Le « rail olfactif » conduisant au SNC ne serait pas
infecté par le SARS-Cov-2. Des chercheurs d’INRAE, en collaboration
avec l’Anses, ont démontré, dans le cadre d’un modèle animal, que
le virus infecte les cellules sustentaculaires de la muqueuse
nasale mais non les nerfs olfactifs. Nicolas Meunier,
neurobiologiste, Unité mixte de recherche virologie et immunologie
moléculaire INRAE/UVSQ, nous présente les résultats de leurs
travaux publiés dans la revue Brain Behaviour and
Immunity.
JIM.fr : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs de vos
travaux ?
Nicolas Meunier : Je travaille depuis quinze ans sur le
système olfactif en utilisant le modèle rongeur et je m’intéresse
aux relations entre la cavité nasale et l’immunité dans le cadre du
passage d’un pathogène vers le système nerveux central. Depuis
presque cent ans, même si les détails cellulaires n’étaient pas
connus, il était compris qu’une infection des neurones olfactifs
dans notre cavité nasale pouvait permettre à un pathogène de
pénétrer dans le SNC et d’échapper à la barrière
hémato-encéphalique présente autour du cerveau. Nous avons donc
voulu comprendre quelles sont les défenses mises en jeu au sein de
la cavité nasale en utilisant comme modèle des virus respiratoires
peuvent potentiellement infecter ces neurones.
Dans le cas du SARS-CoV-2, nous avions un exemple parfait d'un
virus respiratoire supposé capable d’entrer dans le SNC en passant
par les neurones olfactifs. Au début de l’épidémie, c’était
l’hypothèse majeure de toute la communauté scientifique. Nous avons
utilisé des hamsters qui sont de bons modèles car ils présentent un
profil d’expression des récepteurs du SARS-CoV-2 similaire à
l’Homme. Nous avons voulu voir quels types cellulaires étaient
infectés et vérifier si une infection des neurones pouvait
expliquer un passage du SARS-CoV-2 de la cavité nasale vers le SNC
en provoquant une anosmie comme complication. En effet, la perte
d’odorat est un symptôme très fréquent chez les patients souffrant
de la COVID-19.
JIM.fr : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous vous êtes
orienté plus spécifiquement vers les cellules de soutien dîtes
sustentaculaires ?
Nicolas Meunier : Il a été montré très tôt que le
SARS-CoV-2 avait le même système d’interaction cellulaire que le
SARS-CoV-1 c’est-à-dire se lier à ACE2 (enzyme de conversion de
l'angiotensine 2). Plusieurs publications ont pointé le fait qu’au
niveau de l’épithélium olfactif ces protéines seraient exprimées
par les cellules sustentaculaires tandis que les neurones ne
l’expriment pas. Il était donc probable que ce soit ces cellules
qui étaient infectées. La protéase TMPRSS2 a un rôle générique
impliqué dans la maturation de différents précurseurs. Le virus
utilise aussi cette protéase pour sa propre maturation. Pour qu’un
tissu soit infecté, il faut donc qu’il y ait au moins ces deux
acteurs : la protéase TMPRSS2 pour l’activer et ACE2, le site
d’entrée dans la cellule. Les cellules sustentaculaires étaient
donc les cibles les plus probables du virus.
Le rôle de ces cellules n’est pas encore bien déterminé. Elles
semblent avoir notamment une fonction trophique d’apport d’énergie
aux neurones. Il a été montré que les neurones étaient capables de
capter le glucose sur la face externe dans la partie mucus où
baignent leurs cils et les cellules sustentaculaires libérent du
glucose dans le mucus. Les cellules de soutien assurent aussi
l’équilibre ionique de ce mucus qui est très pauvre en chlore. Des
études montrent également la fonction immunitaire de ces cellules
capables de phagocyter des grosses particules pour les dégrader.
Elles ont un rôle majeur de structure, des fonctions multiples et
probablement d’autres encore moins connus à la différence des
neurones olfactifs dont la fonction de détection les odeurs est
très étudiée.
JIM.fr : Quels ont été les résultats de vos travaux
?
Nicolas Meunier : Nous avons voulu regarder
concrètement sur les modèles animaux, si lorsque nous
infections ceux-ci avec le SARS-CoV-2, nous avions une infection
des cellules sustentaculaires et à la suite une infection des
neurones olfactifs pouvant expliquer l’anosmie observée chez
l’Homme.
Dans l’épithélium olfactif du hamster, nos résultats ont
montré qu’il y avait une infection très importante des cellules
sustentaculaires, mais limitée à celle-ci uniquement. Nous
travaillons sur de nombreux virus respiratoires et le SARS-CoV-2
est le seul à infecter massivement les cellules présentes dans la
muqueuse olfactive.
JIM.fr : Vous avez également constaté que la muqueuse
nasale subit une desquamation ce qui pourrait expliquer la perte
d’odorat. Pouvez-vous nous expliquer ?
