
Protection directe et/ou indirecte
Les patients âgés et / ou ceux présentant des comorbidités,
ont un risque plus grand de développer une forme sévère de la
maladie caractérisée par une insuffisance respiratoire profonde
nécessitant une assistance respiratoire et mettant en jeu le
pronostic vital. La vaccination a pour but de protéger ces
personnes dites vulnérables : il peut s'agir d'une protection
directe lorsque le vaccin est pratiqué chez ces personnes
elles-mêmes ou d'une protection indirecte lorsque ce sont les
personnes de l'entourage qui sont vaccinées afin de diminuer la
transmission. Sur ce point l'exemple de la vaccination
anti-grippale est illustratif : en effet si initialement les
campagnes de vaccination visaient de façon prioritaire les
personnes âgées plus à risque de développer une forme grave, une
vaccination plus large est de plus en plus préconisée afin de
développer en partie une protection indirecte.
Cette attitude a été proposée devant la constatation que les
personnes âgées présentaient après vaccination une réponse immune
diminuée, de plus courte durée, et parfois insuffisante au plan
clinique. Instaurer une protection indirecte pouvait donc s'avérer
plus efficace. S'agissant de la Covid-19, l'on ne sait pas à
l'heure actuelle si les mêmes constatations seront faites.
Au début, les quantités de vaccin disponibles pourront être limitées obligeant à envisager une protection directe en ciblant les personnes à risque élevé et en s'aidant de modèles mathématiques prenant en considération les données des patients mais aussi le risque de contacts. Avec la disponibilité en quantité plus grande de vaccins, une protection indirecte pourra être proposée où la compréhension du mode d'action précis du vaccin et la connaissance de son efficacité selon les groupes de patients s'imposeront. Les essais de phase 3 ont pour objectif d'établir à l'échelle individuelle la tolérance et l'efficacité du vaccin en comparant un groupe de sujets ayant reçu le vaccin versus un autre groupe ayant reçu un placebo, l'inclusion dans un groupe donné étant effectuée par tirage au sort. Le critère principal de jugement est le plus souvent l'incidence de survenue de la maladie sur un mode symptomatique et confirmée par test sérologique. Les critères secondaires viennent étayer ce critère principal : taux d'infection globale comprenant les formes symptomatiques et asymptomatiques, taux de réplication virale mais aussi estimation de l’efficacité dans différents sous-groupes de sujets. S'agissant de la Covid-19, les essais de phase 3 ne répondront peut-être pas à toutes ces questions. En effet ils n'ont généralement pas été conçus pour l'étude de l'efficacité dans les sous-groupes de patients les plus à risque. De même, la question de savoir si le vaccin prévient l'infection globalement, et celle de savoir s'il prévient la contagion ne sont pas forcément considérées. Or la réponse à ces différentes questions est nécessaire si l'on veut procéder à une protection indirecte. Ce devrait être l'objectif des essais en cours et de ceux à venir.
Après les essais de phase 3, les études post-marketing et observationnelles
L'étude de l'efficacité des vaccins dans les sous-groupes de sujets de fort risque nécessite des stratégies particulières afin d'éviter tout biais de recrutement. Les essais doivent comporter à l'inclusion un nombre suffisant de tels sujets au niveau de sous-groupes prédéfinis et toute analyse intermédiaire avant que le nombre d'événements suffisant ne soit atteint doit être différée (afin de ne pas diminuer la puissance des essais pour ces sous-groupes de sujets). Le maintien des essais sur un long terme en aveugle permet théoriquement d'optimiser la précision sur l'efficacité du vaccin dans certains sous-groupes comme le suggère l'OMS. Néanmoins à partir du moment où un ou plusieurs vaccins seront disponibles pour une utilisation en urgence, il pourra être difficile de maintenir une telle stratégie au plan éthique d'où l'importance des essais d'emblée à une grande échelle internationale permettant d'obtenir un grand nombre de sujets analysables y compris au niveau de certains sous-groupes prédéfinis.Les différents essais de phase 3 en cours concernant ces vaccins anti-Covid-19 vont aboutir ou ont déjà abouti à l'obtention non pas d'un mais de plusieurs vaccins sûrs et efficaces qui sont soumis aux autorités de tutelle pour approbation et dispensation.
C'est souligner alors l'importance des études post-marketing. Celles-ci pourront être effectuées à différentes échelles et pourront par exemple comparer dans des essais prospectifs contrôlés plusieurs vaccins entre eux comme cela est réalisé dans l'essai PAIVED qui compare aux États-Unis pour leur efficacité plusieurs vaccins anti-grippaux entre eux. Il peut s'agir aussi d'études observationnelles qui peuvent concerner certains sous-groupes de forte priorité comme par exemple celui des infirmières de ville ou d'autres soignants comme cela s'est fait là encore pour la grippe aux États-Unis. Seront comparés les taux de survenue de Covid-19 selon qu'il y a eu ou non vaccination (et plusieurs vaccins pourront être considérés). Bien sûr les analyses statistiques approfondies devront s'efforcer de minimiser les effets inhérents aux facteurs confondants propres à ces études observationnelles.
