
- Non, il n’y avait pas internet, d’ailleurs il n’y avait même
pas d’ordinateur.
- Pas d’ordinateur ? C’est une blague. On faisait
comment pour écrire des articles ?
- Avec un stylo sur du papier pardi, ou alors à la machine à
écrire. Ou on les dictait à une secrétaire à moins qu’elle ne les
tape à partir de vos notes. Enfin, toujours est-il qu’on se
retrouvait avec des pages dactylographiées : il fallait les relire,
les corriger, changer des phrases, parfois rayer des paragraphes
entiers, en réécrire d’autres, ça prenait un temps fou.
- Vous écriviez tous les articles comme ça au JIM
?
- Comme aujourd’hui, on avait des collaborateurs médecins qui
lisaient la presse médicale internationale à laquelle ils étaient
abonnés ou qu’ils consultaient à la bibliothèque. Qui ne s’est
jamais plié à cet exercice de se plonger dans les 20 volumes de
l'index Medicus et d’aller arpenter les allées d’une bibliothèque
universitaire pour trouver une parution (zut c’est justement
celle-là qui manque), quémander auprès d’un(e) préposé(e) la
possibilité de la compulser, prier pour avoir le droit de
l’emprunter ou même de la photocopier (après avoir fait la monnaie)
n’a pas non plus connu ce bonheur d’accéder enfin à l’information
espérée…Un bonheur qui ne peut se comparer à celui que procurent
deux ou trois clics sur un moteur de recherche. En ces temps
anciens, le moteur de recherche, c’étaient les pages que l’on
tourne pour trouver des articles dignes d’être résumés et commentés
pour le JIM. Une fois leur « papier » écrit nos
collaborateurs nous l’envoyaient.
Comment ? Par courrier, par coursier, sur papier ou à la fin
des années 80 sur disquette ! Non, il n’y avait pas d’e-mail
ni de clés USB ! Aux premiers temps du JIM nous faisions aussi des
traductions d’articles intégraux venant du Lancet, du New England
Journal of Medicine des Annals of Internal Medicine etc…nous avions
des accords avec les « editor in chief », pas sûr que ce serait
encore possible maintenant. Nous choisissions les sujets au cours
de réunions mensuelles très carabines et très enfumées…Décidément
rien n’est plus pareil aujourd’hui.
- Et une fois tous les articles dactylographiés, revus
et corrigés, comment les transformait-on en journal ?
- On les envoyait par coursier à une imprimerie en grande
banlieue où les textes étaient retapés par des opérateurs (ça
s’appelait des clavistes) afin de pouvoir être introduits dans une
machine de photocomposition d’où les articles ressortaient sous
forme de bandes de papier de la largeur d’une colonne de journal.
Alors de retour au JIM, toujours par coursier, les bandes étaient
découpées, collées un carton de la taille de la page de journal
(cela s'appelait la maquette). Le tout était renvoyé chez
l'imprimeur après les ultimes corrections, des secrétaires de
rédaction « dont les subtilités orthographiques dépassaient celles
de Google » (voir les verbes accidentellement pronominaux). Une
fois cette étape franchie, retour à l’imprimeur, chaque page avec
ses bandes collées pouvait être photogravée puis imprimée en grande
quantité sur des rotatives. A la fin on faisait la reliure et on
mettait la couverture. C’était près !
- Ouf ! Combien de temps ça prenait tout ça
?
- Une semaine, 10 jours.
- Ah, quand même !
- Après au début des années 90, il y a eu un gros progrès. Les
rédacteurs et les secrétaires de rédaction disposaient alors
d’ordinateurs ce qui simplifiait grandement la saisie des textes.
Puis peu après sont apparus les programmes de PAO (publication
assistée par ordinateur) qui comme leur nom l’indique permettaient
une mise en page directe sur ordinateur (mais déjà certains
maquettistes parmi les plus anciens n'y croyaient pas). Et on
envoyait à l’imprimeur des disquettes ou des CD où figurait cette
mise en page. On y a gagné beaucoup de temps. Plus encore avec la
flasheuse, un énorme bidule avec lequel on pouvait sur place passer
l’étape de la photogravure.
- Mais à ce moment là il y avait internet, non
?
- Oui, ça commençait. Et nous avons complètement sauté le pas
dès 2000. Adieu papier, photogravure et rotative…JIM est devenu
JIM.fr. Les articles sont toujours choisis avec beaucoup de
soin…dans des échanges de mails. Toujours relus avec vigilance et
corrigés, ils sont mis en ligne en quelques heures par l'équipe de
webmasters. JIM n’arrive plus, sa couverture bleue sous la
cellophane dans les boîtes aux lettres, il s’affiche sur le web…en
un clic. Mais plus encore que la simplification de la fabrication
et le changement de support, ce qui a été révolutionnaire pour
JIM.fr, c’est la possibilité d’avoir accès à une multitudes de
sources, journaux, sites web, congrès afin d’y puiser l’information
utile pour les professionnels de santé francophones. Et c’est aussi
d’avoir pu établir un dialogue avec ses lecteurs au travers des «
réactions aux articles ». Le JIM d’aujourd’hui est véritablement
interactif…
- Possible que cela évolue encore. On peut se demander
comment sera le JIM en 2059…
- Ça il faut demander à Aurélie Haroche !
Dr Marie-Line Barbet (directeur médical)