
Paris, le lundi 6 juillet 2020 - Dans un document confidentiel
de 18 pages destiné au ministère de l’intérieur mais qui a été
révélé par Le Parisien, la FNSPF (Fédération nationale des
sapeurs-pompiers de France) qui représente les 237 000
sapeurs-pompiers civils français, dresse un constat très critique
de la gestion de la crise sanitaire.
Y a-t-il un bon pilote dans l’avion ?
La Fédération pointe tout d’abord des erreurs dans le choix du
pilote et critique le rôle prépondérant du ministère de la santé,
et la mise à l’écart, en tout cas dans un premier temps, du
ministère de l’intérieur et des préfets : « Le choix politique
de qualifier cette crise comme une crise purement sanitaire et de
confier son pilotage au ministre de la santé interpelle. Par son
caractère intersectoriel et son impact général sur les populations
et la société, elle était une crise de protection civile »
jugent les auteurs. La mise en place « tardive », le 17
mars, d’une « organisation bicéphale entre les ministères de la
santé et de l’intérieur, avec deux états-majors et deux chaînes de
commandement à la culture et à l’organisation territoriale
différentes » a nui au travail des services selon ce rapport.
« Pour être efficace, la gestion d’une crise d’ampleur doit
mobiliser un directeur unique, un commandant des opérations unique,
et un ou plusieurs conseillers techniques » estiment les
pompiers. Or, ces « principes fondamentaux » ont été «
bafoués » « On a vécu non seulement une multiplicité et une
succession des directeurs et commandants de crise, mais de
surcroît, on a confié au conseiller technique, le ministère et
l’administration de la santé, le rôle de commandant de crise, alors
que rien dans son organisation et sa culture ne le prédisposait à
assurer efficacement ce rôle », analyse le rapport.
Les agences régionales de santé (ARS) sont également sous le
feu des critiques des pompiers. Il leur est reproché d’avoir «
démontré leur impréparation à la gestion d’une crise de cette
ampleur » et d’avoir « trop longtemps oublié les Ehpad,
laissant seules les collectivités territoriales face aux décès en
nombre de nos aînés ». Il est également reproché aux ARS
d’avoir géré la crise comme « des administrations de gestion
comptable et financière du système de santé », « accaparées
par la gestion du nombre de places en réanimation hospitalière et
par les remontées statistiques ».
Au total, la FNSPF reproche au ministère de la santé et à ses
ARS d’avoir voulu « faire face seul ». « Le mot d’ordre
des administrations de la santé semblait être : tout sauf les
sapeurs-pompiers ! », résume lapidaire le rapport, qui
considère au contraire que seule « l’agilité territoriale »
aurait permis « de compenser les pesanteurs de l’État
central ».
Conséquence de cet accaparement de la gestion de la crise par
les autorités sanitaire, le 15 est devenu « un numéro de
renseignement, pas un numéro d'urgence (…) La décision du
gouvernement d'orienter vers le 15 les appels des citoyens
connaissant un doute sur leur état de santé a eu pour conséquences
immédiates de saturer la réception et la régulation des appels (…)
Des malades en situation d'urgence vitale n'ont jamais eu de
réponse et sont morts dans l'indifférence générale. Un vrai
scandale ! » accusent les représentants des pompiers, même si
rapidement, des cellules de crise spécifiques ont permis de
désengorger le 15 et de retrouver des temps de réponse
normaux.
Le TGV de l’esbroufe
Le rapport ne se montre pas plus tendre vis-à-vis des
transferts en TGV de patients d’Ile de France et du Grand Est vers
des régions moins touchées, dans le but de désengorger les hôpitaux
saturés. Le rapport des pompiers estime qu’il s’agissait de «
pures opérations de communication et de véritable esbroufe
». Aussi, les auteurs s’interrogent, faussement naïfs « Etait-il
efficace de faire faire des centaines de kilomètres aux victimes
alors que souvent il y avait de la place dans la clinique d'en face
? », faisant écho aux regrets exprimés dans les premières
semaines de la crise par certains établissements privés, écartés de
la prise en charge.
Un ministère de la gestion des crises ?
Comme leçon de cette gestion qu’ils jugent calamiteuses, les
pompiers listent plusieurs propositions parmi lesquelles figure la
création d'un ministère chargé spécifiquement de la gestion des
crises et des situations d'urgence. Ils proposent également, comme
en Italie : le « rattachement des services de la protection
civile au premier ministre ». Le document de la FNSPF relance
aussi le débat sur la régulation téléphonique des urgences,
estimant que le 15, numéro du SAMU, a été « submergé
».
