« On nous demande de monter l’Everest et je suis enthousiaste pour y aller ! » ITW du président du Syndicat des biologistes
Paris, le mercredi 6 mai 2020 - A partir du 11 mai, la France
devra être en mesure de réaliser 700 000 tests RT-PCR par semaine,
outil premier pour interrompre les chaines de contamination. Il
s’agit d’un nouveau défi lancé par Edouard Philippe aux
professionnels de santé dont notamment les 10 200 biologistes
exerçant en libéral et à l’hôpital. François Blanchecotte,
président du Syndicat national des biologistes et président du
Centre National des Professions de Santé (CNPS) nous explique les
détails de la mise en œuvre de cette organisation.
François Blanchecotte : Durant les semaines 15 et 16 (du 6
au 19 avril), nous avons réalisé 250 000 tests par semaine. Les
groupes privés ont la capacité de faire environ 150 000 tests par
jour, sans compter le public. Théoriquement, cela doit donc passer.
La question qui se pose concerne la répartition et le nombre de
préleveurs sur le territoire. Si dans les départements verts, nous
avons la capacité d’effectuer les prélèvements, cela risque de
coincer dans les départements rouges. Dans un drive, vous prélevez
une personne toutes les dix minutes environ. Ce ne sera pas
suffisant si nous nous retrouvons face à une explosion de personnes
positives dans une ville à forte concentration urbaine, et si les
enquêteurs de l’Assurance Maladie font bien leur travail en
appelant les 25 personnes-contact estimées avoir été en lien avec
un patient positif. Nous pourrions alors nous retrouver avec 1000 à
3000 personnes à prélever la même journée. Je viens d’en discuter
avec le conseiller du ministre, c’est dans cette situation là que
je crains que nous manquions de préleveurs.
JIM.fr : Quelle serait la solution pour renforcer le nombre
de préleveurs en cas d’afflux massifs de personnes à dépister
?
François Blanchecotte : Nous essayons d’anticiper une
solution avec nos collègues libéraux depuis quinze jours,
c’est-à-dire avec les différents présidents de syndicats. J’ai
proposé la cotation d’un acte nouveau pour les médecins et les
infirmières libérales afin qu’elles puissent prélever non seulement
au cabinet, au domicile des patients mais aussi qu’elles puissent
renforcer les drives que nous avons sur le terrain. Les retours des
professionnels sont extrêmement positifs. Dans notre département en
Indre et Loire et dans les départements limitrophes, 169
infirmières ont répondu positivement à notre appel. Nous devons
organiser cela. Concernant la nomenclature des actes, un médecin
rendant visite à domicile, peut en plus de sa consultation à 35€
coter un électrocardiogramme par exemple mais pas un prélèvement
naso-pharyngé. Il est donc important d’avoir la création de cette
cotation très rapidement. J’en ai parlé au directeur de l’Assurance
Maladie encore dimanche soir et nous, tous syndicats de biologistes
confondus, lui avons fait une proposition. Notre objectif est que
dans les endroits où le nombre de positifs peut exploser d’un seul
coup, nous trouvions beaucoup de bras sur le terrain. Je compte
absolument sur les infirmières, les médecins libéraux pour venir
renforcer la capacité à prélever si le nombre doit augmenter de
façon exponentielle en quelques jours dans une ville. Les décisions
doivent être prises cette semaine.
JIM.fr : Avez-vous reçu en quantités suffisantes et dans
toutes les régions : des tests, des écouvillons, des réactifs, des
machines ?
François Blanchecotte : Nous n’avons plus tellement de
problèmes de tests ni de machines. Concernant les écouvillons cela
commence à se régler. Je dirais que nous sommes sur un marché
mondial tendu sur le plastique pour tout ce qui est à usage unique
: les cônes en plastique de pipettes, les cupules contenant les
réactions chimiques des machines… Le ministre a mis en place une
plateforme de commandes à propos de laquelle nous avons été
sollicités il y a environ trois semaines. Nous faisons une dernière
relance syndicale aujourd’hui en demandant à tous les laboratoires
de se connecter afin de donner leurs besoins actuels, renseigner
les problèmes qu’ils rencontrent concernant leurs commandes
(problème de douanes, problème d’acheminement, problème de
quantités) et de prévoir les commandes à venir en rapport avec leur
capacité à réaliser les prélèvements. Cette plateforme est prête.
