillissement démontrable en 2 minutes, tandis que le sarin et le VX prennent respectivement 5 et plus de 40 h. Une fois la molécule d'AChE vieillie, le traitement par les oximes peut ne pas fonctionner.Les cliniciens pourraient d'abord suspecter une surdose d'opioïdes. En cas de doute, la prise en charge initiale par la naloxone est justifiée mais inefficace et doit amener à corriger le diagnostic, ainsi que l’anamnèse.
La décontamination
Un trytique thérapeutique
Antimuscariniques, oximes et traitements anticonvulsivants avec neuroprotection constituent les trois composants de la prise en charge. L'atropine (antimuscarinique) est l’élément clé du traitement. Le protocole de l’OTAN et de l'armée britannique préconise une dose initiale de 5 à 10 mg d'atropine intraveineuse (IV) ou intraosseuse (IO) pour les patients gravement intoxiqués, avec titrage toutes les 5 minutes jusqu'à l'atropinisation, c’est à dire disparition des 3 B : bradycardie, bronchospasme, bronchorrhée. L’atropine doit être administrée en concomitance avec les oximes et un traitement anticonvulsivant (si nécessaire). Public Health England recommande une dose initiale de 4 à 4,2 mg d'atropine dans les cas graves d'agents neurotoxiques. Eddleston recommande de commencer par un bolus de 1 à 3 mg, puis de doubler la dose toutes les 5 minutes jusqu'à l'atropinisation (TA systolique > 80 mm Hg, fréquence cardiaque > 80 bpm et tarissement des sécrétions bronchique), puis de passer à une perfusion continue.En Syrie, l'utilisation de bronchodilatateurs et de stéroïdes a été rapportée mais sans aucune preuve d’efficacité. Il convient d’être prudents lorsqu'on utilise des agonistes comme le salbutamol, car ils peuvent causer des tachyarythmies. En sus de l'atropine, d'autres antimuscariniques peuvent également être envisagés comme l'hyoscine (scopolamine) et le glycopyrrolate bien que ce dernier ne traverse pas la barrière hémato-encéphalique.
Les oximes peuvent réactiver l'AChE si elles sont administrées suffisamment tôt, avant le vieillissement et la désalkylation du composé OP. La réponse clinique dépendra non seulement du type d'agent neurotoxique mais aussi de l'oxime utilisé. L'oxime le plus couramment disponible au Royaume-Uni (et en France) est le pralidoxime qui est administré en perfusion lente IV/IO de 2 g en 5 minutes. L'AChE sanguine est synthétisée à un taux d'environ 1 % par jour, mais la restauration d’une activité AChE complète n'est pas nécessaire pour obtenir le retour à une ventilation normale, car des patients récupèrent une fonction musculaire normale avec une activité AChE de seulement 30 % des hématies
Des séquelles
Dans le plus récent rapport de l'OPCW en Syrie, les victimes exposées au Sarin signalaient une diminution de l'acuité visuelle, une photophobie, une oppression thoracique et un essoufflement pendant 15 à 25 jours après l'exposition. D'autres séquelles à long terme ont également été signalées : dysfonction du SNC, neuropathies périphériques, atteintes pulmonaires chroniques. Le syndrome intermédiaire est une forme de dysfonction neuromusculaire responsable d’une insuffisance respiratoire après 48 h d’intoxication et qui ne répond ni à l'atropine ni aux oximes.Prudence en cas d’anesthésie
En cas de nécessité d’anesthésie le suxaméthonium, peut avoir une durée d'action très allongée (jusqu'à 12 h) et un début d'action plus long secondaires à l'inhibition des BuChE (butyryl cholinestérase). Il faut faire preuve de prudence avec le curares non dépolarisants pendant 2 ans en utilisant des doses plus faibles afin d’éviter une paralysie prolongée. Prudence également avec d’autres dogues métabolisés par les BuChE, tels les anesthésiques locaux à base d'ester et le mivacurium.Peu de risque pour le personnel soignant
Grâce à un diagnostic rapide de l’intoxication aux OP, combiné au port de l'EPI (équipement de protection individuel) et à une décontamination adéquate des patients, le risque pour le personnel est considérablement réduit. Lors des attentats au Sarin japonais, les membres du personnel qui ont rempli un questionnaire post-événement (n = 472) ont révélé que la grande majorité d'entre eux ne présentaient aucun symptôme. Cependant, 110 membres d’entre-eux (23 %) ont eu une intoxication secondaire, notamment des symptômes oculaires (14 %), des maux de tête (11 %), des maux de gorge (8 %), un essoufflement (5 %) et des nausées (3 %). Pour mémoire, l’attentat au Sarin japonais a nécessité 2 800 ampoules de 0,5 m d'atropine dans le principal hôpital d'accueil.Dr Bernard-Alex Gaüzère