Quand la santé de nos gouvernants vacille : qui est en charge des décisions ?

Londres, le mercredi 8 avril 2020 - Lundi soir, l’unité de soins intensifs de l’hôpital Saint Thomas de Londres a accueilli un patient un peu particulier.

Boris J., 55 ans, a été contaminé par SARS-CoV-2. Outre un certain surpoids, il exerce une profession qui l’expose continuellement à une dose de stress conséquente : Premier Ministre du Royaume Uni.

Seulement quatre mois après avoir triomphalement remporté les élections générales britanniques, Boris J. vient de passer une deuxième nuit en soins intensifs, dans un état « stable mais grave ».

Si actuellement, et d’après les informations délivrées par les autorités britanniques, le Premier Ministre n’est pas placé sous respirateur artificiel, ce-dernier ne sera pas rétabli avant plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

Or, en cette période de crise qui nécessite la prise de décisions importantes et rapides, difficile d’imaginer un état privé de la tête de son exécutif.

Alors, que prévoit notre constitution, et celle des grandes démocraties, dans l’hypothèse où le chef d’État ou de gouvernement est dans l’incapacité d’exercer ses fonctions ?

En France, la présidence « empêchée »

Si l’état de santé du Président de la République française est un secret bien gardé, il arrive que la faiblesse du président devienne difficile à camoufler. Aussi, lorsque son état devient incompatible avec l’exercice de sa fonction, la question de son maintien est clairement posée.

Quelles sont les options prévues par la Constitution dans cette hypothèse ?

En premier lieu, rien n'interdit au Président de la République de démissionner, lorsqu’il estime ne plus être apte à remplir ses fonctions. Ainsi, sous la troisième République, le Président Paul Deschanel a accepté de démissionner après "l’incident du train" de 1920.

Bien entendu, la démission nécessite l’accord du Président qui peut vouloir demeurer à son poste alors même que son état de santé est clairement incompatible avec ses fonctions.

Reste la faculté prévue par l’article 7 de la Constitution en cas « d’empêchement ». Sur demande du Gouvernement statuant à la majorité absolue de ses membres, le Conseil Constitutionnel peut être saisi pour constater l’empêchement du Président de la République à exercer ses fonctions et confier celles-ci à titre provisoire au Président du Sénat.

Par la suite, si le Conseil constitutionnel déclare définitif l’empêchement, celui-ci doit convoquer une nouvelle élection vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après la déclaration du caractère définitif de l’empêchement.

En pratique, cette faculté offerte par la constitution n’a jamais été appliquée.

On voit d’ailleurs difficilement comment ce mécanisme pourrait être mise en œuvre. Ainsi, on se souvient que même en période de cohabitation, le gouvernement de droite avait refusé d’envisager le déclenchement de cette procédure alors même que l’état de santé de François Mitterrand était manifestement dégradé.

Il reste qu’à l’heure actuelle, seul le Gouvernement peut souverainement décider de déployer cette procédure. Ainsi, après l’accident vasculaire cérébral de Jacques Chirac en 2005, un justiciable avait saisi le Conseil d’État pour enjoindre le premier ministre de mettre en œuvre la procédure d’empêchement. Mais pour la haute juridiction, le mécanisme décrit dans l’article 7 de la Constitution constitue un « acte de gouvernement » qui ne peut faire l’objet d’un recours.

Au Royaume-Uni, une situation incertaine

Contrairement à la France, le Royaume-Uni ne dispose pas d’une constitution écrite. Dès lors, difficile de trancher la question de savoir qui est en charge de la prise des décisions.

Lundi 6 avril, à la suite de l’aggravation de l’état de Boris Johnson, Downing Street a précisé que le ministre des affaires étrangères, Dominic Raab, avait été désigné par le chef du gouvernement pour être « suppléant, au cas où cela serait nécessaire ».