Il faut une prévention globale de l’infection pour envisager une protection indirecte
Une protection indirecte pourra d’autant plus être envisagée que le vaccin induit une prévention de l'infection globalement, diminuant de fait le risque de transmission : d'où l'importance d'inclure ce paramètre comme critère secondaire dans les essais d'efficacité. Néanmoins un vaccin qui prévient surtout les formes symptomatiques peut contribuer aussi, quoiqu'à un degré moindre, à une protection indirecte en diminuant la réplication virale et /ou en diminuant notablement les symptômes qui favorisent la propagation comme la toux ou les éternuements. Le plus mauvais scénario serait le cas d'un vaccin diminuant les symptômes mais ne diminuant que fort peu la réplication virale et donc ne diminuant pas le risque de transmission (pouvant même théoriquement l'augmenter).Pour estimer l'efficacité d'un vaccin sur le potentiel infectieux (ou contagiosité), il conviendrait d'effectuer une mesure de la charge virale par PCR de façon répétée sur prélèvement salivaire par exemple (ce qui pourrait être effectué à domicile) : certains essais de phase 3 le réalisent chez les sujets symptomatiques. Seul l'essai concernant le vaccin Oxford-AstraZeneca parmi ceux dont les protocoles sont publiés le réalise chez les sujets symptomatiques ou non. Le problème de la fréquence des tests demeure. Enfin une relation directe entre la diminution de la charge virale et la diminution de la transmission virale n'est pas démontrée avec certitude : néanmoins elle pourrait être suggérée si en moyenne la charge virale est nettement plus basse chez les sujets vaccinés. Dans cette problématique, la recherche des anticorps spécifiques ne peut que montrer la contraction ou non de l’infection mais non d'étudier la dynamique de la transmission pendant la phase active de celle-ci.
Estimer l’effet sur le potentiel infectieux autrement qu’à partir de la charge virale
D'autres approches peuvent être tentées pour estimer l’effet du vaccin sur le potentiel infectieux sans l'extrapoler à partir de la charge virale. Ainsi en est-il des études observationnelles qui portent sur le taux de transmission de la maladie au sein d'une même maisonnée, d'une collectivité ou des contacts proches du propositus selon que les sujets ont reçu ou non le vaccin comme cela a pu être publié par exemple pour le vaccin de la coqueluche. Enfin de véritables essais prospectifs peuvent être développés au sein d'un regroupement de personnes dont le critère principal de jugement serait la protection indirecte par le vaccin. De tels protocoles ont pu être menés aux États-Unis chez des infirmières libérales à qui on proposait ou non le vaccin antigrippal : étaient comparés le taux de mortalité liée à la grippe, le taux de grippes symptomatiques ou d'infections latentes chez les patients pris en charge par ces infirmières selon que celles-ci ont reçu ou non le vaccin.De nombreuses questions persistent devant le développement aussi rapide de vaccins qui nécessiteront une surveillance pharmacologique post-marketing : sûreté sur le long terme, durée de l'immunité acquise, échappement du virus à cette immunité, protection du vaccin par rapport aux formes sévères voire pouvant mettre en jeu le pronostic vital, efficacité du vaccin utilisé à de faibles doses ….
Ainsi, si au début la disponibilité des vaccins est faible, il est probable selon l'avis de divers comités d'experts que ces vaccins seront réservés en priorité aux patients vulnérables puis aux personnels soignants. Toutefois s'il s'avère que ces vaccins sont moins actifs chez ce type de patients, ils pourront lorsqu'ils seront disponibles en plus grande quantité être proposés assez vite aux autres sujets afin de réaliser une protection indirecte. Une situation beaucoup plus préoccupante serait que les vaccins soient actifs chez les sujets plus jeunes sans assurer de protection directe ou indirecte chez les sujets vulnérables-âgés et/ou ayant des comorbidités-. Cette situation pourrait amener à envisager d'autres alternatives thérapeutiques en particulier dans certains sous-groupes de patients. Néanmoins le nombre relativement élevé de vaccins dont le développement a atteint la phase 3 et ayant recours à des technologies différentes (existantes ou au contraire tout à fait novatrices) peut laisser à penser que leurs caractéristiques précises en terme de sûreté et d'efficacité pourront être quelque peu différentes et qu'il convient de connaître précisément la protection directe et indirecte qu'ils assurent afin que les indications de leur utilisation soient posées de façon coordonnée et optimale.
Dr Sylvia Bellucci