
Cela fait partie du métier
Cette vulnérabilité pourtant, beaucoup ont refusé de la reconnaître, tout en continuant, non sans une certaine coquetterie, à refuser de se voir comme exceptionnel. « Je ne me sens pas spécialement héroïque, ça fait partie de ma conception de ce métier. Quand la situation le nécessite, il faut savoir se mobiliser » témoignait ainsi dans le quotidien 20 minutes Myriam Untersteller, 66 ans, chef d’une unité de réanimation à la retraite et qui a été l’une des premières à répondre à l’appel aux renforts lancé par l’hôpital de Poitiers. Ainsi, un grand nombre de médecins retraités ont-ils choisi d’oublier que leur âge constituait un facteur de risque important de complications. Au péril de leur vie.Retraite : le mot interdit
Ainsi, dans la longue et malheureusement non exhaustive liste de soignants morts victimes du Covid-19 proposée par le site du Parisien, ils sont nombreux ces praticiens retraités. Ou plus certainement ces praticiens qui ne voulaient pas entendre parler de retraite. « Il disait qu'il travaillerait jusqu'à sa mort », se souvient le fils du Dr Mahen Ramloll, médecin généraliste dans le Haut Rhin, mort fin mars. Guy Pfister, 75 ans, disparu le 15 avril en Haute Marne, est de son côté présenté comme « le médecin qui ne voulait pas prendre sa retraite ». « On essaie de monter, en ce moment, un cabinet médical. Sa construction s'est arrêtée à cause du confinement, mais il voulait être là pour l'inauguration qui aurait dû se faire fin mars. Il avait même mis une option, il voulait faire partie des cinq médecins du cabinet, il ne voulait pas prendre sa retraite ! », raconte ainsi le maire de Wassy Christel Mathieu. De même à propos du premier médecin décédé, l’urgentiste, Jean-Jacques Razafindranazy (67 ans), son fils racontait : « Il était à la retraite et aurait pu arrêter, mais il continuait à aider ses confrères surchargés ».Instantané de l’épidémie
Les professionnels de santé victimes du Covid-19 offrent un portrait de l’épidémie : les victimes sont principalement des hommes, âgés de plus de 65 ans. Certains présentaient des facteurs de risque comme le docteur Pierre Gilet (Dannemarie), âgé de 64 ans, dont la pathologie cardiaque ne l’a pas dissuadé de monter au front. Il existe également parmi ces soignants morts au combat des exceptions frappantes, des sujets un peu plus jeunes. Justine Raharivelo, aide-soignante à Chateauroux avait ainsi 48 ans quand elle a été emportée le 9 avril, laissant quatre enfants qu’elle élevait seule.Image de la France et de la richesse de sa diversité
Nounours
La mort permettant toujours d’oublier les mauvaises humeurs, les défauts, les mesquineries, d’autant plus quand elle est une mort au champ d’honneur, les médecins, infirmiers, aides-soignants pleurés sont parés des plus grandes vertus. Toujours de bonne humeur, dévoués et bienveillants nous chantent les hommages. Grâce à des témoignages plus personnels, on s’émeut du surnom donné à un gynécologue de Mulhouse rebaptisé « Nounours » (le Dr Jean-Marie Boeglé) qui dans sa jeunesse avait monté un groupe de musique baptisé Globule. On sourit aussi face à la sincérité des mots de Lidia Lerche évoquant son époux, le docteur Lerche (médecin généraliste à Villers-Outréaux à 64 ans) : « Il fallait le prendre tel qu'il était, mais c'était une personne très bienveillante envers ses patients, qui n'hésitait jamais à leur donner beaucoup de son temps ».Médecine du monde d’avant et on l’espère du monde d’après
Les témoignages recueillis par les médias locaux font en effet le portrait d’une médecine toujours bienveillante, à l’écoute des patients, une médecine à l’ancienne. Reviennent ainsi les qualificatifs de « médecins de campagne », se multiplient les récits de praticiens s’enquérant au téléphone de l’évolution de l’état de leurs patients. Loin des tracasseries administratives, de la dégradation de la relation médecin-malade, des agacements que l’on évoque souvent, c’est une médecine passion, une médecine d’engagement qui se raconte avec sérénité dans ces hommages. Des hommages que beaucoup regrettent de n’avoir pu rendre parfaitement en raison des restrictions liées au confinement. « Malheureusement, on ne pourra pas se rendre aux obsèques, mais lorsqu'on sortira du confinement, on lui rendra hommage. On veut que sa mémoire perdure, car c'était vraiment quelqu'un de bien », revendique ainsi Christophe Cuzin, manager de l'équipe de hockey sur glace des Jokers de Cergy-Pontoise dont le docteur Sami Reda était le médecin bénévole jusqu’à sa mort le 26 mars dernier à l’âge de 63 ans.Aurélie Haroche