Covid-19 : Oui aux corticoïdes dans les formes graves
L'administration de corticostéroïdes systémiques est-elle vraiment
associée à une réduction de la mortalité chez les patients atteints
d'une forme grave de la Covid-19 – c’est à dire nécessitant une
assistance ventilatoire - par comparaisons aux soins habituels ou à
un placebo ?
Vous reprendrez bien un brin de méthodologie
C’est la question à laquelle se propose de répondre cette
méta-analyse prospective - démarche dans laquelle plusieurs
promoteurs d'essais similaires décident, avant la fin de leur
essai, de mettre en commun leurs données pour réaliser une
méta-analyse sur données individuelles - qui a mis en commun les
données de 7 essais cliniques randomisés ayant évalué l'efficacité
des corticostéroïdes [1] chez 1 703 patients porteurs de formes
graves de Covid-19.
Les essais ont été menés dans 12 pays du 26 février 2020 au 6
juillet 2020. Les données mises en commun ont été agrégées à partir
des essais individuels, globalement, et dans des sous-groupes
prédéfinis. Le risque de biais a été évalué à l'aide de l'outil
d'évaluation du risque de biais Cochrane. L'incohérence entre les
résultats des essais a été évaluée à l'aide du test statistique I2
qui mesure la proportion de la variabilité entre études attribuée à
l’hétérogénéité et non au hasard, et qui varie entre 0 et 1. Des
méta-analyses à effets aléatoires ont également été réalisées ainsi
qu’une analyse inverse à effets fixes pondérée par la variance en
utilisant des ratios de risque.
Dexaméthasone, hydrocortisone, méthylprednisolone
vs soins habituels ou placebo
Les patients ont été randomisés pour recevoir de la dexaméthasone
par voie systémique, de l'hydrocortisone ou de la
méthylprednisolone (678 patients) ou pour recevoir les soins
habituels ou un placebo (1 025 patients) avec comme principal
objectif la mesure du taux de mortalité toutes causes confondues à
28 jours après la randomisation et comme objectif secondaire, la
mesure des événements indésirables graves. 1 703 patients (âge
médian, 60 ans [intervalle interquartile, 52-68 ans] ; 488 [29 %]
femmes) ont été inclus dans l'analyse. Le risque de biais a été
évalué comme "faible" pour 6 des 7 résultats de mortalité et comme
comportant "quelques incertitudes" dans un essai en raison de la
méthode de randomisation.
Une moindre mortalité à J28 chez les patients graves
et peu d’évènements graves
Cinq essais ont fait état d'une mortalité à 28 jours, un essai
à 21 jours et un essai à 30 jours. Il y a eu 222 décès parmi les
678 patients du groupe corticostéroïdes et 425 décès parmi les 1
025 patients du groupe de soins habituels ou placebo (Odds Ratio OR
= 0,66 [intervalle de confiance IC 95 % = 0,53-0,82] ; p < 0,001
basé sur une méta-analyse à effet fixe).
Il y avait peu d'incohérence entre les résultats des essais
(I2 = 15,6 % ; p = 0,31 pour l'hétérogénéité) et
l’OR sommaire a été égal à 0,70 (IC à 95 %, 0,48-1,01 ; p =
0,053) d'après la méta-analyse à effets aléatoires. La valeur de
l’OR à effet fixe pour l'association avec la mortalité a été de
0,64 (IC 95 %, 0,50-0,82 ; p < 0,001) pour la
dexaméthasone versus les soins habituels ou le placebo (3
essais, 1 282 patients, et 527 décès) ; l’OR a été de 0,69 (IC 95
%, 0,43-1,12 ; p = 0,13) pour l'hydrocortisone (3 essais, 374
patients et 94 décès), et de 0,91 (IC 95 %, 0,29-2,87 ; p =
0,87) pour la méthylprednisolone (1 essai, 47 patients et 26
décès). Parmi les 6 essais qui ont rapporté des événements
indésirables graves, 64 événements se sont produits chez 354
patients randomisés pour les corticostéroïdes et 80 événements chez
342 patients randomisés pour les soins habituels ou le
placebo.
N’oublions pas les limitations
Tous les essais inclus sauf un (Steroids-SARI ;
NCT04244591) ont été évalués à faible risque de biais, ce
dernier ne portant que sur de petits effectifs (47 patients, 26
décès) et n'ayant contribué qu'à 3,5 % du poids dans la
méta-analyse primaire. Par contre il était le seul à avoir évalué
la méthylprednisolone.
Les essais n'ayant recruté que des adultes : l'effet des
corticostéroïdes sur les enfants reste donc incertain.
Les définitions et les rapports sur les effets indésirables
graves n'étaient pas cohérents d'un essai à l'autre, empêchant la
réalisation d’une méta-analyse sur ce point précis.
Enfin, l'essai RECOVERY a contribué à 57 % du poids de la
méta-analyse primaire de la mortalité toutes causes confondues à 28
jours, mais il y a eu peu d'incohérence entre les effets des
corticostéroïdes sur la mortalité à 28 jours estimée par les
différents essais.
Plus théorique : bien que la nature prospective même de cette
méta-analyse implique un faible risque de biais de publication, il
est possible que le manque de participation de certains chercheurs
aux essais en cours ait été dû à leur connaissance des résultats
desdits essais.
Une étape thérapeutique importante grâce à une famille
de médicaments facilement accessibles et peu chers
Cette méta-analyse d’études randomisées, prospectives et assez
homogènes, confirme aujourd’hui le bénéfice des corticoïdes
utilisés à faible dose dans les formes sévères de Covid-19,
bénéfice qui n’avait jamais été démontré dans une infection virale
respiratoire et systémique. Il semble donc que nous soyons à un
tournant dans la lutte contre la pandémie avec une forte
augmentation des chances de survie.
Une recommandation forte de l’OMS
D’où une recommandation forte de l’OMS [2] datée du 2
septembre, pour l’utilisation systématique des corticoïdes dans les
formes graves. En revanche cette classe médicamenteuse n’est pas
préconisée dans le traitement des patients non sévères « car le
traitement n'apporte aucun bénéfice et pourrait même s'avérer
nocif » précise l’OMS. Et de rappeler fort judicieusement que
cette molécule fait déjà partie de sa liste des médicaments
essentiels et est déjà donc accessible à petit prix et en grande
quantité dans tous les pays. De plus, l’OMS invite les pays à faire
des stocks, car l’hiver va être rude.
D’autres données sont attendues dans les mois à venir, dont celles
relatives au suivi des patients à plus long terme.
N'est-ce pas un traitement assez habituel des pneumopathies lorsqu'elles sont suffisamment graves pour conduire en réa? Pourquoi tout ce buzz, a-t-on à ce point oublié la clinique?
Dr François Thioly
Comment comprendre et expliquer ?
Le 11 septembre 2020
On aimerait bien entendre les distingués immunologistes. L'ibuprofène a paru plutôt contrindiqué durant les premiers mois, et là on assomme l'immunité avec les corticoïdes, autrement puissants. Je n'ai pas assez de connaissances pour comprendre. Merci de faire un effort, même si tout cela est une très bonne nouvelle, assez inattendue.