
Paris, le samedi 9 mai 2020 - L’idée est séduisante : alors
que la majorité des Français est connectée, a téléchargé des
applications en acceptant d’être localisé sans trop se soucier de
ce que deviennent leurs données, pourquoi ne pas aider la veille
sanitaire en proposant une appli qui permette via bluetooth de
repérer et informer ceux qui ont été en contact avec une personne
infectée par le SARS-CoV2 ?
Si STOPCOVID est née d’une proposition apparemment altruiste
de la part de ses concepteurs et promet une « autodestruction » des
données après utilisation (anonyme et uniquement à des fins de
santé publique), l’ombre de big brother plane inévitablement sur ce
projet.
Consentement libre et éclairé ?
Non consultée, la commission nationale consultative des droits
de l’Homme (CNCDH) s’est pourtant autosaisie de la question : son «
avis sur le suivi numérique des personnes » a été publié le 3 mai
au JORF*. Malgré les garanties annoncées (open source, informations
dans le téléphone, pas de géolocalisation, caractère non
obligatoire...) la commission énonce de nombreuses raisons de
défiance.
Précisant que la conformité au cadre législatif (RGPD
notamment) n’équivaut pas au respect des droits et liberté, la
CNCDH trouve le consentement libre et éclairé « sujet à caution » :
quid de l’employeur demandant à ses employés de télécharger
l’appli, quid des mineurs ?
L’invocation de l’impératif de santé publique, de la
protection des soignants ou l’injonction morale d’agir en citoyen
responsable ne pourraient-elles pas justifier pression sociale,
stigmatisation et harcèlement, voire un accès aux lieux publics
conditionné à l’utilisation de l’appli ?
Elle souligne l’aggravation de la fracture sociale ainsi
provoquée (les plus âgés et précaires : 18 millions d’exclus),
doute fort de la garantie de l’anonymat et évoque la tentation de
contraindre les personnes au test et au confinement ou la
réutilisation des données à d’autres fins par un (futur)
gouvernement moins soucieux de sécurité sanitaire que d’ordre
public.
À suivre...
Bref, ce pourrait être un fâcheux « précédent », craint la
commission, dont l’avis s’élargit d’ailleurs au risque général pour
les droits de l’Homme de l’utilisation du numérique.
On l’aura compris, la CNCHD doute que la balance
bénéfice/risque penche du côté de l’appli, dont l’intérêt n’a pas
été prouvé. Cet intérêt dépend du pourcentage de personnes
utilisatrices qui reste une inconnue, de la fiabilité du bluetooth
ou encore, selon la commission, de la fiabilité des tests qui
resterait douteuse.
Recommandant au gouvernement « de ne pas recourir aux mesures
de suivi numérique des personnes », et de mener une politique de
santé publique « ambitieuse » (moyens humains), la CNCHD prévient
qu’elle sera très vigilante à l’égard de ce type d’utilisation de
l’IA**.
A bon entendeur...
*Journal officiel de la république française
**Intelligence artificielle
Dr Blandine Esquerre