Nicolas Meunier : En parallèle à cette infection limitée aux
cellules sustentaculaires, nous avons en effet constaté une perte
complète de l’épithélium olfactif qui se désolidarise de sa lame
basale par une desquamation. Nous avons recherché s’il y avait une
infection des neurones olfactifs et nous n’en avons pas trouvé
malgré les contacts très étroits entre les cellules
sustentaculaires et les neurones.
Nous n'avons pas trouvé de virus dans le SNC
Nous avons scruté les différentes zones du SNC et nous n’y
avons pas non plus trouvé de virus. Nous aurions pu imaginer qu’une
fois l’épithélium olfactif desquamé, une protection moindre aurait
pu permettre au virus d’infecter les cellules en sous muqueuse ou
directement les nerfs pour remonter au SNC mais nous n’avons pas
constaté cela du tout. Si l’infection se déroule de manière
similaire (aux hamsters) chez l’Homme, il est donc très peu
probable que le virus puisse pénétrer dans le SNC.
JIM.fr : Comment d’autres études récentes sont-elles
parvenues à l’hypothèse selon laquelle le virus infecte les nerfs
olfactifs et le SNC ?
Nicolas Meunier : La plupart de ces études restent
hypothétiques. Quelques travaux sont basées sur des échantillons
humains et leurs résultats semblaient indiquer que le SARS-CoV-2
infecte les neurones olfactifs permettant un passage vers le SNC .
Cependant, pour l’instant ces études ne sont basées que sur une
identification morphologique. Nous avons procédé à des doubles
marquages en immunohistochimie permettant de montrer la
colocalisation du virus dans une cellule identifiée. Pour cela nous
utilisons un marqueur des cellules sustentaculaire et un autre de
la présence du virus. Ne pas disposer d’outils permettant de bien
caractériser les cellules de la cavité nasale peut donc conduire à
des conclusions erronées. Si notre étude montre que de manière
générale, ce ne sont pas les neurones olfactifs qui se retrouvent
infectés, ce n’est pas à exclure dans certains cas. En effet, nous
avons travaillé sur un petit nombre de jeunes femelles hamsters. Or
des études récentes montrent que l’homme serait plus sensible que
la femme et d’autant plus si il est âgé et en surpoids. Il faudrait
donc travailler sur des vieux hamsters mâles pour étudier ces
différences potentielles.
JIM.fr : Comment expliquer le fait que certains patients
présentant les formes les plus sévères de la Covid-19 aient des
manifestations neurologiques ?
Nicolas Meunier : Lors d’une infection massive au
niveau des poumons, la suractivation du système immunitaire
provoque des tempêtes cytokiniques qui déstabilisent énormément
d’organes et de tissus. Le système immunitaire, en s’emballant,
provoque dans certains cas un effondrement de la barrière
encéphalique qui devient perméable. C’est une issue souvent fatale
pour les patients car les pathogènes entrent alors dans le SNC et
des encéphalopathies peuvent conduire à un effondrement des
paramètres du système respiratoire. C’est ce qui a été soupçonné
chez certains patients qui décédaient à la suite d'atteintes
respiratoires. Non seulement leurs poumons avaient été atteints
mais aussi les centres de contrôle respiratoire dans le tronc
cérébral. Et donc beaucoup de chercheurs ont fait l’hypothèse que
le virus passait la barrière encéphalique en infectant les neurones
olfactifs puis allait dans le tronc cérébral pour
déstabiliser le centre de contrôle respiratoire. C’est-à-dire
qu’une manifestation neurologique aboutirait à une incapacité
respiratoire. Dans notre modèle de hamster, nous pouvons exclure
cette hypothèse car nous n’avons pas du tout retrouvé ce passage
vers le SNC et nous n’avons pas retrouvé non plus le virus dans le
tronc cérébral.
JIM.fr : En quoi vos travaux sont-ils rassurants
?
Nicolas Meunier : De nombreuses études suggèrent que,
si un patient a une encéphalopathie avec une infection du bulbe
olfactif, il présente un terrain favorable pour développer par la
suite une maladie neurodégénérative notamment la maladie de
Parkinson. C’est notamment décrit dans le cas de la grippe où, à
l’issue de la pandémie qui a eu lieu lors de la première guerre
mondiale, il y a eu beaucoup de cas de Parkinson chez les
survivants dans les années qui ont suivi. Cette hypothèse
épidémiologique est confortée par des études qui montrent que l’un
des symptômes premiers de ces maladies neurodégénératives,
Alzheimer ou Parkinson, est la perte d’odorat. Ce point est
forcément inquiétant vu le nombre de personnes souffrant d’anosmie
à la suite de la Covid-19. Elles auraient eu une susceptibilité par
la suite de développer une maladie neurodégénérative. Nos travaux
excluent fortement ce mécanisme, ce qui est rassurant.
D’autre part et de façon plus pragmatique, l’épithélium
olfactif subirait une destruction massive causée par le SARS-CoV-2
mais il se régénèrerait au bout de 15 jours à 1 mois comme cela se
fait habituellement. En effet, même en l’absence de tout pathogène,
la muqueuse se régénère en permanence car l’environnement à l’air
libre, comprenant beaucoup d’oxygène et pas d’eau, est extrêmement
agressif pour les cellules. Des études récentes suggèrent en fait
que l’anosmie est plutôt un critère positif de rétablissement
montrant que le système immunitaire se défend très bien pour
éliminer le virus.
