
Paris, le samedi 5 septembre 2020 - Dans le combat entre la
peur et la volonté d’être au plus près des hommes, la seconde a
toujours gagné. C’était le cas dans le désert de la guerre du
Golfe, dans les tranchées du conflit bosniaque ou à la recherche
des proches des victimes du génocide Tutsi au Rwanda, il aurait été
difficile de comprendre qu’il en fut autrement face à la Covid-19.
Pourtant, la peur était peut-être plus viscérale encore. Aux quatre
coins du monde, déraciné, Peter Turnley a moins souvent éprouvé le
sentiment de pouvoir être une victime directe que durant ces mois
de printemps à New-York, dans son pays natal. Il tremblait, avoue
avoir pris sa température jusqu’à des dizaines de fois par jour,
mais n’a pourtant pas renoncé à arpenter les rues, à aller à la
rencontre des autres. Impossible d’agir différemment pour celui qui
n’a que rarement passé quinze jours au même endroit depuis qu’il a
débuté sa carrière de photographe et qui le jour où les liaisons
aériennes s’arrêtent entre la France et les Etats-Unis, est coincé
à New-York.
Une vraie guerre mondiale
La comparaison entre l’épidémie de Covid-19 et la guerre
adoptée par Emmanuel Macron dans ses premiers discours a suscité de
fortes réserves. Une certaine forme d’outrance a notamment été
regrettée. Pourtant, Peter Turnley, né il y a 65 ans à Fort Wayne
aux Etats-Unis mais qui a choisi il y a près de quarante ans de
vivre à Paris, ne renierait pas ce rapprochement. Celui qui armé de
son appareil photo a résumé en quelques clichés en noir et blanc
les conflits du monde entier affirme : « Je me suis rendu
compte, peut-être pour la première fois de ma vie, après avoir
couvert toutes les guerres du monde depuis 40 ans, que j'étais en
face de ma première guerre mondiale ! C'est à dire une guerre
mondiale contre un virus, un ennemi invisible dont on ne connait
pas la ligne de front ».
Le fil de la détermination
Le silence et l’instantanéité de la photographie semblent des filtres idéaux pour dire la façon dont le monde a suspendu son souffle face à la maladie. Les images de Peter Turnley auraient pu exacerber cette impression de fixité qui s’est emparée de la planète et a cristallisé dans la même immobilité des milliers d’êtres, dont les différences étaient soudain éliminées par la même peur. Mais ce n’est pas ce que Peter Turnley a voulu dépeindre. Comme sur les autres lignes de front, il a voulu montrer le combat et le mouvement. Et en éternel optimiste, il a saisi les instants qui expriment la compassion, la solidarité, la façon dont les hommes ont œuvré avec « détermination » insiste-t-il face au fléau. Il a ainsi été frappé par le fait que ne demeuraient dans les rues que ceux qui étaient guidés par leurs devoirs. Il a voulu saisir sur les visages des professionnels de santé : « Cette expression de vivre avec un sens du devoir, avec le courage, avec détermination, avec humilité et jamais en demandant de remerciements à personne ». C’est le visage de cette infirmière, dont les yeux, seuls visibles en raison de son masque, disent le profond bouleversement en découvrant une manifestation de soutien devant son hôpital. Ce sont ceux qui continuent à dépasser les frontières et les guerres diplomatiques malgré l’épidémie, telle cette femme de Wuhan marchant sur le pont de Brooklyn. Ce sont les agents de sécurité, les conducteurs du métro ou encore les sans-abris de New-York qui ont formé les mailles de cette « humanité » face au Covid, dont les images forment une exposition à découvrir à Perpignan dans le cadre du festival Visa pour l’image.A.H.