Sévérité du Covid-19 : modélisons, il en sortira bien quelques chiffres !
La létalité du Covid-19 a fait l’objet d’estimations variables
aboutissant à des valeurs disparates dans le temps et dans
l’espace. Rien de surprenant face à une pandémie qui a submergé
tous les pays de données changeantes, le plus souvent recueillies
dans des conditions dramatiques avec les moyens du bord et soumises
à l’aval voire à la censure des autorités officielles. Tous les
facteurs et biais –depuis la méconnaissance de la maladie du fait
de la durée de son évolution en passant par la censure -ont donc
été réunis pour aboutir à des estimations dont la fiabilité est peu
garantie. Rien de spécifique au Covid-19 : dans les épidémies
récentes (grippe H1N1, SARS etc.), il a été bien difficile d’avoir
le nombre exact des cas et des décès (ou des hospitalisations) à
chaque instant. Or, cette information est capitale quand il s’agit
de gérer au jour le jour une situation d’urgence sanitaire comme
c’est le cas maintenant à l’échelle planétaire.
Tous les modèles sont faux…mais certains sont utiles
Une telle situation incite à une modélisation mathématique
capable de corriger la plupart des facteurs de confusion évoqués et
d’aboutir ainsi à une appréciation plus objective de la létalité et
de la sévérité du Covid-19 sans pour autant prétendre à la vérité
absolue. De l’avis des experts, tous les modèles sont faux … mais
certains n’en sont pas moins utiles.
La méthode a consisté à colliger les cas individuels des
patients décédés dans la province du Hubei entre le début de
l’épidémie et le 8 février 2020, validés par les autorités
nationales ou locales. Ont été ajoutés les décès enregistrés à la
date du 25 février dans 37 pays autres que la Chine continentale,
incluant Macao et Hong Kong. Ces cas individuels ont été utilisés
pour estimer le délai entre les premiers symptômes du Covid-19 et
l’issue ultérieure, soit le décès, soit la sortie du milieu
hospitalier. Dans un second temps, la létalité a été estimée en
procédant à une stratification selon l’âge et en regroupant les
décès cumulés observés en Chine et en les rapportant au nombre de
cas diagnostiqués par PCR ou autres critères. Il a été supposé dans
cette approche que le taux d’attaque – de l’ordre de 80 % en
l’absence de mesures préventives- était constant quel que soit
l’âge.
Par ailleurs, un ajustement a pris en compte les facteurs
démographiques et la sous-estimation du nombre de décès en fonction
de l’âge et de la localisation géographique. La létalité a été
également évaluée à partir des 1 334 premiers décès enregistrés et
clairement identifiables en dehors de la Chine continentale. Par
ailleurs, il a fallu introduire la prévalence des cas de Covid-19
confirmés par RT-PCR chez les résidents internationaux qui ont été
rapatriés vers leur pays d’origine à partir de la Chine : c’est
ainsi qu’il a été possible d’estimer le dénominateur du taux de
létalité propre à cette définition strictement biologique de la
maladie et stratifié en fonction de l’âge. Pour aboutir à la
sévérité de la maladie- là aussi en fonction de l’âge-, un
sous-groupe de 3 665 patients chinois atteints d’un Covid-19 a été
étudié en prenant en compte le nombre de ceux qui ont fini par être
hospitalisés.
Valeurs variables en fonction de l’âge
Le modèle a été appliqué aux données de 24 décès survenus
précocement en Chine continentale et de 165 guérisons constatées en
dehors de ce pays. Le délai moyen écoulé entre les premiers
symptômes et le décès a été estimé à 17,8 jours (intervalle de
crédibilité [CrI] 16,9–19,2), versus 24,7 jours (22,9–28,1),
pour la durée moyenne du séjour hospitalier.
Pour ce qui est de tous les cas de Covid confirmé sur le plan
clinique ou biologique en Chine continentale (n = 70 117), le taux
de létalité brut a été estimé à 3,67 % (Crl 95 % 3,56–3,80) après
un ajustement qui a pris en compte la censure potentielle. Des
ajustements plus poussés intégrant la démographie et la
sous-estimation potentielle ont ramené le taux de létalité à 1,38 %
(1,23-1,53) en Chine avec des valeurs variables selon l’âge.