La plupart des grands groupes ont répondu. Le gouvernement nous a
assuré par la voix de son ministre que nous avons eu directement au
téléphone ce matin qu’il améliorerait les commandes groupées,
accélèrerait la douane et ferait le transport aérien. Nous avons
beaucoup de garanties de ce côté-là.
JIM.fr : Le Professeur Philippe Froguel du CHU de Lille
interviewé par France 3 a indiqué qu’aucun des 21 robots, servant à
réaliser des tests, commandés par la France à la Chine, ne
fonctionnerait. Avez-vous des informations à ce sujet ?
François Blanchecotte : Ces vingt plateformes NGI sont des
plateformes usine d’extraction de l’ARN monocaténaire. Elles ont
été distribuées dans dix-huit hôpitaux (CHU, APHP) et il y en
aurait eu deux livrées au privé. Nous n’avons pas eu de
transparence dans l’information transmise de ce côté-là. Ces
plateformes d’extraction doivent être mises en œuvre sur leurs
plateaux et il y aurait des problèmes mais je n’en sais pas plus.
Est-ce que ce sont des problèmes de mises en œuvre, des problèmes
de compréhension de fonctionnement de la machine, est-ce que c’est
un problème d’approvisionnement en prélèvements car ce sont des
extracteurs qui font normalement 2500 extractions jour ? Je n’en
sais pas plus. De notre côté, nous n’avons pas ces problématiques
car nous avons commandé des extracteurs plus petits, qui font 100
patients à l’heure, mais en plus grand nombre.
JIM.fr : Comment se dérouleront l’identification, le
dépistage et la traçabilité de la chaine de contamination dès lors
qu’un médecin aura identifié les symptômes chez l’un de ses
patients ?
François Blanchecotte : Un système d’information national
centralisé recensera toutes les données patientèles positives et
négatives. Les laboratoires d’analyse, les drives ou les sites
dédiés Covid tels qu’un gymnase sont aujourd’hui répertoriés comme
centres de prélèvement. Toutes leurs informations (créneaux
horaires pour les dépistages, avec ou sans rendez-vous…), vont être
enregistrées dans le système cette semaine. C’est un effort
colossal que nous avons fait mais c’est déterminant. Sur le
terrain, le patient zéro, qui a des symptômes, continuera d’aller
dans le circuit habituel. Son médecin traitant lui enverra son
ordonnance pour réaliser un test. Ensuite, si le patient est
positif, nous enverrons son résultat dans le système accompagné de
son nom, prénom, email, téléphone, le moyen de le joindre si c’est
une personne non informatisée, son médecin traitant, son infirmière
dans le cas d’une personne âgée ou handicapée. L’enquêteur
départemental qui va recevoir cette information est assermenté et
classé comme professionnel de santé c’est-à-dire qu’il est tenu de
respecter le secret médical obligatoire. Il appellera le patient et
lui demandera de transmettre les contacts qu’il a eus dans les
jours précédant son diagnostic. Les contacts seront saisis sur un
serveur sécurisé de l’Assurance Maladie. Un enquêteur appellera
chacun pour leur proposer de se présenter dans un centre de
prélèvement proche de leur domicile à telle date et telle heure,
sur rendez-vous ou sans rendez-vous. Afin d’aller se faire dépister
le plus rapidement possible, ces personnes-contacts n’auront pas
besoin de passer chez un médecin pour une ordonnance. Le
laboratoire recevra l’information et dépistera la personne-contact
sans ordonnance et retransmettra cette information dans le système
centralisé. Et chaque nouveau cas positif deviendra un patient zéro
à qui l’enquêteur demandera ses contacts et ainsi de suite… Tout
ceci afin d’essayer de clustériser la contamination. Pour les 10%
de Français qui n’ont pas de médecin traitant et qui seront
positifs, il leur sera attribué un médecin pour les prendre en
charge.
