Paris, le samedi 12 septembre 2020 - C’est un titre convoité. Et
dès lors, les annonces journalistiques usent et abusent de ce
qualificatif pour affirmer l’importance de l’information énoncée :
le premier fléau, le premier exploit, le premier succès. L’absence
de précédent est censée être un gage d’intérêt. Au-delà du fait
qu’on pourrait vouloir relativiser cette fascination pour les «
pionniers », que l’on pourrait interroger les raisons qui
nous font prêter tant de vertus à l’inédit, la primauté est souvent
difficile à prouver. Il n’est pas rare ainsi que l’on constate que
le qualificatif de « première au monde » accordée à de
nombreuses interventions est en réalité souvent délivré rapidement,
oubliant ou négligeant des précédents quasiment comparables.
Vouloir désigner historiquement une première est plus complexe
encore.
Bonne première
Pourtant, s’il en faut un, on nous affirme que c’est celui-là
: Paul Berger. S’il n’est pas rare aujourd’hui de voir les
praticiens se mettre en scène, la fin du
XIXème siècle voyait la chirurgie prendre
fréquemment des allures de théâtre. « J’apprends avec chagrin
que tu as fait hier ton entrée (…). Enfin, je te félicite bien
sincèrement de ton grand succès, c’est une bonne première ; et tu
dépasseras la centième comme on dit au théâtre, en faisant toujours
salle comble et le maximum de la recette ». Ainsi, écrivait
dans les années 1870 le docteur Paul Berger, chirurgien, non pas à
un ami comédien mais à son confrère Louis Hubert Farabeuf, qui est
considéré comme le pionnier (lui aussi) de l’introduction de
l’hygiène dans l’enseignement médical français et qui a donné son
nom à de nombreux instruments.
A l’épreuve de la pratique
Paul Berger, né en 1845 à Beaucourt et ayant reçu en 1871 la
médaille d’or de l’AP-HP au concours des prix de l'Internat en
médecine partageait avec le docteur Farabeuf la volonté d’accroitre
l’asepsie dans les blocs opératoires. C’est ainsi que, lecteur des
observations de Carl Flügge concernant l’identification d’agents
pathogènes dans la salive, il avait commencé à scruter
attentivement et avec inquiétude les sécrétions pouvant choir de la
bouche de ses assistants ou de ses confrères chirurgiens sur les
patients. Sa circonspection et son attention avaient redoublé quand
il constata les possibles différences de résultats entre des
interventions menées alors qu’un de ses assistants souffrait
d’abcès alvéolaire et en l’absence de pathologie de ce dernier.
Aussi, alors qu’il fut lui-même affligé d’une infection
bucco-dentaire, il commença à prendre l’habitude de porter lors de
ses opérations (et notamment des amputations dont il était un
spécialiste remarqué) une « compresse rectangulaire de six
couches de gaze (….) maintenue contre la racine du nez par des
cordes attachées derrière le cou ». Après plusieurs mois
d’utilisation, il se montra convaincu de l’incidence de cette
pratique sur le nombre d’infections chez ses patients et fut le «
premier », affirme-t-on, à relayer de façon officielle le
recours à un masque chirurgical.
Comédie grinçante
Comme au théâtre, cette revendication donna lieu à de
cinglantes répliques de la part de ses détracteurs. « Je n’ai
jamais porté un masque, et jamais sans aucun doute je ne le
ferai » avait lancé le docteur Félix Terrier, pourtant présenté
comme le père des blocs chirurgicaux modernes.
Où l’on voit que les controverses d’hier n’ont rien à envier à
celles d’aujourd’hui. En tout état de cause, si Paul Berger a pu
être imité, sans le prévoir, par d’autres chirurgiens partout dans
le monde, qui se sont montrés moins diserts, Félix Terrier sans
doute n’est pas celui qui pourrait lui voler la vedette.
Les réactions aux articles sont réservées aux professionnels de santé inscrits
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.