Remdesivir dans les formes graves du Covid-19, plus que de la compassion ?

Face à la pandémie mondiale de Covid-19, la recherche d’un traitement antiviral se poursuit à un rythme effréné. Dans les formes sévères qui frappent avec prédilection les sujets âgés ou fragiles, sans cependant épargner totalement les plus jeunes, la prise en charge thérapeutique reste purement symptomatique et se fait en unité de soins intensifs dès que l’insuffisance respiratoire aiguë s’aggrave et nécessite une ventilation assistée. A ce stade sont administrés divers médicaments qui peuvent être associés : antibiotiques, hydroxychloroquine, antiviraux, anti-inflammatoires ou encore plasma de convalescence.

La carte du remdesivir

Le remdesivir est une prodrogue, en l’occurrence le précurseur d’un analogue nucléotidique qui est métabolisé dans le milieu intracellulaire pour former un analogue de l’ATP (adénosine triphosphate) capable d’inhiber diverses polymérases équipant certains virus à ARN. Du fait de ce mécanisme d’action biologique, ce médicament fait preuve d’un spectre d’activité large qui inclut notamment les filovirus (par exemple, Ebola) et les coronavirus (par exemple, SARS-CoV et MERS-CoV [Middle East respiratory syndrome coronavirus]). Par ailleurs, le remdesivir est doué d’une efficacité prophylactique et thérapeutique dans divers modèles expérimentaux plus ou moins représentatifs de la réalité clinique. In vitro, le médicament fait preuve d’une certaine activité  anti-SARS-CoV-2. Il a par ailleurs été testé chez environ 500 sujets dont des volontaires sains et des patients atteints d’une infection par le virus Ebola sans induire d’évènements indésirables sérieux.

Essai multicentrique international ouvert sur une soixantaine de patients

Pour toutes ces raisons, il a été décidé d’utiliser ce médicament à titre compassionnel chez 61 patients atteints d’une forme grave de Covid-19 dans le cadre d’un essai multicentrique international ouvert, donc sans groupe témoin. Les résultats sont publiés en ligne dans la plus grande revue médicale du monde, le New England Journal of Medicine, du 10 avril 2020. Sans triomphalisme aucun.

Les critères d’inclusion étaient une infection à SARS-CoV-2 biologiquement confirmée ; une SaO2 ≤ 94 % en air ambiant ; une oxygénothérapie en cours. Le remdesivir a été administré pendant 10 jours, à raison de 200 mg par voie IV le premier jour et de 100 mg/j pendant les 9 jours suivants.

L’analyse porte sur les patients qui ont bénéficié de ce traitement entre le 25 janvier 2020 et le 7 mars 2020 et chez lesquels ont disposait de données cliniques pour au moins une journée après l’administration de la première dose.

Sur les 61 participants qui ont reçu au moins une dose du médicament, huit n’ont pas été inclus dans l’analyse finale (dont sept en l’absence de données après traitement et un du fait d’une erreur de posologie), de sorte qu’elle n’a porté que sur 53 patients de provenances diverses : Etats-Unis (n=22), Europe ou Canada (n=22), Japon (n=9).

Une amélioration significative chez près de sept malades graves sur dix

A l’état basal, il s’agissait de formes graves dans près de ¾ des cas, puisque 30 malades (57 %) étaient sous ventilation invasive, et quatre (8 %) bénéficiaient d’une oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO) du fait d’une hypoxémie réfractaire. Au cours du suivi d’une durée médiane de 18 jours, la situation clinique s’est nettement améliorée chez 36 patients (68 %).

Ainsi, plus d’un malade sur deux (57 %) sous ventilation invasive a pu être extubé. Vingt-cinq patients (47 %) sont sortis de l’hôpital et sept (13 %) sont décédés. La mortalité en cas de ventilation invasive a été estimée à 18 % (6/34) et de 5 % (1/19) quand celle-ci n’était pas nécessaire à l’état basal.

Un usage compassionnel justifié mais des essais randomisés attendus

Les résultats de cette étude ouverte multicentrique et internationale sont encourageants. En effet, chez ces 53 participants atteints d’une forme sévère du Covid-19 ayant nécessité une ventilation mécanique invasive dans 65 % des cas, une amélioration clinique a pu être obtenue près de sept fois sur dix. La mortalité de ces formes graves a été estimée à 18 %, ce qui est inférieur aux chiffres observés habituellement, plutôt voisins de 50 % que de 25 % d’après les statistiques de mortalité quotidiennes et les quelques séries publiées.

