Katalin Kariko : du rideau de fer aux lauriers de la gloire
Les grandes victoires de la science ont souvent pour origine
une soif de liberté. Le vingtième siècle connaissait la figure de
Marie Skłodowska quittant la Pologne sous emprise russe pour
rejoindre la prestigieuse université de la Sorbonne. Notre siècle
gardera sans doute en mémoire le visage de Katalin Kariko qui
quitta la Hongrie sous domination soviétique pour accomplir un rêve
américain.
Katalin Kariko est née en 1955 à Szolnok, un an avant
l’écrasement de l’insurrection de Budapest par les troupes du Pacte
de Varsovie. Loin des capitales des démocraties populaires,
présentées comme des vitrines du socialisme triomphant, Kariko vit
dans la misère d’une région où l’on ne trouve ni frigo, ni eau
courante.
Passionnée par les sciences, elle suit les cours au lycée
Móricz Zsigmond Református. Après avoir obtenu son doctorat, Karikó
poursuit ses recherches et ses études postdoctorales au Centre de
recherche biologique de l’Académie hongroise des sciences. Mais
dans un pays en déliquescence, oppressant et sous surveillance
permanente de la police, Katalin Kariko décide d’entreprendre un
périlleux voyage vers l’Ouest.
Si la France, l’Espagne et le Royaume-Uni refusent d’ouvrir
leurs portes à la réfugiée venue de l’Est, les Etats-Unis proposent
un poste à la chercheuse à l’université de Pennsylvanie. Les époux
Kariko quittent la Hongrie en cachant les économies de toute une
vie dans un ours en peluche.
Un exil difficile
Comme Marie Curie à son arrivée en France, les premières
années en liberté sont amères.
Pour économiser sur le pétrole nécessaire pour se chauffer,
Marie Curie qui vit dans une chambre de bonne, doit travailler
jusqu’à 22 heures à la bibliothèque Sainte Geneviève. Pour Katalin
Kariko, l’exil est également amer. Si en Amérique les injustices ne
sont pas aussi criantes que dans la Hongrie communiste, elles n’en
demeurent pas moins cruelles.
Néanmoins, alors que la communauté scientifique se concentre
sur l’ADN, Kariko consacre toute son énergie aux recherches sur
l’ARN. A la fin des années 1980, elle participe à un essai clinique
sur des patients atteints de Sida, de maladies hématologiques et de
fatigue chronique. En 1990, elle soumet sa première demande de
bourse dans laquelle elle propose d'établir une thérapie génique
basée sur l'ARNm. Une demande qui sera refusée.
Méprisée pour ses travaux, Katalin Kariko se retrouve
rapidement marginalisée. En 1995, elle est même renvoyée du
département de cardiologie. Dans une vidéo publiée sur le site de
l’Obs, celle-ci relate : « j’étais sur le point d’être promue et
ils m’ont rétrogradée. Ils s’attendaient à ce que je claque la
porte ». Comme Marie Curie, qui vit sa candidature à l’Académie
des Sciences rejetée en 1911, elle se retrouve victime de
l’ostracisme de ses pairs.
Ostracisme et reconnaissance tardive
Le sexisme aussi n’est pas loin. Comme le rapporte France 24,
celle qui s’est vue rétrogradée au simple rang de chercheuse se
voit demander régulièrement le nom de son superviseur, alors même
qu’elle dirige son propre labo. Appelée « Madame » au lieu
de Professeur, elle se retrouve cantonnée dans un sous-sol, avec un
maigre salaire, et sans titre de résident permanent, document
indispensable pour renouveler son visa de travail. Malgré tout,
Kariko s’accroche et se consacre à sa passion. « Vu de
l’extérieur, cela peut paraître dingue, éprouvant, mais j’étais
heureuse au labo », a-t-elle confié à Business Insider. Un
siècle plus tôt, Marie Curie confessa que malgré les difficultés,
ses années d’études firent partie des plus heureuses de sa
vie.
