Racisme dans la relation médecin/patient : toutes les armes se justifient-elles ?
« Le Dr. J. Marion Sims avec Anarcha » par Robert Thom. Courtesy of Southern Illinois University School of Medicine, Pearson Museum. Le racisme systémique a bien existé dans la médecine, notamment aux Etats-Unis
Paris, le samedi 3 août 2020 – Nous avons évoqué cette semaine
comment la Ligue internationale contre le racisme et
l’antisémitisme (LICRA) avait sévèrement condamné l’initiative d’un
groupe de professionnels de santé (baptisé Globule Noir) proposant
des listes de médecins ou infirmiers qualifiés de "racisés", en
réponse à la demande de certains patients. « La folie
identitaire conduit à cela : choisir son médecin en fonction de la
couleur de son épiderme et publier des listes de médecins noirs
» a déploré la LICRA. L’infirmier à l’origine de l’alerte, Vincent
Lautard, membre du Printemps Républicain est revenu dans une
tribune publiée par Marianne sur les motivations de son action. «
On est clairement ici dans de la discrimination professionnelle
basée sur la couleur de peau. Les infirmières considérées comme
blanches sont donc exclues de ce processus de recherche de
professionnels de santé. Après que j’ai dénoncé leur tweet, leur
compte Twitter qui comptait plus de 2900 abonnés a été désactivé.
On retrouve quand même des publications sur leur compte Instagram.
On peut constater qu’elles ont participé en 2017, au camp d’été
décolonial, un camp interdit aux blancs. (…) Ces deux exemples sont
certes minoritaires dans le secteur de la santé, mais symbolisent
une lame de fond identitaire qui touche l’ensemble de notre
société. Nous ne pouvons plus nous voiler la face et laisser les
identitaires de gauche comme de droite s’emparer du politique et
imposer leur agenda. Nous devons défendre le pacte républicain
» s’insurge-t-il.
La position de Vincent Lautard est pourtant loin d’être unanimement
partagée au sein de la communauté médicale. Nous l’avons dit, le
Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) a
publiquement vivement regretté les attaques contre l’association
Globule Noir et la disparition de ses comptes Twitter et Facebook.
Dans le sillage du SNJMG, de nombreux médecins ont considéré une
telle initiative comme doublement légitime. D’une part, parce
qu’elle serait expliquée par un racisme considéré comme «
systémique » du monde médical, expression reprise par le
SNJMG. D’autre part, parce que le libre choix de son praticien par
le patient est inaliénable. Ainsi, le docteur Martin Winckler a
insisté sur le caractère fondamental de cette liberté, tout en
rappelant l’existence de discriminations liées à l’origine, à la
couleur de peau ou encore à l’orientation sexuelle chez certains
médecins. « Parmi toutes les décisions que nous devons prendre,
aucune n'est plus cruciale que le choix de la professionnelle* de
santé à qui nous demanderons des conseils, un soutien, des soins.
La liberté pour chaque citoyenne de choisir son médecin est écrite
en toutes lettres, et au tout début du Code de déontologie,
lui-même issu du code de la Santé publique. (…) De ce principe
découle une règle simple (et pourtant très souvent enfreinte) : une
personne n'a pas à justifier de son choix. Si je préfère être
soignée par une femme plutôt que par un homme, c'est mon droit le
plus strict. Si je préfère avoir affaire à une professionnelle dont
la peau est de la même couleur que la mienne, c'est mon droit le
plus strict. Cela ne sera pas toujours possible, certes, mais ce
droit est, en lui-même, indiscutable » insiste-t-il. « A
l'ère de l'internet et des réseaux sociaux, quoi de plus logique
alors que de mettre en commun des noms, pour en faire des annuaires
de soignantes bienveillantes, gay et lesbian-friendly, non
grossophobes, non transphobes, non racistes - et pourquoi pas des
soignantes gay et lesbiennes, en surpoids, transgenres et racisées
? » observe-t-il. Ainsi à ses yeux, ceux qui s’offusquent de
l’existence des listes de médecins noirs ont pour volonté implicite
de mettre à mal la liberté fondamentale de choix de son
médecin.
