Une table de télé-ophtalmologie vue d’un mauvais œil par les médecins

Paris, le samedi 6 février 2021 – L’ampleur des délais d’attente entre la prise de rendez-vous et la consultation chez un ophtalmologue libéral est une préoccupation ancienne.

Pour y répondre, les ophtalmologues se sont engagés dans un partenariat avec les orthoptistes reposant sur des transferts de compétence atteignant des niveaux inégalés dans l’ensemble du corps médical. Les orthoptistes peuvent notamment en vertu d’un décret publié ce printemps renouveler ou adapter si nécessaire les prescriptions médicales initiales de lentilles, après réalisation d'un examen de la réfraction (sauf opposition du médecin mentionnée expressément sur l'ordonnance originelle).

Perte de chance pour les patients

Cependant, il est une étape dans cet élargissement de l’accès aux soins ophtalmologiques que les praticiens refusent de franchir : celle de dépistages à distance grâce à des outils de télémédecine. Pourtant, dans un rapport sur la filière visuelle publié en 2019, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale de l’éducation du sport et de la recherche (IGESR) avaient défendu la pertinence de développer la télémédecine en dehors des cabinets d’ophtalmologie. « Promouvoir la télémédecine dans les magasins d’optique comme le fait la mission est choquant et cette hypothèse a été rejetée à une écrasante majorité par les ophtalmologistes lors d’une récente consultation. Ce n’est pas en multipliant les potentiels compérages et conflits d’intérêt que l’on va améliorer la situation sanitaire. Ce premier recours laissé ainsi aux opticiens entrainerait inévitablement une perte de chance pour les patients, car ils pourraient ainsi se sentir faussement rassurés sur leur bonne santé oculaire » dénonçait avec force le Syndicat national des ophtalmologistes français (SNOF).

Cinquante euros pour un dépistage complet

Cette virulence n’a pas empêché la start-up Tessan de mettre au point une table de télé-ophtalmologie. Cette dernière est équipée d’un autoréfracto-kérato-tono-pachymètre et topographe cornéen, un rétinographe non mydriatique et un réfracteur avec un frontofocomètre. Ces outils permettent de réaliser différents examens : bilan de la cornée, de la rétine et réfaction oculaire. En pratique, le patient réalise les différents examens guidé par un orthoptiste en vidéo. Le bilan est ensuite transmis à un ophtalmologue, qui peut établir si nécessaire une ordonnance. Le coût de ce dépistage global atteint cinquante euros, dont l’entreprise Tessan espère qu’ils pourraient être pris en charge par les mutuelles (des négociations sont actuellement menées dans ce sens). Le système est aujourd’hui installé dans un établissement à Levallois mais la start-up souhaite pouvoir le déployer rapidement dans certaines de ses vingt boutiques partenaires, voire dans des centres de santé.

Qui vivra, verra

Cependant, les ophtalmologistes voient rouge contre cette initiative. « L'orthoptiste est autorisé à réaliser plusieurs actes en autonomie uniquement après avoir reçu la prescription du praticien ou dans le cadre d'un protocole de coopération signé par l'ophtalmologiste. Ici, l'auscultation s'opère à distance et hors parcours de soins, pour moi, c'est de l'exercice illégal » s’emporte ainsi dans les colonnes du Quotidien du médecin, le patron du SNOF, le docteur Thierry Bour. Rappelant que dans certaines régions, le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous atteint parfois 90 jours, le patron de Tesan défend cependant la pertinence d’un dispositif permettant de rassurer les patients ou au contraire de détecter les situations d’urgence.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (2)

  • Examen incomplet en ophtalmologie

    Le 06 février 2021

    Il me semble plus approprié de parler d'examen à distance plutôt que d'"auscultation", examen
    incomplet en ophtalmologie pour le moins, faut-il le rappeler à ce syndicaliste éminent ?
    Ne commençons pas à parler (et écrire...) comme certains patients !

    Dr B.Robichez(ER)

  • Aveuglement ?

    Le 10 février 2021

    Est il légitime et utile de refuser une évolution inévitable compte tenu des progrès technologiques des mesures physiques en ophtalmologie? La majorité des consultations OPH me semblent liées à des problèmes de vision sans grande gravité, souvent liés au vieillissement. Ces patients doivent ils être vus à chaque fois par un OPH? Dans un certain nombre de cabinets
    les orthoptistes prennent en charge la plus grosse part du travail de mesure avant de voir l'OPH.
    Nos collègues ophtalmologues ne devraient ils pas plutôt accompagner et encadrer une évolution inéluctable de leur discipline? Et proposer des règles strictes d'utilisation de cette télémédecine hors du cabinet? Cela serait plus réaliste et donnerait moins le sentiment d'un corporatisme un peu daté.

    Dr Vincent Praloran

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