Tests sérologiques : nous sommes prêts, mais les tests doivent
être validés
JIM.fr : Dans son rapport du 2 mai, face au manque de
connaissances sur une potentielle immunité protectrice des
personnes infectées, la HAS exclut l’usage des tests sérologiques
Elisa pour le dépistage général. Mais elle les recommande pour les
diagnostics de rattrapage, la prévention de la circulation du virus
dans les structures d’hébergement collectif et les enquêtes
épidémiologiques. Qu’en pensez-vous ?
François Blanchecotte : Pour l’instant, nous sommes en train
d’apprendre sur la façon dont réagit ce virus. J’ai encore lu ce
samedi une publication chinoise qui indiquait que certains patients
connaissent une persistance des IgM pendant plusieurs semaines. Et
donc la question qui se pose est de savoir si la personne porteuse
d’IgM est toujours contaminante. C’est pour cela que la sérologie
ne peut pas être utilisée de manière systématique. Et nous devons
attendre de savoir comment les Centres Nationaux de Référence
veulent valider, ou non, les tests.
JIM.fr : Si vous aviez une montée en charge des tests
sérologiques, seriez-vous prêts ?
François Blanchecotte : Nous le serions encore bien plus car
nous avons l’habitude de faire les tests enzymatiques ELISA sur nos
machines. En France, 500 000 personnes sont prélevées tous les
jours dans nos laboratoires privés. Demain, si nous devions piquer
800 000 personnes par jour, nous serions capables de le faire. Nos
machines sont des automates à grande cadence qui peuvent faire
quasiment 200 sérums à l’heure ce qui est une très grande capacité,
bien plus rapide que les machines moléculaires. Il faut simplement
que les grandes firmes nationales et internationales avec
lesquelles nous travaillons habituellement depuis des années
c’est-à-dire Roche, Abbott, Siemens, Biomérieux soient prêtes. Et
elles sont en train de mettre au point cette sérologie.
Premières heures de l’épidémie : « C’était l’enfer ! »
JIM.fr : Regrettez-vous que la France n’ait pas eu une
stratégie de dépistage massif comme l’Allemagne ?
François Blanchecotte : L’Allemagne a adopté un modèle
totalement différent du nôtre car, dès le mois de janvier, un
lanceur d’alerte, virologue et biologiste, a identifié qu’une
situation grave arrivait et qu’il fallait dépister. En France, nous
n’avons pas eu de lanceur d’alerte bien que notre premier cas, à
priori, remonterait à décembre, suivi d’autres en janvier. Nous
avons perdu beaucoup de temps. Dans le privé, notre acte n’a été
mis au remboursement que le 8 mars. Ensuite, il a fallu le temps de
s’équiper… De plus, la liste de réactifs que nous pouvions acheter
était très restrictive : nous n’avions que six marques au départ
alors qu’aujourd’hui nous en avons plus de trente-neuf. Au début,
nous sommes tombés dans un goulot d’étranglement administratif,
technique et d’achat mondial dans lequel nous avions peu de
produits sur le marché et en plus en liste réduite. C’était juste
l’enfer !
JIM.fr : Quelles sont les clés de la réussite du
déconfinement ?
François Blanchecotte : Je pense que lors du
déconfinement, nous devrons faire face à du relâchement. Si nous
voulons que la vie économique reprenne, le portage du masque
systématique dehors devrait être obligatoire.
Je suis fondamentalement pour avoir une forte coopération sur
le terrain car notre problématique va être de limiter la
contagiosité et pour cela, nous avons besoin de tout le monde,
c’est très important. Cette semaine, nous avons un travail énorme :
pour connecter nos plateformes et tout mettre en œuvre… On nous
demande de monter l’Everest ! Et je suis enthousiaste pour y aller
même si je ne pratique ni la montagne ni le sport. Nous devrions y
arriver !
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