Une limite ténue entre le choix et la discrimination
Cette démonstration du docteur Winckler est en effet parfaitement
applicable aux listes qui existent effectivement sur internet,
tendant à recenser les professionnels de santé «
bienveillants » (ou au contraire « maltraitants »)
avec telle ou telle catégorie de patients. Même si l’on peut
reprocher à ces recensements de se baser principalement sur un
"ressenti" qui n’est pas parfaitement objectivable, le critère de
jugement ici n’est pas la couleur de peau ou l’orientation sexuelle
mais bien une pratique. La situation apparaît différente quand il
s’agit de ne retenir que la couleur de la peau ou l’âge ou le sexe.
« Oui le patient peut choisir son soignant c’est la loi.
Cependant la discrimination et le racisme sont punis par la loi.
Donc un patient ne peut pas choisir son professionnel de santé sur
des motifs discriminatoires ou racistes. Certains de la gauche
identitaire voudraient donc que des patients noirs puissent être
soignés par des médecins ou infirmiers noirs, c’est la porte
ouverte à toutes les dérives, c’est une sorte d’apartheid en
version soit disant progressiste. Imaginez-vous un patient blanc
raciste qui refuse les soignants noirs, ça serait scandaleux. Mais
selon les théories de la gauche identitaire, ça serait donc
acceptable ! » objecte sur Twitter Vincent Lautard.
Disparition de l’éloge de la différence
Par ailleurs, légitimer la nécessité d’établir des listes de
médecins de telle ou telle origine (dans le but direct de faciliter
le choix des patients et non pas uniquement de constituer des
groupes d’entraides entre praticiens) sous-entend que pour un soin
plus juste et de meilleure qualité, il serait indispensable de se
retourner vers une personne nous ressemblant. Bien que cette idée
aille à l’encontre du discours tendant à vouloir se concentrer sur
ce qui rassemble les êtres plutôt que sur ce qui les différencie,
Martin Winckler semble l’assumer : « C'est d'autant plus logique
que (ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les psycho-sociologues)
on soigne plus volontiers, plus facilement et avec plus de
bienveillance, les personnes qui nous ressemblent que celles qui
sont très différentes de nous ». Ainsi, rappelle-t-il qu’en
dépit de leur serment, les médecins sont influencés par leurs
origines et leurs caractéristiques personnelles quand ils soignent,
ce qui est évidemment inévitable. Cependant, dans la très grande
majorité des cas les praticiens dépassent ces considérations pour
apporter des soins de même qualité à tous ; tandis que les
agissements manifestement discriminants sont punissables par la loi
(même si les sanctions, il est vrai, peuvent être trop rares). Une
telle conception consiste qui plus est à rapidement nier que des
phénomènes de rejet peuvent exister entre des personnes ayant a
priori la même couleur de peau ou la même origine. La militante
pour la laïcité Fatiha Agag-Boudjahlat revenant sur l’affaire
Globule Noir remarque ainsi : « Avoir le même sexe que son
médecin et a fortiori la même couleur que lui ne préjuge de rien,
ne protège de rien, ne garantit rien » et préfère retenir : «
Un bon médecin, outre l’expertise scientifique, c’est celui qui
prend le temps, qui met assez à l’aise pour que ses patients osent
lui confier ce qu’ils n’osent dire à autrui ». En outre, la
justification des listes de médecins noirs ou asiatiques exclut la
possibilité d’un racisme de la part de ces praticiens. Or, Vincent
Lautard rappelle : « Malheureusement, nous le savons très bien
le racisme est répandu partout et la couleur de peau ne donne pas
un totem d’immunité qui permettrait à l’individu de déverser des
propos haineux et racistes en toute impunité ». Enfin
l’infirmier note que ces recensements posent la question délicate
du consentement des professionnels de santé ainsi épinglés.
Où est le privilège blanc ?
