
Paris, le lundi 23 novembre 2020 – Si la France est une championne dans l’art de se déprécier, les exemples récents n’incitent guère à corriger ce trait. Après le fiasco des masques, les erreurs dans la stratégie de dépistage, beaucoup le pressentent ou en tout cas le redoutent : la campagne de vaccination pourrait ne pas échapper aux contretemps et défauts d’organisation.
Des centres de vaccination ouverts dans trois semaines en Allemagne
Ce week-end, l’inquiétude qui menaçait déjà depuis plusieurs jours, s’est encore accrue alors que plusieurs pays étrangers faisaient des annonces précises concernant le début de leur campagne de vaccination. Ainsi, les Etats-Unis et l’Allemagne ont affirmé être en mesure de pouvoir débuter l’immunisation de leur population à la fin de l’année.
Chez nos voisins d’outre-Rhin, le ministre de la Santé, Jens Spahn a indiqué dans une interview publiée ce lundi que des instructions avaient été données aux Länder afin que dès la mi-décembre des centres de vaccination soient prêts à recevoir les premiers volontaires. Si le calendrier européen, dévoilé jeudi par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen suggère que l’Europe pourrait devoir attendre janvier pour recevoir ses premiers vaccins (après une autorisation de commercialisation la deuxième quinzaine de décembre), Jens Spahn a défendu son souhait d’anticipation : « Je préfère avoir des centres de vaccination prêts quelques jours plus tôt, qu'un vaccin autorisé qui n'est pas utilisé immédiatement ». En Espagne et en Italie, si des premières vaccinations aussi rapides ne semblent pas envisagées, des échéances sont déjà fixées. Ainsi, le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, a indiqué que l’Espagne devrait avoir vacciné une partie « très substantielle » de sa population avant le mois de juin prochain. Enfin, le gouvernement italien a programmé le lancement d’une campagne de vaccination « sans précédent » à la fin du mois de janvier, qui concernera d’abord les personnes « les plus exposées ».
Gare aux effets d’annonce
Alors qu’aucune annonce de ce type n’a encore été faite en France, le spectre d’un nouvel échec hante les observateurs. Pressé de rassurer, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a recommandé de ne pas se laisser impressionner par les effets d’annonce. Invité de RTL ce matin, il a minimisé l’état de préparation de certains de nos voisins. Ainsi, à propos de l’Espagne, il remarque : « Ils annoncent qu'ils vont annoncer des plans (...) Je n'ai vu pour l'instant que deux déclaratifs. Ce n'est pas un plan » avant d’assurer que la France n’a rien à envier à l’Allemagne concernant la préparation d’une campagne de vaccination.
Ne pas trop se fier à la défiance affichée par les Français
Cette communication sera sans doute insuffisante pour rasséréner une opinion publique, dont la position sur le sujet pourrait ne pas être exempte de paradoxes : entre méfiance vis-à-vis de vaccins qui ne bénéficient d’aucun recul et qui seront approuvés en urgence et défiance quant à la capacité du gouvernement à assurer la protection de toute la population. L’exemple de la vaccination contre la grippe suggère en effet que les pouvoirs publics ne pourront sans doute pas « compter » sur la réticence des Français à se vacciner pour pallier les possibles problèmes de pénurie temporaire. En effet, alors qu’ils sont régulièrement désignés comme hostiles aux vaccins en général et à celui contre la grippe en particulier, les Français ont cette année massivement répondu présents aux mots d’ordre leur recommandant de se protéger contre les virus grippaux, provoquant une pénurie expresse dans les pharmacies.
90 millions de dose : un mirage ?
Or, un tel engouement concernant la vaccination contre la Covid-19 entraînera probablement les mêmes effets compte tenu des perspectives concernant le nombre de doses disponibles à court terme. Les pré-commandes européennes permettent à la France d’espérer en théorie 90 millions de doses de vaccin. Cependant, ces pré-réservations ne concernent pas nécessairement les vaccins les plus proches d’obtenir une autorisation (si un accord a été passé avec Pfizer/Biontech, ce n’est par exemple pas encore le cas à grande échelle avec Moderna). Ainsi, ces 90 millions de doses correspondent potentiellement à un chiffre utopique, si tous les candidats-vaccins pour lesquels l’Union européenne a signé un accord aujourd’hui étaient finalement validés. Aussi, ces 90 millions de doses de vaccins différents ne seront pas toutes disponibles au même moment, soit parce que les produits n’auront pas encore été autorisés, soit parce qu’ils n’auront pas été fabriqués. Cette donnée complexifie certainement l’anticipation ; et peut-être faut-il voir dans le silence des autorités françaises une certaine forme de prudence, là où certains de nos voisins européens se montrent peut-être un peu trop optimistes sur la réelle disponibilité des vaccins dès le début de l’année 2021 pour assurer des campagnes de grande ampleur.
Acheminement : un voyage à haut risque
L’incertitude sur la date réelle de disponibilité des vaccins ne doit cependant pas empêcher la préparation logistique. Or, sur ce point les questions sont nombreuses. Elles concernent notamment l’acheminement, potentiellement très délicat, en particulier s’il s’agit de vaccins qui comme celui des laboratoires Pfizer-Biontech nécessitent une conservation à -80°C. Ce défi est déjà préparé par les grands laboratoires. « Notre plus grand défi a été de mettre au point une nouvelle chaîne d’approvisionnement de bout en bout, à très basse température, pour de gros volumes et couvrant le monde entier alors que nous ne savons pas encore exactement où nous expédierons le vaccin et quelles seront les capacités de stockage dans ces points de destination », indique ainsi un porte-parole de Pfizer. Pour les états également, le challenge est immense. En France, le soutien d’Air France-KLM pourrait être un atout, en raison de sa flotte riche de 150 gros porteurs et de six avions cargos. Cependant, les ressources ne sont pas tout, l’administration doit également savoir être souple pour les exploiter.
