Se souvenir que la grippe aussi peut être grave !

Les virus de la grippe entraînent, habituellement, des signes respiratoires limités mais peuvent, dans certains cas, conduire à une hospitalisation, voire être responsables de décès. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) estiment entre 140 000 et 810 000 le nombre d’hospitalisations et à 61 000 le nombre de décès annuels liés à la grippe aux USA. La pneumonie est, de loin, la complication respiratoire la plus souvent observée. Pour les formes extra-respiratoires de l’infection grippale, on ne dispose que peu de données, d’autant que celles-ci sont, en règle, sous diagnostiquées.

Des données sur plus de 80 000 adultes hospitalisés pour infection à virus grippal

Le réseau US Influenza Hospitalisation Surveillance Network (Flu-Sur-NET), qui couvre approximativement 9 % de la population des Etats-Unis, a conduit une vaste enquête à partir des cas confirmés en laboratoire. Elle a ainsi pu préciser la fréquence relative des atteintes respiratoires et non respiratoires liées à la grippe, ainsi que leur évolution clinique, chez les patients ayant dû être hospitalisés durant les périodes d’infection grippale échelonnées entre 2010 et 2018. L’étude est transversale et a inclus tous les résidents US, âgés d’au moins 18 ans, hospitalisés pour grippe confirmée par test de laboratoire, entre le 1er Octobre et le 30 Avril, des années 2010-2011 à 2017-2018. Elle a été réalisée dans plusieurs états US. Les tests biologiques diagnostiques ont été, principalement, un test par polymerase reverse transcription chain reaction (PCR), pratiqué entre les 14 jours précédant et les 3 jours suivant l’admission hospitalière ou bien des tests rapides de mise en évidence d’un antigène grippal, une fluorescence directe ou indirecte, voire une culture du virus. Les données des patients, préalablement désidentifiées, étaient notifiées aux CDC. Pour chacun des participants, de façon standardisée, ont ainsi été recueillies des données démographiques, celles portant sur l’état de santé antérieur et les comorbidités des malades, leur évolution clinique (durée de séjour, admission éventuelle en unité de soins intensifs, recours à la ventilation artificielle, voire à une oxygénation extra-corporelle et mortalité). Les diagnostics grippaux furent classés en grandes catégories : respiratoire, neurologique, cardiovasculaire, endocrinienne... Enfin, les formes respiratoires d’infection grippale ont été comparées aux formes extra-respiratoires en termes de fréquence, caractéristiques démographiques, comorbidités et évolution clinique.

Seulement 5 % de formes purement non respiratoires

Durant les périodes épidémiques allant de 2010 à 2018, on dénombre 89 999 adultes porteurs d’une grippe confirmée, issus des réseaux Flu Sur-NET. Leur âge moyen était de 69 (IQR : 54-81) ans ; 55 % sont des femmes. Après exclusions diverses, la cohorte d’étude est composée de 80 261 malades. Parmi eux, 76 649 (soit 95,6 % ; âge médian : 69 ans ; IQR : 55-82 ; 55 % de femmes) présentaient, au moins, un diagnostic d’une affection aiguë liée à la grippe ; 47,3 % avaient été vaccinés contre la grippe l’année précédente et 86,5 % ont reçu un traitement antigrippal en cours d’hospitalisation. L’immense majorité (94,9 %, soit 76 649) présentaient une forme respiratoire aiguë d’infection grippale, avec, dans 46,5 % des cas une symptomatologie extra respiratoire associée ; 5,1 % souffraient de formes uniquement non respiratoires. Les 2 populations étaient similaires quant à l’âge, le sexe, la race/origine ethnique et le statut de leur vaccination antérieure. Parmi les malades avec signes respiratoires aigus, 43,3 % étaient porteurs d’ une comorbidité respiratoire, 51,33 % étaient des fumeurs actifs ou anciens. Les patients avec formes uniquement non respiratoires étaient plus souvent porteurs de co morbidités, neurologique (29,9 vs 24,6 %), cardiovasculaire (51,2 vs 40,0 %), métabolique (51,5 vs 42,0 %), hépatique (6,5 vs 3,9 %), hématologique (5,8 vs 4,2 %) ou étaient plus souvent immunodéprimés (19,4 vs 16, 8%) ; toutes ces différences étant statistiquement significatives.

