Le variant sud-africain du SARS-CoV-2 échappe-t-il vraiment aux vaccins actuels ?
Chez les personnes infectées par le SARS-CoV-2 apparaissent des
anticorps neutralisants qui peuvent persister pendant plusieurs
mois. Les anticorps neutralisants sont considérés comme le
principal corrélat de la protection contre la réinfection pour la
plupart des vaccins dont ceux contre le SARS-CoV-2, et ils sont
également activement exploités dans un but thérapeutique. Le
domaine de liaison au récepteur du SARS-CoV-2 (RBD receptor
binding domain) est la cible dominante de la réponse de
neutralisation pendant l'infection. Par conséquent, l'écrasante
majorité des anticorps neutralisants monoclonaux isolés jusqu'à
présent chez les personnes infectées, dans les banques
d'immunoglobulines ou chez les modèles animaux immunisés, sont «
dirigés » sur cette région. Le RBD est également la cible de
plusieurs nanocorps/systèmes dont le développement clinique est
envisagé.
Après le RBD, le domaine N-terminal (NTD) de la protéine de pointe
S est la deuxième cible la plus importante des anticorps
neutralisants. Un développement clinique est ainsi envisagé pour
plusieurs anticorps monoclonaux puissants dirigés contre cette
région.
Neuf modifications de la protéine de pointe pour le variant
sud-africain
Le variant décrit en Afrique du Sud (501Y.V2) comporte neuf
modifications de la protéine de pointe réparties en deux
sous-ensembles : un groupe en NTD qui comprend quatre substitutions
et une délétion (L18F, D80A, D215G, Δ242-244 et R246I), et un autre
groupe de trois substitutions dans la RBD (K417N, E484K et
N501Y).
Bien que le changement en 501Y ait été associé à une
transmissibilité accrue, plutôt qu'à une pression immunitaire plus
importante, l'accumulation de mutations spécifiquement dans ces
deux régions immunodominantes de la protéine de pointe S est très
suggestive d'un échappement aux anticorps neutralisants. En effet,
il a été démontré que les mutations en 484 réduisent la sensibilité
à la neutralisation.
En outre, les mutations dans ces mêmes régions ont également été
décrites sur un nouveau variant, apparu de manière indépendante au
Brésil. Enfin, des variants au Royaume-Uni et aux États-Unis, bien
que présentant moins de mutations d'échappement potentiel aux
anticorps, ont également été décrits, ce qui suggère l'émergence
mondiale de nouveaux variants.
Une étude sud-africaine souffle le froid et le chaud
Une étude sud-africaine (1) non encore publiée dans une revue
internationale montre que le variant SARS-CoV-2 501Y.V2, contient
de multiples mutations dans les deux domaines immunodominants de la
protéine de pointe S et qu’il échappe totalement à trois classes
d'anticorps monoclonaux pertinents sur le plan thérapeutique. En
outre, le 501Y.V2 échappe partiellement ou complètement aux
anticorps neutralisants du plasma de convalescent du Covid-19. Ces
données suggèrent la possibilité d'une réinfection par des variants
antigéniquement distincts et laissent présager une efficacité
réduite des vaccins actuels principalement basés sur les réponses
immunitaires à la protéine de pointe.
Mais en dépit de l'évasion de la neutralisation, ces données
montrent qu'une proportion importante d'anticorps non
neutralisants, liant la RBD, reste active contre le 501Y.V2. Alors
que les fonctions effectrices des anticorps produits lors de
l'infection et la vaccination ont été impliquées dans la protection
contre la réinfection et la maladie, le rôle des anticorps non
neutralisants et l'efficacité des réponses des cellules T au
501Y.V2 restent à élucider.
En fin de compte, les corrélats de la protection contre l'infection
par le SARS-CoV-2 et les formes graves de Covid-19 restent
indéterminés et leur identification repose sur les essais cliniques
à grande échelle en cours. Néanmoins, la vitesse et l'ampleur de
l'échappement immunitaire médié par le 501Y.V2 aux anticorps
neutralisants préexistants mettent en évidence le besoin urgent de
plateformes de conception de vaccins rapidement adaptables, et la
nécessité d'identifier des cibles virales moins mutables pour les
incorporer dans les futurs immunogènes.
