
Une sur-réponse immunitaire à l’origine des cas graves
La physiopathologie de la Covid-19 grave est dominée par un processus pneumonique aigu avec opacités radiologiques diffuses et, à l'autopsie, des lésions alvéolaires diffuses, des infiltrats inflammatoires et une thrombose microvasculaire. La réponse immunitaire de l'hôte jouerait un rôle clé dans la physiopathologie de la défaillance d’organes dans d'autres pneumonies virales sévères telles que la grippe aviaire hautement pathogène, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), et la grippe pandémique et saisonnière. Dans la Covid-19, des lésions inflammatoires des organes peuvent survenir chez un sous-ensemble de patients présentant des marqueurs inflammatoires nettement élevés tels que la protéine C-réactive, la ferritine et les interleukines 1 et 6. Plusieurs interventions thérapeutiques visant à atténuer les lésions inflammatoires des organes ont été proposées dans les pneumonie virales. Objet d’études aux résultats contradictoires, les corticostéroïdes peuvent-ils moduler les lésions pulmonaires à médiation immunitaire et réduire l’évolution vers l'insuffisance respiratoire et le décès ?RECOVERY le bien nommé
L'essai RECOVERY (Randomised Evaluation of COVID-19 therapy) est un essai ouvert, contrôlé, randomisé, adaptatif qui compare une gamme de candidats traitements avec les soins standards chez les patients hospitalisés pour Covid-19, dans 176 hôpitaux de sa Gracieuse Majesté. En voici les résultats préliminaires de la comparaison entre la dexaméthasone à 6 mg administrée une fois par jour pendant une période allant jusqu'à dix jours et les soins standards seuls. L’objectif principal était la mesure du taux de létalité toutes causes confondues dans les 28 jours suivant la randomisation. Les objectifs secondaires étaient la durée d’hospitalisation, les taux de recours à la ventilation mécanique invasive (y compris l'ECMO), à l’épuration extra-rénale, d’arythmie cardiaque majeure.Un recrutement élargi secondairement
Initialement, le recrutement s’est limité aux patients âgés d'au moins 18 ans, puis la limite d'âge a été supprimée à partir du 9 mai 2020 et les femmes enceintes ou allaitantes ont été éligibles.Parmi 11 320 patients randomisés entre le 19 mars et le 8 juin, 9 355 (83 %) ont été éligibles à la randomisation à la dexaméthasone (dexaméthasone disponible à l'hôpital et absence de contre-indication connue à la dexaméthasone). Au total 2 104 patients répartis de façon aléatoire pour recevoir de la dexaméthasone ont été comparés à 4 321 patients ne recevant que des soins standards.L'âge moyen des participants à l'étude était de 66,1 ans et 36 % des patients étaient des femmes (24 % de diabètes, 27 % de cardiopathies, 21 % d’antécédents respiratoires, 56 % avec au moins une comorbidité majeure) ; 82 % des patients avaient une infection par le SARS-CoV-2 confirmée en laboratoire, le résultat étant encore attendu chez 9 % d'entre eux. Lors de la randomisation, 16 % étaient sous ventilation mécanique invasive ou sous ECMO, 60 % étaient sous oxygénothérapie seule (avec ou sans ventilation non invasive), et 24 % ne recevaient ni l'un ni l'autre. Au total 6 119 (95 %) des patients randomisés ont fait l'objet d'un suivi complet. Dans le bras dexaméthasone, 95 % ont reçu au moins une dose , avec un nombre médian de jours de traitement de 6 jours. Mais 7 % des patients du groupe de soins standards ont également reçu de la dexaméthasone. Le recours à l'azithromycine pendant la période de l’étude a été similaire dans les deux bras (23 % vs 24 %) et très peu de patients ont reçu de l'hydroxychloroquine, du lopinavir-ritonavir ou des antagonistes de l'interleukine-6. Il est à noter que le remdesivir n'a été rendu disponible au Royaume-Uni dans le cadre du programme d'accès d'urgence aux médicaments de la MHRA que le 26 mai 2020.
Forte réduction de la mortalité et de la durée d’hospitalisation sous déxaméthasone
Aucun bénéfice chez les patients ne nécessitant pas de soutien ventilatoire
La mortalité n'a guère été réduite chez les patients ne recevant aucune assistance respiratoire, c’est-à-dire ne nécessitant même pas d’oxygénothérapie lors de la randomisation (17,0 % vs 13,2 %, RR 1,22 [IC 95 % 0,93 à 1,61] ; p = 0,14).Et les auteurs de conclure…
« Avant les résultats de cet essai, de nombreuses directives indiquaient que les corticostéroïdes étaient soit "contre-indiqués" soit "non recommandés" dans la Covid-19. Ces directives devraient maintenant être mises à jour, comme déjà au Royaume-Uni. La dexaméthasone représente un traitement efficace pour les patients les plus malades de la Covid-19 et, étant donné son faible coût, son profil de sécurité bien compris et sa grande disponibilité, elle peut être utilisée dans le monde entier ».Qu’en penser ?
Tout d’abord - chat échaudé craignant l’eau froide - qu’il faut attendre la publication de cette étude dans une revue avec comité de lecture. Ensuite, que bien que randomisée et portant sur de grands effectifs, cette étude doit être confirmée par d’autres du même sérieux, en cours (Anne, ma sœur Anne, vois-tu venir Discovery?). Ensuite, persiste une interrogation qui porte sur les très fortes différences des taux de létalité en service de réanimation entre la Grande-Bretagne (37 % avant dexaméthasone) et la France (15 % ?) où les corticoïdes sont déjà largement utilisés de façon empirique dans le but de réduire l’orage cytokinique, depuis le début de l’épidémie…À suivre cette première lumière dans « l'horreur de la profonde nuit » de la Covid-19…
Dr Bernard-Alex Gaüzère