Les autorités se défendent…
Sans surprise, la direction générale de la santé (DGS) ne
partage pas le ressenti de la FNSPF. Les services dirigés par le Pr
Salomon rappellent ainsi que ce n’est pas la première crise que le
ministère de la Santé a eu à gérer, et qu’il était donc
opérationnel. Elle en veut pour preuve, la création, dès 2007, d’un
centre opérationnel de réception et de régulation des urgences
sanitaires et sociales (CORRUSS).
S'agissant de la décision d'orienter les patients vers le 15,
qui aurait conduit à « saturer la réception et la régulation des
appels », la DGS rappelle la mise en place d'un numéro vert,
qui a réceptionné plus de trois millions d'appels pendant la crise
et qui avait pour vocation de désengorger la ligne téléphonique du
SAMU.
Enfin, s'agissant des évacuations sanitaires, par TGV
notamment, on s'étonne cette fois du vocabulaire employé par le
rapport des soldats du feu. Le patron de l’ARS Ile de France,
Aurélien Rousseau s’insurge ainsi : « J’ai l’impression de ne
pas avoir vécu la même histoire. C’est la négation de ce qu’ont été
ces quelques jours pendant lesquels on ne savait pas si on
tiendrait parce que toutes nos capacités publiques et privées de
réanimation étaient saturées ».
Le ministère de la santé, invité à réagir par l’Agence
France-Presse a quant à lui regretté la publication « en pleine
crise » d’un « rapport clairement pas étayé » qui «
ne reflète pas les actions » des professionnels mobilisés,
ni la réalité de la collaboration entre ARS et préfectures.
…les syndicats attaquent !
Les représentants des urgentistes et des SAMU sont eux aussi
vent debout contre les conclusions de la FNSPF.
Patrick Pelloux (Association des médecins urgentistes de
France) martèle : « Les transferts, on a été obligés de les
faire parce qu'en effet, il y avait de la place dans certaines
cliniques mais ce n'était pas des places en adéquation avec les
besoins des malades ». Il rappelle encore également «
pendant ces transferts, il n'y a pas eu de mort » bien que «
c'était des malades qui étaient graves ».
Vers un procès en diffamation ?
Du côté des SAMU, celui qui a riposté le plus vertement est
sans doute le Dr François Braun, du syndicat SAMU-UDF.
Dans les colonnes du Parisien, il souligne : « à Paris, les
sapeurs-pompiers nous ont clairement dit que ce n'était pas leur
rôle d'intervenir, qu'ils faisaient du secours, pas de la santé.
Ils se sont exclus eux-mêmes et nous nous sommes organisés en
conséquence. Au contraire, dans d'autres départements, comme le
mien, les pompiers ont largement participé à la prise en charge des
malades, en venant en renfort du SAMU ».
Sur les lignes téléphoniques encombrées, il rétorque : «
cela témoigne d'une méconnaissance totale de notre travail de
régulation. Même au plus fort de la crise, avec un nombre d'appels
au 15 multiplié par 4, nous avons toujours pris en charge les cas
graves. Ceux qui appelaient pour un renseignement ou parce qu'ils
étaient angoissés, pouvaient être rappelés une heure après. On a
traité l'urgence en priorité. C'est normal. Ce système nous a
permis d'éviter de longues files d'attente devant les hôpitaux,
avec des patients qui se contaminent comme en Italie. Si les gens
n'avaient pas réussi à nous joindre, le standard des pompiers
aurait explosé, la population aurait hurlé. Or, les chiffres
montrent qu'il n'y a pas eu plus d'appels au 18. (…) On ne
s'interdit pas de porter plainte contre ces propos injurieux
».
Aussi sur l’accusation d’avoir empêché la prise en charge
d’autres urgences, le Dr Braun répond : « C'est faux! Je veux
des preuves : qui? quand? comment? Le registre des arrêts
cardiaques en France montre que les chiffres sont les mêmes que
l'an dernier. Non, il n'y a pas eu de perte de chance. Je refuse de
rentrer dans le jeu de cette provocation stérile ».
« On n'explique pas aux pompiers comment éteindre le feu à
Notre-Dame alors qu'ils arrêtent de nous donner des leçons sur le
soin » conclut-il, agacé.
F.H.