
Les infections virales survenant au cours de la grossesse
peuvent avoir de lourdes conséquences en termes de morbi-mortalité
tant maternelle que fœtale. Qu’en est-il dans le cas précis de la
Covid-19 ? Les informations disponibles sont peu nombreuses : elles
consistent le plus souvent en des séries de cas -sans groupes
témoins- ou en des revues systématiques de la littérature médicale
internationale ce qui est effectivement insuffisant à l’heure où la
pandémie tend à gagner encore plus de terrain. Ces lacunes font
tout l’intérêt d’une petite étude étatsunienne transversale du type
cas-témoins dans laquelle ont été incluses 32 femmes enceintes
atteintes d’une forme sévère de la Covid-19, imposant une admission
dans une unité de soins intensifs (USI). Les caractéristiques,
l’évolution et le pronostic de la maladie ont été évalués par
rapport à un groupe témoin composé de 64 femmes non enceintes au
moment de leur admission en USI. Les données ont été obtenues à
partir d’une étude de cohorte multicentrique incluant des patients
en état critique, en l’occurrence STOP-COVID (Study of the
Treatment and Outcomes in Critically Ill Patients with
COVID-19). Le nombre d’USI qui ont participé à cette étude
s’élève à 67.
Pour les besoins de l’analyse comparative, ont été incluses
toutes les femmes enceintes admises en USI avec le diagnostic de
Covid-19 entre le 4 mars et le 2 mai 2020. Chaque patiente a été
comparée à deux sujets témoins appariés selon l’âge et les valeurs
du score qSOFA (Quick Sequential Organ Failure Assessment
score) mesuré au moment de l’admission. Le suivi a été assuré
jusqu’à la sortie du milieu hospitalier, le décès ou à défaut
jusqu’au 28ème jour après l’admission. La
comparaison intergroupe a reposé sur les tests du chi-2 ou de
Fisher pour les variables catégorielles et le test de Wilcoxon pour
les variables continues.
Mortalité fœtale et maternelle nulle
Les deux groupes se sont avérés comparables quant à l’âge
médian (32 ans) et à la sévérité initiale de la maladie (score
qSOFA de 2 à 3 témoignant d’un risque élevé dans 62,5 % des cas) ou
encore à la gravité de l’insuffisance respiratoire aiguë. Le
remdésivir a été plus souvent prescrit chez les femmes enceintes
que chez les témoins (50,0 % versus 10,9 %) à l’inverse du
tocilizumab (9,4 % vs. 23,4 %).
La prise en charge en termes de réanimation (ventilation
assistée, recours au décubitus ventral et curarisation) a été
identique dans les deux groupes. Il en a été de même pour
l’incidence des complications notamment thrombo-emboliques mais
aussi la durée du séjour en USI et en milieu hospitalier. Dans le
groupe des cas, la mortalité fœtale et maternelle a été nulle alors
que, dans le groupe témoin, la mortalité a été estimée à 9,4
%.
Des accouchements déclenchés pendant l’hospitalisation
Plus d’une fois sur deux (59,3 %), l’accouchement est survenu
pendant l’hospitalisation, voire le jour de l’admission (11/19).
Dans près de 95 % des cas, il s’agissait de prématurés (<
37ème semaine de gestation) nés le plus
souvent (16/19) lors d’un accouchement déclenché pour des raisons
médicales ou obstétricales. Plus d’une fois sur deux (52,6 %),
cette décision a été imposée par l’insuffisance respiratoire aiguë
de la mère. Des inquiétudes quant à l’état du fœtus ne sont
intervenues que dans 21,1 % des cas. Une césarienne a été
nécessaire chez 17 femmes (89,5 %), le plus souvent du fait d’un
état critique (41,2 %). Au total, en cas de grossesse avancée (>
30 semaines) ce qui était le cas de 17 femmes, l’accouchement a été
déclenché près de neuf fois sur dix (88,2 %). Pour les 15 autres
femmes, dont la grossesse était de moins de 30 semaines, cette
éventualité n’a concerné que 26,7 % des cas.
Une étude qui fait date… pour les pays favorisés
Cette étude se distingue des autres par l’importance de
l’effectif et la comparaison à un groupe témoin, avec un
appariement a priori satisfaisant à l’état basal entre cas et
témoins, en termes d’âge ou de gravité de l’état clinique et
respiratoire. Il en ressort que la Covid-19 ne semble pas davantage
éprouver les femmes enceintes admises en USI. L’état critique de la
mère, notamment sur le plan respiratoire, impose cependant le plus
souvent une césarienne avec un risque de prématurité : les
décisions médicales dans un tel contexte sont complexes qui doivent
évaluer à chaque instant le rapport bénéfice/risque de telle ou
telle stratégie. Dans cette cohorte, il apparaît qu’en cas de
grossesse peu avancée (< 30 semaines) au moment de l’admission,
la décision de provoquer l’accouchement a été trois fois moins
souvent prise qu’en cas de grossesse plus proche du terme,
l’objectif étant de donner le maximum de chance de survie au
fœtus.
Dr Philippe Tellier