L’effectif restreint, l’exclusion de 8 patients de l’analyse finale et l’absence de groupe témoin ne permettent pas de conclure sans ambages  à l’efficacité du remdesivir. En attendant les résultats prochains des essais randomisés en cours, l’usage compassionnel de ce médicament est cependant conforté par ces données encourageantes qui suscitent un réel espoir pour la prise en charge des formes graves du Covid-19.

Dr Peter Stratford

Référence
Grein J et coll.: Compassionate Use of Remdesivir for Patients with Severe Covid-19. N Engl J Med. 2020 (10 avril) : publication avancée en ligne. doi: 10.1056/NEJMoa2007016.

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Vos réactions (11)

  • Objectivité questionable de la conclusion de l'article JIM

    Le 14 avril 2020

    A lire toutes les tribunes concernant le Pr Raoult et l'analyse de ses résultats il me semblait que la petite taille de l'échantillon et l'absence de groupe témoin sont contraires à l'alpha et l'oméga de l'essai clinique fiable ! Pourtant je cite le présent article "L’effectif restreint, l’exclusion de 8 patients de l’analyse finale et l’absence de groupe témoin ne permettent pas de conclure sans ambages à l’efficacité du remdesivir" où vous concluez cependant votre analyse par la phrase suivante " En attendant les résultats prochains des essais randomisés en cours, l’usage compassionnel de ce médicament est cependant conforté par ces données encourageantes qui suscitent un réel espoir pour la prise en charge des formes graves du Covid-19".

    Cherchez l'erreur: susciter un réel espoir ? Ah bon ! Et pourquoi ?
    Sans aucun parti pris en faveur ou en défaveur d'autres traitements (notamment la chloroquine en association avec un antibiotique) je ne vois en quoi l'étude citée est de meilleure qualité que celles dont nous disposons déjà et en conséquence je pense que votre conclusion est prématurée et bien trop positive. Je vous propose de la reformuler en faisant preuve de davantage de prudence et d'objectivité scientifique.

    Dr. M-E Behr-Gross, PhD, pharmacien DE

  • Parfaitement d'accord ! Avec le Dr. M-E Behr-Gross...

    Le 14 avril 2020

    Deux poids, deux mesures ?

    Dr Henry Laucournet

  • Des formes plus graves dans l'essai du New England Journal of Medicine (réponse au Dr M-E Behr-Gross et Laucournet))

    Le 14 avril 2020

    Face aux maladies actuelles les essais ouverts ne sont qu'un pis-aller. En toute objectivité scientifique, je cherche l'erreur mais ne la trouve pas. Il est permis de signaler quelques différences notoires entre l'essai du NEJM et ceux du Pr Raoult.

    Dans ces derniers ont été inclus des cas de Covid définis par la positivité de la RT-PCR sans autres critères d'inclusion et sans la moindre mention sur leur gravité: d'ailleurs la mortalité observée n'excède pas 2 %, celle qui caractérise l'histoire naturelle de la maladie, avec ou sans HCQ+azithromycine.

    Dans l'essai du NEJM il s'agit de formes sévères ou graves : pour ces dernières la mortalité serait de 50 %. Le fait d'observer une mortalité bien plus faible avec l'antiviral mérite d'être souligné, mais cela ne dispense en aucun cas des essais randomisés en cours. Au demeurant, même dans le cas des études du Pr Raoult, la conclusion était la même: il nous faut des études contrôlées pour affirmer l'efficacité de sa stratégie.

    Il n'y a pas deux poids deux mesures, non simplement un outil accessible à tous pour contribuer aux progrès thérapeutiques dans toutes les maladies auxquelles le Monde d'aujourd'hui est confronté.

    Cette approche n'est en rien contraire à l'éthique médicale, elle en est même le garant: sans elle, le risque est de déboucher sur des stratégies thérapeutiques inefficaces et potentiellement dangereuses. C'est sur cette base que se sont développés les essais contrôlés à la fin des années 70 non sans déclencher de nombreuses réticences au sein du corps médical. Nil novi sub sole...

    Dr Peter Stratford

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