Cependant, les défenseurs de cette méthode la justifient en
mettant en avant, nous l’avons dit, un racisme qui serait
"institutionnalisé" de la communauté médicale en France. A l’instar
de ce qui prévaut pour de très nombreux secteurs (justice, police,
éducation…), la question est particulièrement délicate à trancher.
Les partisans d’une telle thèse se concentrent notamment sur les
failles de la formation médicale. Par ailleurs, ils fondent leur
argumentation sur les nombreux exemples de défaut de prise en
charge ou d’une santé de moins bonne qualité de ceux qui ne sont
pas blancs.
Ainsi, sur Twitter a par exemple été signalé que les noirs ont
été aux Etats-Unis les premières victimes de l’épidémie de
Covid-19. Néanmoins, on peut ici s’interroger si bien plus que le
fait d’être noir, c’est le fait d’être pauvre qui représentait ici
le premier facteur de risque. Cette observation rappelle comment
certains analystes, aux Etats-Unis, s’inquiètent que la question
"raciale" ne prenne le pas dans les combats pour l’amélioration des
droits humains et l’égalité sur la question "sociale". La mise en
garde de plusieurs universitaires américains est notamment
commentée dans un récent article de Slate.
Ainsi, alors que récemment la mort d’une jeune caissière
blanche, Hannah Fizer, probablement victime de violence policière
est loin d’avoir eu le même retentissement que celle de Georges
Floyd, « dans la revue Dissent, deux universitaires évoquaient
(…) le cas de Fizer pour pointer les problèmes du discours sur le
"privilège blanc" dans un contexte où la classe ouvrière dans son
ensemble aux Etats-Unis est affectée par des "niveaux d’inégalité
obscène". L’article évoque notamment la baisse de l’espérance de
vie de la population blanche non diplômée causée par les suicides,
l’addiction aux opiacés et les problèmes de santé liées à
l’alcoolisme (ce que deux économistes ont appelé les "morts de
désespoir") ». Cette analyse met bien en évidence comment les
premiers facteurs de difficultés d’accès aux soins ne sont pas
nécessairement ethniques, mais également sociaux. Si en France, le
système de couverture sociale amoindrit ce phénomène, on ne peut
ignorer qu’une partie des obstacles et certains motifs de
discrimination éventuelle par le monde de la santé sont liés à la
question sociale. Ainsi, ces éléments de lecture suggèrent d’éviter
des conclusions trop radicales et de préférer une approche plus
complexe des interactions en jeu.
Que l’on veuille ou non considérer qu’il existerait dans la
communauté médicale un racisme (ethnique et/ou social) systémique,
l’affaire de Globule Noir n’en reste pas moins un révélateur de la
tentation communautariste qui s’installe dans notre pays. Est-ce
que le monde de la santé peut se satisfaire de telles méthodes ?
Est-ce que les propositions d’un praticien tel que Martin Winckler
peuvent être acceptées sans remettre en cause des idéaux
d’universalisme proches de la philosophie du soin ?
On tentera de se construire une perception en relisant
:
Bref, dès que des personnes opprimées s'organisent par elles-mêmes, les "alliés" en position de pouvoir se scandalisent. Et d'un claquement de doigt, le site et la page facebook de Globule Noir n'existent plus. La non-mixité n'est pas un idéal, ce n'est pas un projet à long terme... C'est un BESOIN VITAL, que ses opposants ne font que confirmer par leurs réactions destructrices.
Elie Bouet
Une suggestion
Le 08 août 2020
Je suggère que les pauvres soient soignés par des médecins pauvres et les riches...
Dr C. Jacob
Folie identitaire
Le 08 août 2020
On pourrait peut-être aussi classer les patients potentiels par couleur de peau pour pouvoir choisir des patients de la même origine que soi-même (Logique puisque soi-disant, on les soignerait mieux).
On devrait même affiner la classification des soignants. Peut-on imaginer un Hutu se faire soigner par un Tutsi? Un musulman par un chrétien? Un blond par un brun?...
Le seul critère qui pourrait à mon sens être légitimement signalé, c'est la langue parlée.