Un « démenti » de Moderna, ce jour, et l’annonce d’une nouvelle
stratégie pour contrer les variants
Dans un communiqué (2) Moderna Inc. a annoncé
aujourd'hui les résultats d'études de neutralisation in
vitro menées sur des sérums provenant de personnes vaccinées
avec le vaccin Moderna Covid-19, qui montrent une activité contre
les nouvelles souches de SARS-CoV-2. La vaccination avec le vaccin
Moderna Covid-19 a produit des titres neutralisants contre tous les
principaux variants émergents testés, y compris B.1.1.7 et B.1.351,
identifiés pour la première fois au Royaume-Uni et en République
d'Afrique du Sud, respectivement. L'étude n'a montré aucun impact
significatif sur les titres neutralisants avec la variante B.1.1.7
par rapport aux variantes précédentes. Une réduction de six fois
des titres d’anticorps neutralisants a été observée avec la
variante B.1.351 par rapport aux variantes précédentes. Malgré
cette réduction, les titres neutralisants avec la variante B.1.351
restent supérieurs aux niveaux qui sont censés être
protecteurs.
Cette étude a été menée en collaboration avec le Centre de
recherche sur les vaccins (VRC) du National Institute of
Allergyand Infectious Diseases (NIAID), qui fait partie des
National Institutes of Health (NIH). Le manuscrit a été
proposé à bioRxiv en tant que pré-impression et sera soumis à une
publication révisée par des pairs.
Moderna dévoile sa stratégie clinique pour faire face de
manière proactive à la pandémie alors que le virus continue
d'évoluer
Tout d'abord, la société testera une dose de rappel
supplémentaire du vaccin Covid-19 (ARNm-1273) afin d'étudier la
capacité à augmenter encore les titres neutralisants contre les
souches émergentes au-delà de la série de vaccinations primaires
existante.
Deuxièmement, la société propose un candidat de rappel d'un
variant émergent (ARNm-1273.351) contre le variant B.1.351
identifiée pour la première fois en République d'Afrique du
Sud.
La société fait progresser l'ARNm-1273.351 vers des études
précliniques et une étude de phase 1 aux États-Unis pour évaluer
l'avantage immunologique d'un rappel par des protéines de pointe
spécifiques à la souche.
Conclusion : sachons raison et espoir garder
Certes, la réinfestation massive des habitants de Manaus en
Amazonie brésilienne alors qu’on les pensait avoir atteint
l’immunité de groupe lors des vagues précédentes, pose la question
de l’échappement des virus variants aux anticorps dirigés contre la
souche originelle et donc du rôle de la mutation en N484K.
Au plan strictement académique, attendons la publication de ces
deux articles annoncés dans des revues de premier plan avec comité
de lecture.
Au plan de l’espoir, retenons que les vaccins à ARN messager sont
déjà en voie de mutation pour contrer les nouveaux mutants. Le jeu
de cache-cache ne fait que commencer.
En savoir plus sur les anticorps neutralisants
Les anticorps neutralisants ciblant le domaine RBD peuvent être
globalement divisés en quatre classes principales, dont les classes
1 et 2 ciblent les épitopes du site I qui chevauchent le site de
liaison du récepteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine 2
(ACE2).
Les anticorps de classe 1 sont le plus souvent induits en
réponse à l’infection par le SARS-CoV-2 et sont presque entièrement
limités à la lignée germinale du gène de l'immunoglobuline V
(VH3-53/66), formant une classe multi-donneur avec des épitopes
très similaires uniquement accessibles dans la conformation
"ascendante" du RBD.
Les anticorps de classe 2 se lient également au site I, mais
peuvent se lier à la fois aux conformations "ascendantes" et
"descendantes" de la protéine de pointe S. Bien qu'ils puissent
utiliser un pool génétique VH plus diversifié, ils se limitent à la
lignée germinale VH1-2 et constituent une deuxième classe
d'anticorps publics multi-donneurs communément suscitée.
En ce qui concerne les anticorps ciblant le NTD, il est remarquable
que, bien qu'ils soient dérivés de divers gènes VH, presque tous
sont dirigés sur un seul site immunodominant du NTD, impliquant la
boucle N1 (extrémité N-terminale), la boucle N3 (supersite
β-hairpin) et la boucle N5 (supersite loop). Un sous-ensemble de
ces anticorps forme également une troisième classe multi-donneurs,
avec un mode de reconnaissance de la protéine de pointe S limité à
la lignée germinale VH1-24.
A la lecture de cette publication, l'espoir semble permis de croire que ceux qui ont été vaccinés avec le vaccin issu de l'ARNm(Moderna et Pfizer) seront sans doute protégés des variants sud africains et brésiliens comme avec le premier Variant britannique ?