JIM.fr : Est-il possible de vérifier ces résultats chez
l’Homme ?
Nicolas Meunier : Il manque effectivement les preuves
définitives de ce qui se passe chez l’Homme car nous restons sur un
modèle animal (très proche cependant de ce qui se passe chez l’être
humain). Il faudrait une étude faite chez l’homme avec les moyens
adéquats, mais cela semble extrêmement compliqué si le virus est
rapidement éliminé de la cavité nasale comme c’est le cas chez le
hamster ou le virus n’est plus présent 7 jours après
l’infection.
La confirmation de ces résultats chez l'Homme semble
difficile
Il faudrait donc pratiquer une biopsie de l’épithélium
olfactif quelques jours après l’infection pour étudier ce point ce
qui ne peut se faire sans connaitre la date précise de l’infection.
Certains pays ont lancés des protocoles de test de l’efficacité de
futurs vaccins et infectent donc des volontaires. Peut-être que des
protocoles seront mis en place pour prélever une partie de leur
épithélium afin de voir ce qui se passe.
JIM.fr : Certains patients infectés par le SARS-CoV-2
souffrent également d’une agueusie. Comment l’expliquez-vous
?
Nicolas Meunier : A ma connaissance, nous sommes la
seule étude qui a caractérisé d’un point de vue cellulaire
l’infection au niveau de la cavité nasale. Au niveau de la cavité
buccale, aucune étude n’a été faite. Les hypothèses sont qu’il y
aurait une infection d’autres cellules que celles qui sont
responsables de la détection du goût. Au niveau de la langue, nous
trouvons essentiellement des kératinocytes qui expriment le
récepteur ACE2 mais pas les cellules du bourgeon du goût. On ne
comprend donc pas encore ce qui se passe. L’hypothèse la plus
probable est celle d’une inflammation locale qui aboutit peut-être
à une mauvaise régénération des bourgeons du goût. Mais cela me
laisse perplexe car cette perte du goût est à priori rapide or si
c’est un problème de régénération cela se produit sur plusieurs
semaines. Une autre hypothèse plus séduisante, est qu’une
inflammation au niveau des kératinocytes aboutirait à un
dysfonctionnement de la transmission de l’information des bourgeons
du goût.
JIM.fr : En cas de virus respiratoires comme la grippe, les
mécanismes d’action conduisant à l’anosmie sont-ils différents de
celui du SARS-Cov-2 ?
Nicolas Meunier : Dans la littérature, cela n’est pas
bien décrit. Certains virus respiratoires peuvent infecter les
neurones olfactifs et c’est le cas du virus influenza (ce qui n’est
donc pas le cas du SARS-CoV-2). Nous avons observé que cette
infection reste localisée sur les modèles de souris et de plus seul
un petit nombre de neurones est infectés si nous comparons à
l’infection massive des cellules sustentaculaires provoquée par le
SARS-CoV-2. Les anosmies liées à la grippe qui sont plutôt rares
sont plus la conséquence d’une inflammation générale de la cavité
nasale aboutissant à une obstruction des voies aériennes. L’anosmie
grippale serait alors liée à l’incapacité de l’air à arriver au
niveau de la muqueuse olfactive plutôt qu'à une destruction de
l’épithélium. Mais cela reste une hypothèse.
JIM.fr : Quelles sont les prochaines étapes de vos
recherches ?
Nicolas Meunier : Depuis le début, notre projet est de
comprendre les défenses présentes au niveau de la muqueuse
olfactive pour limiter potentiellement le passage des virus vers le
SNC. La question qui se pose, avec le SARS-CoV-2, est d’expliquer
si le mécanisme de desquamation que l’on observe fait partie d’un
processus de défense mis en place par la muqueuse pour empêcher le
virus de pénétrer dans le SNC ou si c’est un effet secondaire de
l’infection dû à l'infiltration par des cellules immunitaires. Nos
prochaines étapes vont consister à comprendre le rôle des cellules
immunitaires que nous avons observées massivement autour des
cellules sustentaculaires infectées par le SARS-CoV-2.
Merci au JIM pour cet article. Atteint par le SARS-Cov2 en mars, les symptômes sont apparus vers le 20, avec rapidement anosmie et agueusie. Le plus gênant ensuite: asthénie aggravée par mon âge avancé et mes comorbidités, entraînant une chute et diminution d'autonomie. Peu de fièvre.
Difficultés respiratoires menant à mon hospitalisation du 30 mars au 16 avril avec un peu d'oxygène la première semaine. L'odorat n'est revenu qu'un mois après ma sortie, suivi progressivement par le goût. J'avais expérimenté une bonne grippe saisonnière dans les années 70 (39°5 et plus pendant une semaine). Pas de perte d'odorat si nez dégagé, et retour rapide du gout.
C'est donc différent, dans mon cas au moins. Au sujet des parkinsoniens d'après la grippe espagnole, a-t-on constaté la même chose avec le AH1N12009?