
Paris, le mercredi 16 décembre 2020 - Accélérant son calendrier, l’Agence européenne du médicament (EMA) doit se réunir lundi pour approuver (ou non) le vaccin Pfizer/BioNtech. Le feu vert pourrait être donné dans la foulée. Dans les quarante-huit heures, les premiers pays qui le souhaitent pourraient alors entamer leur campagne de vaccination contre la Covid-19. L’Allemagne, qui n’est sans doute pas étrangère à la rapidité accrue du processus (ce qui témoigne une nouvelle fois de son rôle de leader en Europe), ne devrait pas perdre une minute dès l’accord de l’EMA. Des dizaines de centres de vaccination, abritant des super congélateurs et où les box de vaccination sont déjà installés, ont en effet été aménagés dans tout le pays.
Quand Emmanuel Macron préfère rêver pour l’Europe plutôt que pour la France
L’ambiance est très différente en France où le sentiment d’un certain flottement persiste, tenace. A cet égard, la phrase d’Emmanuel Macron au magazine Brut confirme que les pouvoirs publics ne partagent pas la même impatience, voire le même enthousiasme que ceux de beaucoup de nos voisins. « On n'est pas en train de dire aux gens : 'Vaccinez-vous, vaccinez-vous', à toute force et toute la population, on a une autre stratégie » a-t-il ainsi confié aux journalistes du jeune média. Aussi est-il peu probable, si la France ne devait pas être en mesure de délivrer les premiers vaccins dès le 23 ou 24 décembre que l’Allemagne (voire d’autres pays) accepte de patienter, brisant le rêve affiché par Emmanuel Macron d’un lancement de campagnes vaccinales le même jour dans tous les pays européens. S’il semble enclin à vouloir soigner l’image de l’Europe dans cette course aux vaccins (sans un soutien massif des partenaires de l’Union), le Président de la République paraît en tout cas moins ambitieux en ce qui concerne la stratégie interne ; probablement en partie en raison de l’inquiétude que suscitent les réticences affichées par les Français.
Macron doit-il se faire vacciner à la télévision le soir de Noël ?
Un possible symbole de cette communication tâtonnante pourrait être le refus du gouvernement de toute mise en scène de la vaccination de ses membres. Il a ainsi d’abord été annoncé que les ministres ne compteraient pas parmi les premiers vaccinés, tandis que dans un article du 10 décembre le Figaro indique qu’Emmanuel Macron n’aurait pas l’intention de se faire vacciner contre la Covid dès la mise à disposition des vaccins. Cette attitude contraste singulièrement avec celle de nombreux autres figures politiques dans différents pays. Qu’il s’agisse du jeune ministre de la Santé britannique, de la reine d’Angleterre, du premier ministre Israélien qui pourrait être le premier à recevoir le vaccin dans son pays, du chef du gouvernement espagnol ou du nouveau Président des Etats-Unis Joe Biden, sans de nouveau évoquer Bill Clinton, Barack Obama ou Georges Bush, tous et beaucoup d’autres ont déclaré qu’ils se feraient vacciner, souvent devant les caméras et en tout cas de façon rapide. Bien sûr, il y a quelque chose d’artificiel dans ces annonces et l’explication avancée par le Premier ministre du souhait de ne pas donner le sentiment d’un « passe droit » pour les responsables politiques par une vaccination anticipée (par rapport à leurs niveaux de risques personnels) pourrait ne pas déplaire aux Français, très attaché à l’égalité. « Je me serais volontiers fait vacciner dès le début de la campagne, au titre de l’exemplarité. Mais je ne voudrais pas que ce soit interprété comme un passe-droit par rapport aux priorités établies par la Haute autorité de santé » a ainsi remarqué Jean Castex. On sait également que ces images n’ont pas d’impact sur les antivax les plus farouches, comme en a témoigné l’avalanche de messages sur les réseaux sociaux remettant en question la vaccination du maire de Londres, parce que la photo qui avait été prise avant l’injection (pour permettre aux photographes de prendre sereinement le cliché) révélait le maintien du capuchon sur la seringue. Cependant, pour les personnes pour lesquelles la défiance n’est qu’une hésitation, cette confiance affichée par les responsables politiques de premier plan en bénéficiant eux-mêmes de l’injection d’un produit inédit pourrait être positive. C’est ainsi le sentiment de l’urgentiste Patrick Pelloux et de plusieurs responsables politiques, comme le maire de Marignane, Eric Le Dissés ou du président du Mouvement radical, Laurent Hénart. D’ailleurs, on perçoit que la position du gouvernement n’est pas totalement stable sur ce sujet, puisque le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire a pour sa part affirmé vouloir se faire vacciner dès que possible.
Division de la classe politique
Il n’est pas impossible que cette question surgisse cet après-midi à l’Assemblée nationale alors que le Premier ministre doit présenter la stratégie vaccinale du pays. De nombreuses autres questions sont également en suspens, notamment l’organisation de la vaccination, alors qu’à la différence de l’Allemagne, l’installation de centres n’a pas précédé l’arrivée des vaccins. Sur ce sujet sensible, le gouvernement veut éviter de répéter les erreurs de la campagne de vaccination contre la grippe H5N1 en donnant aux médecins généralistes le sentiment de les écarter. Dès lors la recommandation de la Haute autorité de Santé (HAS) d’une supervision médicale obligatoire dans un premier temps, avant que les pharmaciens et infirmiers puissent dans un second temps administrer seuls le vaccin, devrait sans doute rassurer les praticiens sur le souhait des instances de les impliquer prioritairement. Pour le reste, les détails manquent et sont très attendus ; de même que des informations sur la date possible d’arrivée des vaccins en France. Pour le gouvernement, l’étape est capitale afin notamment de renforcer l’adhésion de la classe politique elle-même, divisée entre ceux qui observent les avancées des autres pays avec regret et ceux qui n’hésitent pas à afficher leurs réticences les plus triviales sur le vaccin.
Aurélie Haroche