Le repérage des sujets asymptomatiques ou peu symptomatiques,
porteurs du virus SARS-CoV-2, parmi lesquels figurent les sujets
contacts, mérite certainement d’être amélioré dans le but de casser
précocement les chaînes de transmission de l’infection. Cela est
même devenu un mantra « tester tracer isoler ».
A cet égard, les études de séroprévalence sont précieuses pour
appréhender l’importance du problème et optimiser les stratégies
préventives, car dans ce cas de figure, les tests de dépistage par
RT-PCR des prélèvements nasopharyngés ou salivaires ont leurs
limites notamment quand ils ne sont réalisés que chez des sujets
symptomatiques.
A Singapour, le traçage des sujets contacts, qu’ils soient
familiaux ou autres, a été à la fois rigoureux et exhaustif, au
demeurant encadré par des mesures législatives autocratiques
lesquelles semblent avoir fait la preuve de leur efficacité. Cette
stratégie coercitive n’a pas eu que des vertus en termes
d’efficacité, elle a aussi permis de constituer une base de données
concernant les sujets contacts et les facteurs favorisant la
transmission du virus au sein de la communauté.
Quatorzaine stricte pour tous les patients atteints
d’une Covid-19 biologique ou clinique
Les résultats d’une étude de cohorte rétrospective, menée entre le
23 janvier et le 3 avril 2020 en témoignent. Les contacts familiaux
ont été définis comme concernant des individus vivant sous le même
toit que le cas index. Les contacts à haut risque autres que
familiaux correspondaient aux personnes exposées au cas index à une
distance inférieure à 2 mètres pendant au moins 30 minutes : c’est
la définition le plus souvent adoptée dans les applications
développées à des fins de traçage en téléphonie mobile.
Dans la cité de Singapour, tous les patients atteints d’une
Covid-19 biologiquement confirmée ou cliniquement avérée ont été
soumis à une quarantaine stricte, en l’occurrence une quatorzaine
durant laquelle toute sortie a été strictement interdite. Seuls les
professionnels de santé avaient accès au domicile des intéressés
qui continuaient tout de même à vivre dans leur cellule familiale.
Tous les contacts étroits préalables étaient également mis en
quatorzaine et soumis à une surveillance téléphonique intensive,
avec trois appels quotidiens.
L’apparition de symptômes évocateurs conduisait à
l’hospitalisation et à l’indication d’un test par PCR à la
recherche du SARS-CoV-2. Un sérodiagnostic a été réalisé chez les
contacts qui y ont consenti.
7 770 sujets contacts pour 1 114 cas index
La prévalence des diagnostics méconnus et des cas positifs
asymptomatiques a été estimée par modélisation bayésienne. Les
facteurs de risque de transmission de l’infection ont été
identifiés à l’aide d’analyses univariées et multivariées par
régression logistique : les données nécessaires ont été obtenues
par des questionnaires détaillés scrupuleusement remplis par tout
contact victime d’une infection secondaire.
Au cours de la période d’observation ont été dénombrés 7 770
contacts étroits répartis en trois catégories : familiaux (n = 1
863), professionnels (n = 2 319) et sociaux (n=3 588). Ces contacts
étaient liés à 1 114 cas index tous confirmés par la RT-PCR. Cette
dernière réalisée uniquement en cas d’apparition de symptômes a
détecté 188 cas de Covid-19 chez les contacts, alors que les 7 852
autres participants ont terminé leur quarantaine sans positiver ce
test.
Près d’un tiers de diagnostics méconnus et plus d’un
tiers de contacts asymptomatiques
Dans 96,8 % des cas contacts (7 518/7 770), toutes les données
nécessaires étaient disponibles. Au sein de cet échantillon
largement majoritaire, la prévalence des cas secondaires de
Covid-19 attestée par RT-PCR était variable en fonction de la
nature des contacts : (1) familiaux : 5,9 % (intervalle de
confiance à 95 % IC95% 4,9–7,1) (n=1 779) ; (2) professionnels :
1,3 % (IC95% 0,9–1,9) (n=2231) ; (3) sociaux : 1,3 % (IC95 %
1,0–1,7) (n=3 508).
L’analyse bayésienne des sérodiagnostics et des données
recueillies sur les symptômes chez 1 150 contacts (524 familiaux,
207 professionnels, 419 sociaux) a confirmé les limites de la
RT-PCR quand son indication est guidée par la seule apparition des
symptômes : le diagnostic n’est alors posé que dans 62 %
(intervalle de confiance à 95 %, IC, 55-69) des cas et il s’avère
que 36 % (27-45) des participants sont restés totalement
asymptomatiques.
Facteurs de risque : la chambre à coucher et la
conversation
Pour ce qui est des contacts familiaux, deux facteurs ont
majoré le risque de transmission : le partage de la chambre à
coucher a conduit à un odds ratio [OR] de 5,38 [IC95% 1,82–15,84];
p=0,0023), mais une conversation de plus de 30 minutes avec un cas
index familial s’est avérée encore plus périlleuse, l’OR
correspondant étant en effet estimé à 7,86 [3,86–16,02]; p <
0,0001).
Dans les cas de contacts hors de la cellule familiale, les
facteurs augmentant le risque de transmission ont été les suivants
: (1) exposition à plus d’un cas contagieux : OR = 3,92 [IC95%
2,07–7,40], p < 0,0001) ; (2) conversation de plus de 30 minutes
: OR = 2,67 [1,21–5,88]; p = 0,015) ; (3) covoiturage avec un cas
index : OR = 3,07 [1,55–6,08] ; p = 0,0013).
Si l’on considère les contacts familiaux et autres, aucun
risque significatif indépendant n’a été identifié impliquant des
contacts indirects, le partage des repas et encore l’usage commun
des lavabos de salles de bains et autres communs
apparentés.
Limites de la RT-PCR pratiquée uniquement en cas de
symptômes
Cette étude chinoise qui repose sur le traçage électronique
des sujets contacts confirme les limites des stratégies actuelles,
notamment de la RT-PCR quand elle n’est utilisée qu’en cas
d’apparition de symptômes.
De fait, elle devrait être pratiquée même chez les sujets
asymptomatiques pour prétendre à une performance diagnostique
optimale… en sachant que sa sensibilité ne dépasse pas 70 % dans
certaines séries… et que le traçage devient aléatoire quand la
prévalence des contaminations atteint des sommets, ce qui est
actuellement le cas dans de nombreux pays occidentaux.
Par ailleurs au sein de la cellule familiale, la distanciation
physique et la minimisation des interactions verbales sont
recommandées mais le port du masque facial n’est pas mentionné. Ces
mesures sont à appliquer de manière ponctuelle en cas de doute sur
la contagiosité d’un membre de la famille mais elle peut être
systématique au plus fort d’une pandémie, puisque le suspect est
contagieux avant l’apparition des symptômes quand il ne reste pas
asymptomatique tout au long de l’évolution de la maladie…
"Tester-tracer-isoler" est en effet devenu un mantra. Et c'est un mantra fallacieux, qu'il faut abandonner pour enfin répéter : "1. Tracer 2. Isoler 3. Tester" ! L'essentiel n'est assurément pas de commencer par tester aveuglément.
Ce qu'il faut, c'est tracer (traquer !) les possibles porteurs de virus en repérant activement toutes les personnes présentant le moindre symptôme et tous leurs contacts, afin de procéder à leur isolement strict et immédiat ! Les tests ne viennent utilement qu'en dernier, pour optimiser la conduite ultérieure.