Le spectre de la campagne de vaccination contre H1N1
Une fois acheminés, les vaccins devront être diffusés vers les vaccinateurs. Là encore, les enjeux sont complexes. Beaucoup ont en mémoire les dysfonctionnements de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1, avec d’immenses centres de vaccination désertés. A l’époque, beaucoup avaient regretté que les professionnels de santé libéraux aient été écartés. Aussi, les messages se sont multipliés pour promettre qu’une telle erreur ne serait pas répétée. Cependant, comme le montre l’exemple de l’Allemagne, le recours aux centres de vaccination paraît difficilement évitable, d’autant plus si les vaccins sont présentés en multidoses et s’ils nécessitent des conditions de conservation très particulières. Par ailleurs, la gravité de l’épidémie actuelle, bien différente de celle de l’épidémie de grippe H1N1 éloigne la perspective de centres boudés. Néanmoins, la question de la participation des médecins libéraux reste centrale. Ils devraient notamment être sollicités pour assurer la protection des plus vulnérables, qui peuvent difficilement se déplacer : « Dans l’état actuel des échanges que nous avons avec la DGOS et le ministère de la Santé, il est établi que puisqu’il s’agira d’une primovaccination avec de possibles réactions, la présence d’un médecin sera obligatoire lors de l’inoculation. Ce point n’est pas sans poser de problème, puisqu’a été évoquée l’idée que soient écartées des personnes prioritaires les gens vulnérables qui sont à domicile et ne peuvent se déplacer. Mais les représentants des médecins généralistes ont indiqué qu’il était hors de question de laisser ce public prioritaire de côté : nous nous organiserons pour aller vacciner les gens vulnérables à domicile. Nous n’avons pas de super-congélateurs, mais nous devrions recevoir de petits conditionnements pour assurer la vaccination en ville. Pas question de reproduire le fiasco de la vaccination H1N1, avec plus de vaccins qui ont fini à la poubelle que de personnes vaccinées », détaille interrogé par 20 minutes, le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat Les généralistes (Confédération des syndicats médicaux français, CSMF).
Quid des pharmaciens
Si le Dr Luc Duquesnel semble écarter la possibilité d’une vaccination réalisée sans la supervision d’un médecin, le choix des professionnels de santé qui seront habilités à la pratiquer reste cependant en suspens. Aux Etats-Unis, des autorisations ont déjà été délivrées pour que les pharmaciens y soient autorisés (et des réflexions dans ce sens sont en cours en Grande-Bretagne). Qu’en sera-t-il en France, alors que les pharmaciens forts de leur expérience vis-à-vis de la grippe sont nombreux à vouloir participer à cette opération ?
Adhésion : une clé majeure et incertaine
A ces points de réflexion déjà très nombreux, s’ajoute celui des personnes qui seront considérées comme prioritaires. Si de premières recommandations du Conseil scientifique suggèrent que les personnes les plus à risque de présenter une forme grave de Covid-19 devraient être les premières cibles, là encore, le choix dépendra également des premiers vaccins qui seront disponibles et de leurs performances en fonction des publics. Or, si les résultats des vaccins devaient inviter à préférer une vaccination de la population jeune pour protéger les plus âgés, la question de la prise en charge se posera alors peut-être différemment. Sans remboursement à 100 % (qui pourrait être facilement mis en place pour les plus vulnérables à l’instar de ce qui existe pour la grippe), l’adhésion risque d’être moins forte, d’autant plus auprès des sujets les moins à risque. D’une manière générale, la réception par la population de la campagne constitue une clé de la réussite qui suscite une forte circonspection. Là encore, si les sondages apparaissent décourageants, le contre-exemple de la campagne actuelle contre la grippe tempère cette impression. Il est en tout état de cause certain que la qualité de l’organisation et la transparence des pouvoirs publics favoriseront la participation et la mobilisation des citoyens. L’approbation manifeste des professionnels de santé aura également une influence certaine. « Quand les gens verront que les professionnels de santé se vaccinent contre le coronavirus comme ils le font contre la grippe saisonnière, cela enverra un signal fort de confiance et de sécurité" pense Luc Duquesnel. On pourrait même porter un petit badge sur nos blouses pour indiquer qu’on s’est fait vacciner. Quand j’aurai été vacciné, je l’afficherai. Et à la fin, il ne restera de réfractaires que les complotistes anti-vaccins. Et ce sera nous, vaccinés contre le Covid, qui les protégerons », remarque ainsi Luc Duquesnel. Mais pour que les professionnels acceptent ainsi de donner l’exemple, il faut qu’eux aussi aient été convaincus par les choix de l’exécutif et notamment ceux concernant leur implication.
Face à la multiplication des questions, à la forte attente et à l’importance des enjeux, Emmanuel Macron ne pourra sans doute pas limiter son discours attendu demain à la seule suite du confinement mais devra nécessairement se prononcer sur cette étape décisive.
Aurélie Haroche