Mais certains constitutionnalistes s’interrogent sur les conséquences de cette "nomination". Ainsi, pour le Think tank Institute for Governement, il « n’est pas prévu de pouvoirs formels pour un ministre qui remplacerait un premier ministre dans l’incapacité de remplir ses fonctions ».

La décision de nommer un Acting Prime Minister devrait par conséquent faire l’objet d’un vote au sein du Cabinet.

Plus que jamais, le Cabinet devra donc se montrer uni face à la crise. Mais comme le soulignent les médias britanniques, les dissensions apparaissent d’ores et déjà entre le ministre de l’économie, Rishi Sunak, pressé de lever le confinement, et le ministre de la santé, Matt Hancock, inquiet de voir les limites du système de santé dépassées.

Aux Etats-Unis, une ligne de succession clairement définie

La situation est beaucoup plus claire aux Etats-Unis, qui a prévu d’une manière extrêmement détaillée l’ordre de succession à respecter en cas de décès ou d’incapacité du Président. 

Il est vrai qu’aux Etats-Unis, huit présidents sont morts en cours de mandat depuis 1776 dont quatre assassinés (contre un seul Premier Ministre Britannique, Spencer Perceval en 1812).

Ainsi, l'article 2, section 1, clause 6 fait du vice-président le premier dans un ordre de succession extrêmement détaillé.

Mais comment définir si le président est incapable d’agir ?

La question s’est posée notamment en 1881, lorsque le Président Garfield, victime d’un attentat, a passé plus de 80 jours entre la vie et la mort. Face au refus de son vice-président de se "saisir du pouvoir", le pays fut laissé dans une grande situation d’incertitude.

De même, en 1919, le Président Wilson a passé la dernière année de son mandat paralysé victime d’une attaque. Son vice-président refusa pour des motifs politiques d’exiger la démission de Wilson. Son épouse, Edith Wilson, aurait alors mis en place un « gouvernement de chevet », priorisant les dossiers importants pour son mari en dehors de tout cadre légal…

C’est la raison pour laquelle en 1967, peu de temps après l’assassinat du Président Kennedy, le Congrès adopta le vingt-cinquième amendement, autorisant le cabinet à démettre le Président de ses fonctions (ou à suspendre temporairement son autorité) en cas d’incapacité, pour transférer en urgence les pouvoirs au vice-président. Ainsi, en 1981, le vice-président Bush fut en charge des affaires courantes au moment où Ronald Reagan, victime d’une tentative d’assassinat, fut placé sous anesthésie générale.

CH

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Vos réactions (1)

  • Des mots, pas d'actes

    Le 08 avril 2020

    Plus d'un médecin sur 2 est âgé de plus de 60 ans. Mis en danger car exposés sans protection au covid, ils tombent comme à Gravelotte. Le Conseil National de l'Ordre appelle les réservistes.

    Demande-t-il la comptabilisation des décès professionnels par le covid? Demande-t-il des indemnisations pour les familles ? L'Ordre demandera-t-il la déclaration du covid en maladie professionnelle? Applaudis aujourd'hui, serons-nous demain à nouveau traités de nantis et de suppôts des labo ? Les pandémies sont comme des trains. L'une cache l'autre. A quoi servent des labos P3 et P4 sur les germes pathogènes sans s'en prévenir, sans même penser aux mesures de protection et d'hygiène? De quoi rester pantois de tant d'inconséquences décérebrées. On sait qu'il existe 31 % de risques de fuites infectantes sur 10 ans auxquelles il faut ajouter les attaques des virus naturels et mutants.

    Ces faits interrogent sur la carence d'anticipation et de réactivité aux pandémies annoncées. "Gouverner c'est prévoir. Ne pas anticiper c'est courir à sa perte" dixit De Gillardin il y a deux siècles. C'est courir à la perte des citoyens et des soignants en premières lignes.

    Dr Isabelle Gautier, présidente de l'Association Française des Femmes Médecins

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