Comme souvent, le hasard et une rencontre décisive fait
basculer le destin. Katalin Kariko croise la route de Drew
Weissman, jeune médecin immunologiste. Une rencontre qui se déroule
« devant une photocopieuse ». Ensemble, ils découvrent une
méthode pour prévenir la réponse inflammatoire à l'ARN messager,
qui affolait jusque-là le système immunitaire. Cette modification
ouvre la voie aux vaccins type Moderna et Pfizer-BioNTech. BioNTech
qui a co-conçu ce second vaccin, a d’ailleurs embauché Katalin
Kariko.
Une percée décisive qui permet aujourd’hui d’espérer mettre un
terme à l’épidémie la plus meurtrière de ce début de
siècle.
Modèle de droiture
Aujourd’hui, Katalin Kariko bénéficie d’une exposition
médiatique et d’une reconnaissance méritée. Durant sa longue
traversée du désert, elle a pu bénéficier du soutien sans faille de
sa mère. « À chaque annonce de prix Nobel, elle s'attendait à ce
que mon nom soit prononcé et je me moquais d'elle en lui rappelant
que je n'avais même pas obtenu une bourse » désormais, son nom
est envisagé pour la plus grande récompense de la
médecine.
David Langer, directeur du département de neurochirurgie de
l’hôpital Lenox Hill, à New York et qui a travaillé avec la
spécialiste décrit une femme « d’une droiture absolue et d’une
grande franchise ».
Comme Marie Curie ou Albert Einstein, le destin des chercheurs
exilés nous offre souvent le témoignage d’une détermination et d’un
courage admirable. Sa fille, qui possédait le fameux ours en
peluche ayant permis de faire transiter les devises hongroises
au-delà du rideau de fer, est devenue criminologue et a apporté à
l’Amérique deux médailles d’or aux jeux olympiques de Pékin et de
Londres en aviron.
En attendant les récompenses qui ne manqueront pas de consacrer une
carrière et une vie exceptionnelle, Katalin Kariko rappelle que le
combat contre le coronavirus est loin d’être terminé. Devant les
caméras de CNN, la chercheuse l’affirme : « nous fêterons tout
cela quand les souffrances humaines seront derrière nous, quand les
épreuves et cette période terrible seront terminées. Cela arrivera,
je l’espère, cet été, quand nous aurons oublié le virus et le
vaccin. Je le célébrerai alors vraiment. »
Recherches sur immunité virale et ARN messager, antériorités
Le 26 décembre 2020
Souvent plusieurs équipes, ont travaillé dans la même direction au même moment.
Par exemple, en 1993, une équipe française utilise déjà la technique de l'ARN messager encapsulé pour induire une réponse immunitaire spécifique contre un virus. Il faudrait les interroger pour connaître la raison qui fait qu'il a fallu attendre vingt-sept ans pour voir une application clinique développée ailleurs ?
Voir Martinon F, Krishnan S, Lenzen G, Magné R, Gomard E, Guillet JG, Lévy JP, Meulien P. "Induction of virus-specific cytotoxic T lymphocytes in vivo by liposome-entrapped mRNA". Eur J Immunol. 1993 Jul;23(7):1719-22. doi: 10.1002/eji.1830230749. PMID: 8325342.
Katalin Kariko a l'antériorité dans un article (où elle est un auteur parmi d'autres) quant à l'intérêt des liposomes pour introduire de l'ADN dans les cellules. On n'est pas tout à fait dans le domaine qui nous concerne aujourd'hui, et à supposer qu'on y soit, le travail pionnier cité ci-dessus mérite tout autant d'attention.
Une vingtaine d'années après ce premier travail, et une dizaine après celui de l'INSERM, apparaissent ses travaux avec Weissman. Katalin Kariko devient ensuite le premier auteur dans de nombreux papiers sur l'ARN messager.
Il faut donc rendre à César ce qui appartient à César, sans diminuer en rien les mérites des unes et des autres, surtout quand certains sont plus discrets que d'autres face à ce qui semble être une avancée majeure "nobélisable"... On a déjà connu des situations analogues, par exemple avec la découverte du VIH.