Le délai de survenue des signes cliniques, avant hospitalisation, a été identique dans les 2 types, de 2,3 jours en médiane. Les patients avec pathologie extra-respiratoire ont, dans leur ensemble, moins souvent reçu, en cours d’hospitalisation, de traitement anti viral (81,4 vs 89,9 % ; p < 0,001). La présentation la plus commune était celle d’une atteinte respiratoire associée à d’autres symptômes (56,1 %) ou à une pneumonie (36,3 %). Les formes extra respiratoires les plus fréquentes ont été un état septique (23,3 %), une insuffisance rénale aiguë (20,2 %), une atteinte cardiovasculaire (12,1 %). Il est à noter qu’il n’a été diagnostiqué aucun syndrome de Reye dans la population adulte hospitalisée pour grippe.

Mortalité intra hospitalière de 6 à 8 %

La grande majorité (80 %) des cas observés étaient de type A, 20 % étant de type B. La répartition était similaire pour les formes respiratoires et les autres. En cas de détermination du sous type viral, 74,5 % ont été classées A(H3N2) mais la souche A(H1N1) s’est avérée plus fréquente en cas de manifestations cardiovasculaires, (cette donnée n’étant pas statistiquement significative). Les manifestations sous forme de pneumonie, sepsis, insuffisance rénale ont conduit aux évolutions les plus péjoratives, dont témoignent la nécessité d’admission en réanimation dans 26 à 33 % des cas et une mortalité intra hospitalière entre 6 et 8 %. Plus rarement, les patients ont présenté une symptomatologie digestive grave, essentiellement une défaillance hépatique aiguë, nécessitant, dans 45,4 % un passage en soins intensifs, dans 33,0 % une ventilation artificielle, avec, alors, une mortalité culminant à 18,9 %. La forme neurologique la plus fréquente a été celle d’un AVC ischémique, avec 38,3 % d’admission en réanimation et 12,0 % de décès intra hospitaliers.

Le virus peut déclencher une cascade inflammatoire…

Ainsi, grâce à un système de surveillance couvrant une large partie de la population adulte US, il a été possible de préciser les manifestations cliniques et l’évolution de plus de 80 000 adultes hospitalisés pour grippe, ce diagnostic étant confirmé par tests de laboratoire. La plupart d’entre eux ont présenté une forme respiratoire, compliquée, parfois, de pneumonie ou de détresse respiratoire aiguë. Très souvent étaient associées une symptomatologie extra respiratoire. Dans les autres cas, les manifestations les plus fréquentes ont pris la forme d’un état septique ou d’une insuffisance rénale aiguë, avec, dans l’ensemble, un pronostic plus réservé que dans les formes respiratoires. Les résultats de cette analyse rejoignent ceux d’études précédentes, conduites lors de la pandémie de 2009, dont celle de Flu Surv-NET menée entre 2005 et 2009. Il en ressort que la présentation sous la forme d’un état septique sévère n’est pas rare, souvent liée à une surinfection bactérienne mais parfois d’origine purement grippale, le virus pouvant déclencher la même cascade inflammatoire menant à la détresse respiratoire aiguë. La mortalité hospitalière peut atteindre 6 à 8 % en cas de sepsis grave, de pneumonie ou d’insuffisance rénale aiguë. Elle est aussi considérable en cas de défaillance hépatique aiguë d’origine grippale, dont des observations avaient été rapportées dès 2013 par Marzano dans le Journal of Medical Virology.

En conclusion, les malades hospitalisés pour grippe grave présentent en régle une symptomatologie respiratoire mais parfois également des manifestations non respiratoires. Ce travail, si cela est encore nécessaire, souligne le poids des infections grippales dans la population générale et pour le système de santé.

Dr Pierre Margent

Référence
Chow EJ et coll. : Respiratory and Non Respiratory Diagnoses Associated with Influenza in Hospitalized Adults. JAMA Netw open. 2020 ; 3(3), e 201323.

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