Au-dessous de 60 ans, la valeur n’excède pas 0,32 % [0,27–0,38]
contre 6,4 % [5,7–7,2] au-delà de cet âge (≥ 60 ans). Chez les
patients âgés de plus de 80 ans, le taux de létalité a atteint 13,4
% (11,2-15,9). Les estimations portant sur les cas survenus
ailleurs qu’en Chine, donc plus tardifs, ont abouti à des résultats
voisins : au-dessous de 60 ans, la valeur obtenue a été de 1,4 %
[0,4–3,5] (n = 360) versus 4,5 % [1,8–11,1] dans les
tranches ≥ 60 ans [n=151].
0,66 % ou le taux de létalité des patients
RT-PCR+
Finalement, le taux de létalité chez les patients infectés
(RT-PCR+), et non plus par rapport à tous les cas diagnostiqués
cliniquement ou biologiquement, a été globalement estimé en Chine
-en tenant compte de tous les paramètres accessibles- à 0,66 %
(0,39–1,33). La proportion de patients infectés appelés à être
hospitalisés a été positivement corrélée à l’âge pour atteindre une
valeur maximale de 18,4 % (11,0–7,6) au-delà de 80 ans.
Ces estimations qui valent pour la phase relativement précoce de la
pandémie donnent une idée de la létalité et de la sévérité du
Covid-19 dans ses principales formes cliniques. Elles tiennent
compte des divers éléments déterminant la valeur du dénominateur du
taux de létalité en distinguant les cas infectés de ceux
symptomatiques confirmés sur le plan clinique, radiologique et
biologique. Elles s’affranchissent au moins en partie de certains
biais ou facteurs de confusion qui entachent les estimations
officielles de la plupart des pays sans prétendre à l’exhaustivité
et à la vérité absolue, d’autant qu’elles sont peut-être à
réactualiser à la lueur de l’évolution actuelle de la pandémie.
Tous les paramètres ne sont pas pris en compte dans le modèle ce
qui ne saurait faire mentir l’adage cité plus haut : tous les
modèles sont faux, mais certains sont utiles.
Les modèles, c'est bien joli, mais rien ne remplace les observations. D'ailleurs seules des observations exactes et exhaustives permettraient d'élaborer d'éventuels modèles un tant soit peu crédibles.
Le malheur est que la collecte attentive, rigoureuse et systématique des données de santé se heurte à un nombre incalculable de freins qu'il serait trop long d'exposer et d'analyser ici.
Cette absence délibérée de recueil obligatoire et d'archivage précis, centralisé et disponible en temps réel, des données individuelles, explique le déplorable déficit de connaissance scientifique qui nous rend aujourd'hui incapables de procéder autrement qu'avec des méthodes simplistes et inadéquates dans de nombreux contextes (dont les trop fameux RCT : essais contrôlés randomisés).
Dr Pierre Rimbaud
Si même les experts...
Le 08 mai 2020
En médecine (biologie+ facteurs socio économiques+ culturels+politiques etc) , je ne suis pas surpris que les modèles soient faux, ni que les médias s'en nourrissent... Ce qui l'est plus, c'est que les décideurs y accordent un tel crédit, car comme le dit P Rimbaud: "les modèles, c'est bien joli, mais rien ne remplace les observations".
Peut être les modélisations leur donnent elles l'impression de contrôler la situation et d'agir efficacement. Notre bien être et notre résistance aux agressions dépendent aussi du pragmatisme. Celui ci a perdu du terrain, pas seulement en médecine, au bénéfice de multiples structures et cercles de pensée dédiés à la prospective et à la "domestication" de notre avenir. Il sera intéressant, une fois le calme et la sérénité nécessaires revenus, d'explorer et de comprendre pourquoi des pays économiquement et politiquement similaires ont eu des résultats médicalement aussi différents avec des restrictions des libertés individuelles elles aussi contrastées. Ces questions a posteriori pourraient nous aider à mieux gérer une prochaine épidémie et notre quotidien, à la condition d'y associer tous les acteurs.