
Paris, le samedi 25 janvier 2020 - La mise en examen d’un médecin de ville normand, ainsi que de son épouse, pour le délit « d’administration de substance nuisible ayant entrainé la mort, sans intention de la donner » relance un débat technique sur la question de la ‘fin de vie’.
Mi-novembre, les deux protagonistes de l’affaire se sont vus reprochés d’avoir administré à plusieurs personnes souffrant d’affection lourdes du midazolam (Hypnovel), qui en principe ne doit faire l’objet que d’une prescription hospitalière.
Bien entendu, il ne s’agit pas de préjuger d’une éventuelle responsabilité des deux mis en examens ou d’un éventuel renvoi devant une juridiction de jugement. Toutefois, l’affaire et la qualification retenue par le juge d’instruction appelle quelques observations intéressantes.
Une administration de substance nuisible, pas un empoisonnement
A ce stade de la procédure, la qualification retenue n’est pas totalement neutre. En effet, le juge n’a pas choisi la qualification d’empoisonnement mais bien celle (moins grave) « d’administration de substance nuisible ».
En effet, les deux infractions constituent des ‘infractions formelles’ et non des ‘infractions matérielles’.
Une infraction matérielle est constituée à partir du moment où un acte délictueux a été commis, même si il est réalisé sans dommage. Ainsi, l’infraction de meurtre est constituée dès lors qu’une personne a réalisé volontairement des actes de nature à entrainer la mort, indépendamment du résultat.
En revanche, une infraction formelle est constituée par la ‘simple’ réalisation d’un acte.
Ce qui distingue l’empoisonnement du délit d’administration de substances nuisibles est le caractère mortel ou non de la substance injectée.
En l’espèce, le juge d’instruction a logiquement considéré que l’Hypnovel ne pouvait être considéré comme une substance mortelle par nature (et ceci alors même que la prescription a manifestement été réalisée dans le cadre de soins palliatifs). Ce qui explique logiquement la qualification retenue.
Quel cadre légal pour la prescription du midazolam ?
L’affaire met aussi en lumière le fait que la législation actuelle sur la fin de vie (et notamment sur les détails techniques en matière de prescription) reste méconnue.
En effet, à la suite de la décision du juge d’instruction, un certain nombre de médecins se sont émus en sollicitant un élargissement de la possibilité de prescription de l’Hypnovel à la médecine de ville.
Cette autorisation pourrait (en théorie) permettre au médecin de ville de satisfaire son obligation, prévue par la loi du 3 février 2016 de « mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que toute personne ait le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ».
Toutefois, il convient de souligner d’un point de vue strictement légal, qu’il est d’ores et déjà possible pour un généraliste de prescrire ce médicament (à charge pour les proches d’aller le chercher à la pharmacie d’un centre hospitalier).
Ainsi, le guide de parcours établi par la Haute autorité de Santé en février 2018 indique que le midazolam peut être obtenu par un médecin de ville « par rétrocession par une pharmacie hospitalière » à charge pour le médecin de préciser qu’il s’agit d’une prescription « dans le cadre d’une prise en charge palliative » (Décret n°2004-546 du 15 juin 2004).
L’affaire montre bien à quel point, dans le méandre administratif et face à une législation mouvante, il est difficile pour les médecins de tracer une ligne claire entre ce qui est permis et ce qui est illégal.
Charles Haroche